Vacarme 69 / Indéchiffrables

Le chantier « Spy Mania » du numéro 66 de Vacarme évoquait cet étrange symptôme d’époque : nos vies sont surveillées de part en part, jusque dans leurs espaces les plus immatériels, mais quelquefois un rouage casse et c’est tout l’appareil de surveillance qui se trouve renversé, exposé en plein jour. L’autorité s’écroule lorsque les secrets d’États deviennent visibles et lisibles par tous, lorsque chacun peut se réapproprier une vérité autrefois cachée pour la défaire ou la réinventer. Le chantier de ce numéro reprend les affaires secrètes là où « Spy Mania » les avait laissées, pour poser la question suivante : que devient la politique lorsque les individus eux-mêmes deviennent indéchiffrables et se soustraient aux appareils de contrôle qui structurent leurs vies ? Le contre-pouvoir s’invente là où nous accédons à la fois à plus de lucidité et à plus de secret. Ce que nous nous réapproprions alors, ce ne sont plus les vérités confisquées par le pouvoir, mais la simple matière de nos vies, loin des rets du contrôle. Cette perspective à la fois optimiste et critique sera le fil rouge de ce chantier qui envisage les puissances du chiffrement dans plusieurs aspects de la vie collective, du langage à la politique, en passant par les images et la technologie. À l’origine de cette investigation à plusieurs volets, une certitude : dans quelque domaine que ce soit, le chiffre a toujours fait figure d’adversaire. Histoire concurrente, simple alternative ou agent d’un contre-pouvoir, il est celui qui vient déjouer les logiques adossées à l’autorité, à la normalité, au contrôle. En défigeant les sens préfabriqués, gelés dans et par l’hégémonie, l’indéchiffrable bat en brèche les processus de domination et de soumission et met fin à l’assignation à idéologie sur laquelle se fondent pouvoir et micro-pouvoir. On le voit immédiatement : le chiffre n’est jamais aussi puissamment émancipateur que lorsqu’il revêt les atours du jeu et que ses règles ne cessent d’être réinventées. C’est l’une des hypothèses qui parcourent souterrainement les textes et les images de ce chantier, des jeux de la langue chez Heller-Roazen et Pastior aux jeux de la technique dans le logiciel Tor, en passant par les jeux de l’enquête de la série Sherlock et les jeux de l’imitation, du faux et de l’écriture dans les acryliques de Michel Behagle. Voici huit essais en cryptologie de formes variées, qui vous invitent à imaginer collectivement de nouveaux chiffres comme autant de modes de déliaison et d’affranchissement.

Dossier coordonné par Dominique Dupart & Mathias Kusnierz