Vacarme 83 / Cahier

les frontières européennes au Niger

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les frontières européennes au Niger

Pays dépendant de l’aide internationale considéré comme un bastion de stabilité au sein d’un espace sahélien qui fait face à de multiples formes de violence, le Niger est devenu l’une des cibles des politiques anti-migratoires et de l’externalisation des frontières européennes. Le surgissement de la question migratoire a entraîné la répression des acteurs de l’économie du passage, la multiplication des contrôles aux frontières… et un regain de tensions sociopolitiques.

Jusqu’en 2010, le Niger s’est peu intéressé aux questions migratoires, tout comme il est resté à l’écart des interventions des États de l’Union européenne (UE) en Afrique de l’Ouest dans ce domaine. En effet, bien qu’importantes, les migrations y sont surtout circulaires et tournées vers le reste du continent, de l’Afrique de l’Ouest vers l’Afrique du Nord. Cette question s’inscrit dans l’agenda politique à partir de 2011-12, dans un contexte international et régional marqué d’une part par un interventionnisme européen de plus en plus fort sur les questions migratoires, d’autre part par la dégradation du contexte sécuritaire au Sahel. En 2011, la chute du président Kadhafi entraîne la déstabilisation durable de la Libye et le rapatriement de plusieurs milliers de migrant·es ouest-africains installé·es dans ce pays (pour la seule année 2012, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a rapatrié environ 114 000 Nigérien·nes de la Libye vers le Niger). Parallèlement, les différentes interventions de Frontex au Sénégal, au Maroc, en Mauritanie conduisent à la fermeture progressive de cette route migratoire. Enfin, à partir de 2012, l’éclatement du conflit malien amène au déplacement de plusieurs milliers de réfugié·es vers le Niger, à l’installation d’une insécurité grandissante sur les frontières ouest du pays et à la « fermeture » de la route migratoire traversant le Mali vers la Libye et/ou le Maroc.

Ainsi, le Niger est devenu un pays où l’on observe des dynamiques migratoires complexes : si les migrations circulaires se poursuivent et se reconfigurent, elles sont affectées par des migrations de retour ; des vagues d’expulsions et de rapatriements et se conjuguent à des mouvements de réfugié·es, de déplacé·es internes. Cependant, l’une des principales conséquences pour le Niger, du point de vue des politiques, est qu’il est devenu en quelques années le principal, voire le seul pays de transit sahélien pour les Ouest-africain·es souhaitant se rendre en Libye et pour certains en Europe. Ce rôle d’espace de transit, qui n’est pas nouveau, place le Niger au premier plan des négociations entre l’Europe et l’Afrique, en particulier depuis le Sommet de La Valette de 2015.

En effet, en 2013-14, l’UE fait face à une « crise migratoire » : les naufrages se multiplient en Méditerranée et les arrivées en provenance de Libye sont qualifiées de « massives » en Europe. Alors que l’UE a perdu son interlocuteur habituel, le président Kadhafi, elle se tourne vers le Sahel, en particulier vers le Niger, pour reprendre la main sur sa frontière sud, conformément à son processus politique d’externalisation des frontières. Le Sommet Europe-Afrique dit « Sommet de La Valette » de novembre 2015 intervient dans ce contexte et le Niger y est appelé à jouer un rôle de premier plan.

Précédé d’un important ballet diplomatique européen à Niamey au début de l’année 2015 (venue de la ministre des Affaires étrangères européenne en juin et septembre, du ministre de l’intérieur français en juin), le Sommet de La Valette est une étape majeure, dans la mesure où il fournit le cadre politique et surtout financier du partenariat entre l’UE et une partie de l’Afrique, en particulier le Sahel et la Corne de l’Afrique. En effet, le Plan d’action prévoit la mise en place d’un Fonds fiduciaire d’urgence pour la stabilité et la lutte contre les causes profondes de la migration et du phénomène des personnes déplacées en Afrique. Ce fonds fiduciaire d’urgence (FFU) est doté d’un montant de 1,9 milliards d’euros qui se répartissent pour environ un milliard pour l’Afrique de l’Ouest, 665 millions pour la Corne de l’Afrique et 264,7 millions pour l’Afrique du Nord. Outre la mise en place de ce fonds, le plan d’action met en lumière les dynamiques à l’œuvre en termes de politique migratoire entre l’Europe et l’Afrique. En dehors de la ritournelle « promotion des diasporas » et de l’appui à l’accueil et à la protection des réfugié·es, ce plan d’action consacre surtout une large place à la lutte contre les migrations dites irrégulières et plus largement aux questions de sécurité et aux réformes institutionnelles connexes ; les actions de développement étant vues comme des outils au service de cette lutte et à la mise en place de politiques de « retour volontaire », d’expulsion et de réadmission.

Toute personne qui transporte ou héberge les migrant·es est considérée comme participant au trafic.

En Afrique de l’ouest, le Niger est le principal pays bénéficiaire du fonds pour un montant global d’environ 230 millions d’euros. La répartition des fonds entre les projets illustre l’évolution du cadre de partenariat : 86 millions sont dédiés à la sécurité et à la justice, 52 millions aux « retours volontaires » gérés par l’OIM, 99,9 millions à des projets de développement et 22 millions pour l’appui à l’accueil et à la protection des réfugié·es et déplacé·es internes (région de Diffa). À cela, il faut ajouter les sommes débloquées par les agences de coopération, qui sont venues compléter les budgets des différents projets, ainsi que le budget d’EUCAP Sahel-Niger (26,3 millions d’euros pour la période 2016-18), la mission de coopération policière européenne intervenant dans le domaine des migrations.

Pays classé le plus pauvre de la planète selon l’IDH, le Niger s’est ainsi retrouvé en l’espace de quelques mois sur le devant de la scène européenne pour ce qui est des migrations. Ce rôle central est encore accentué par son statut de pays stable dans une région sahélienne qui l’est de moins en moins ; ainsi, le Niger accueille plusieurs forces armées étrangères sur son sol et est l’un des pays leader du G5 Sahel en cours de mise en œuvre actuellement. Le contexte sécuritaire auquel l’État doit faire face aggrave encore sa situation financière ; ainsi en 2016, le Niger consacrait 14,8% de son budget à la sécurité et à la défense. Le Niger a besoin de l’aide extérieure pour faire face à son endettement (selon le FMI, la dette publique représentait 46,7% du PIB en 2016), comme pour faire face aux dépenses pour sa stabilité. Ainsi, comment la logique de donnant-donnant qui prévaut dans les liens entre le Niger et l’UE s’est-elle mise en place au travers du FFU ? En quoi celui-ci illustre-t-il un approfondissement du processus d’externalisation des frontières de l’UE ?

Pour explorer ces différentes questions, nous déclinerons les différentes dimensions sécuritaires dans l’approche des migrations aujourd’hui au Niger. Comment ces actions sont-elles mises en œuvre ? Qui en sont les acteurs ? En quoi nous amènent-elles à repenser la notion de frontière ?

les logiques répressives : « lutter contre les migrations irrégulières »

L’approche sécuritaire des migrations portée par l’UE et le Niger s’appuie particulièrement sur la « lutte contre les migrations irrégulières » et le « trafic illicite de migrants ». Elle s’inscrit dans le cadre du Protocole de Palerme sur la « criminalité transnationale organisée », ratifié par le Niger. Le dispositif législatif adopté par l’État nigérien et les actions soutenues par l’UE convergent vers une logique répressive.

Ainsi, en 2015 est adoptée la loi 2015-36 relative au trafic illicite de migrant·es, dans un contexte de pression de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime pour que le Niger se conforme au Protocole de Palerme ; à cela il faut ajouter l’émoi national provoqué par la découverte dans le Sahara de 92 corps de femmes et enfants qui souhaitaient se rendre en Algérie. Cette loi pénalise le transport et l’hébergement de migrant·es qualifié·es d’irrégulier·ières, c’est-à-dire à qui l’on prête l’intention de franchir illégalement une frontière. Cependant, la loi ne pénalise pas les migrant·es, au contraire, ils·elles sont considéré·es comme victimes. Un cadre légal est alors posé autorisant des actions répressives touchant directement le transit de migrant·es, voire le départ de migrant·es nigérien·nes, en particulier vers la Libye et l’Algérie. Bien que considéré·es comme victimes, les migrant·es sont livré·es à leur sort à la suite des arrestations de leur transporteur ou hébergeur : aucune prise en charge n’est prévue et il est extrêmement rare qu’ils·elles soient entendu·es par la justice comme témoin. Ainsi, soit ils·elles se débrouillent par eux·elles-mêmes, soit ils·elles font appel au « retour volontaire » proposé par l’OIM. 

Appliquée à partir de la mi-2016, cette loi va être vécue comme un « traumatisme », une forme d’injustice par les populations de la région d’Agadez, région du nord Niger qui est le dernier point de passage avant la traversée du Sahara vers la Libye et l’Algérie. En effet, l’application de cette loi s’établit à partir d’une « ligne imaginaire » qui traverse la région d’Agadez, au-delà de laquelle tout·e migrant·e est considéré·e comme irrégulier·e et toute personne qui transporte ou héberge ces migrant·es est considérée comme participant au trafic. L’application de cette loi a eu des effets tant sur les parcours que sur l’apparition de tensions sociales à Agadez. Les transporteurs sont ainsi contraints de changer d’itinéraires pour éviter les puits contrôlés par les forces de l’ordre, ce qui accroît le danger de la traversée du désert. De même, la répression des hébergeurs à Agadez précarise le séjour des migrant·es, désormais acculés à la « clandestinisation ».

L’application de cette loi et la mise en œuvre du dispositif répressif plus globalement est soutenue, accompagnée par les actions de l’UE en matière de sécurité et de contrôle. Celles-ci se focalisent sur les forces de police mais aussi sur l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale. L’objectif est de faire en sorte que les procédures engagées, en particulier dans le cadre de la loi 2015-36 sur le trafic illicite de migrant·es et de l’ordonnance de 2010 sur la traite des personnes, aboutissent. In fine, l’objectif pour les États européens est que la loi soit appliquée, avec comme ligne de mire la « fermeture » ou du moins la mise à mal de la route nigérienne. Dans cette perspective, l’accent est mis sur les actions de formation des Forces de défense et de sécurité (FDS), la dotation en matériel et l’accompagnement sur le terrain.

Trois types d’acteurs interviennent dans ce champ du côté européen, dessinant les contours de la politique d’externalisation des frontières au Niger. La mission EUCAP-Sahel, coopération policière européenne installée au Niger depuis 2012 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, a vu son mandat s’élargir à partir de 2014 à la « lutte contre la migration irrégulière et les trafics associés » et a implanté dans le même temps un nouveau bureau à Agadez. La mission d’EUCAP-Sahel se limite jusqu’à présent à la formation des FDS, à leur dotation en matériel (transport, identification des personnes…) et au conseil. Cependant, à partir de 2018, son mandat doit de nouveau s’élargir, d’une part à la formation des forces militaires et d’autre part à la mise en place « d’école de terrain », c’est-à-dire l’accompagnement et le suivi des agents sur le terrain. La particularité d’EUCAP est qu’il s’agit initialement d’un dispositif de lutte contre le terrorisme dont le mandat, comme les outils et les techniques, ont été remaniés pour intégrer la dimension migratoire.

Un second acteur est l’Équipe conjointe d’investigation (ECI) : projet financé à hauteur de 6 millions d’euros via le FFU, pour une durée de 3 ans, ECI rassemble trois policiers espagnols, trois policiers français (relevant de la Défense Conseil international) et 12 policiers nigériens. Sa mission est le démantèlement de réseaux de trafic et de traite ; autrement dit, policiers européens et nigériens travaillent de concert tout au long de la chaîne pénale, de la collecte à l’analyse des renseignements, à la mise en œuvre des enquêtes et à la constitution des dossiers à porter devant un tribunal. Cette coopération vise à constituer un corps d’investigation spécial afin de s’attaquer aux filières et pas uniquement aux « passeurs », comme ce fût le cas lors de l’application de la loi 2015-36 à la mi-2016. Bien que cela soit moins explicite que dans le cas d’EUCAP-Sahel, l’amalgame est fait entre « menace terroriste » et « menace migratoire » pour justifier le dispositif.

Le troisième acteur relève aussi du FFU : le programme AJUSEN, doté de 80 millions d’euros, est porté par l’Agence française pour le développement, avec une partie en délégation à Civipol et à Justice Coopération internationale, qui sont des sociétés semi-publiques françaises assurant notamment l’assistance technique. Tout comme dans le cas d’EUCAP-Sahel, y compris au risque de la redondance, l’accent est mis sur la formation de l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale, du côté police jusqu’au côté justice. Là aussi, d’anciens policiers français travaillent de concert avec les acteurs de la chaîne pénale nigérienne en vue de renforcer le processus de judiciarisation et de pénalisation de l’économie du passage des frontières.

vers une gestion militaro-policière de la « nouvelle frontière de l’UE » ?

Sous la bannière du « contrôle des frontières », les interventions extérieures recouvrent à la fois la lutte contre le terrorisme, le crime organisé et les migrations dites irrégulières. En effet, les dispositifs élaborés à l’issue du sommet de La Valette ont été en partie absorbés au sein de dispositifs préexistants davantage orientés vers la lutte contre le terrorisme, à l’exemple d’EUCAP Sahel Niger. Si cette coopération extérieure est contestée voire taxée d’ingérence, sa légitimation passe paradoxalement par un discours teinté de nationalisme qui fait du contrôle des frontières un enjeu de réappropriation par le Niger de la maîtrise de son territoire.

L’emprise du discours sécuritaire traduit la jonction politique qui s’opère entre le processus de militarisation des frontières au Sahel et celui d’externalisation du contrôle des frontières européennes. Outre la mise en place du G5 Sahel, le Groupe d’action rapide — surveillance et intervention au Sahel (GAR-SI) et l’appui à la coopération régionale des pays du G5 Sahel et au Collège sahélien de sécurité, deux projets régionaux financés par le FFU, participent pleinement de cette nouvelle imbrication.

Si les modalités concrètes du contrôle des frontières partagées avec la Libye sont méconnues, plusieurs forces militaires étrangères y sont néanmoins présentes, notamment française et américaine. Différentes négociations avec les milices du sud libyen sont également à l’œuvre : sans en connaitre l’exacte teneur, tout laisse penser qu’elles ont des répercussions dans la zone nord du pays. L’appui militaire américain s’opère également le long de la frontière avec le Mali et le Nigéria, deux zones identifiées comme de nouvelles routes migratoires. La militarisation des frontières par puissances interposées révèle, par-delà l’objectif de contrôle des flux migratoires, la pluralité des enjeux géopolitiques à l’œuvre dans la région sahélienne, à l’exemple de l’expansion officieuse de l’opération française Barkhane au Tchad dans le sud libyen.

C’est un processus d’illégalisation des migrations que l’on observe aujourd’hui au Niger.

Pilier de la politique européenne en matière de gestion des frontières, l’agence Frontex au Niger n’a — du moins pour l’instant — qu’un rôle de recueil et d’analyse des données statistiques relatives aux routes et flux migratoires. Pour autant, sa présence contribue à ancrer une conception toute européenne de la géographie nigérienne et de ce que cela induit en termes de contrôle : « Pour Frontex, la gestion des frontières, c’est la frontière entre le Niger et la Libye ; ce qui, dans le contexte, revient à la frontière européenne, la première frontière entre l’Afrique et l’Europe » (entretien délégation de l’UE à Niamey).

Considérées comme poreuses, les frontières nigériennes sont plus particulièrement la cible des interventions d’EUCAP, de l’OIM et de l’agence de coopération au développement allemande, Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ). Déjà engagée dans l’appui à l’élaboration d’une politique nationale de gestion des frontières alignée sur les orientations de l’Union africaine, cette dernière a aussi été à l’initiative de la réhabilitation et de la construction de postes frontières. L’intérêt commun des intervenants extérieures à la démultiplication de ces points de contrôles a fait converger les dons en équipements logistiques et en matériels de télécommunication et d’enregistrement des passages mais aussi les plans de formations aux contrôles des frontières des policiers et des douaniers. Pour autant, le foisonnement des actions dans ce domaine s’exerce, dans une large mesure, en dehors de toute concertation. Trois systèmes d’enregistrement des entrées et sorties du territoire ont ainsi été mis en place mais sans prévoir la possibilité de les interconnecter. En outre, tous les acteurs n’adoptent pas la même lecture du contexte géographique mais aussi géopolitique propre au Niger.

Le foyer des Guinéens, Niamey, novembre 2017.
Photo P. Chappart

Pour répondre aux spécificités de la frontière nigéro-libyenne, l’OIM a ainsi privilégié une approche mobile du contrôle de cette zone désertique et travaille actuellement sur un prototype de poste-frontière « entre le camping-car et le semi-remorque, équipé au solaire, avec un réservoir d’eau potable et une tente sur le côté » (entretien OIM de Niamey). Considérant que les populations frontalières sont les plus à même de contrôler ces zones, l’organisation promeut, par ailleurs, une « gestion communautaire des frontières » en favorisant la création de comités de prévention frontalier chargés de dénoncer toute incursion suspecte aux forces de sécurité afin d’assurer in fine un maillage des frontières par les communautés. Sous couvert d’une « gestion humanitaire des frontières », l’Organisation internationale des migrations organise également des exercices de simulation de crises transfrontalières grandeur nature réunissant populations et administrations ainsi amenées à « jouer » leur propre rôle en cas d’attaque terroriste ou encore d’afflux massif de populations déplacées (voir le montage vidéo de cette opération).

Cette coopération s’est également jouée sur un terrain plus politique, sinon juridique, puisque le la mise en œuvre de la stratégie nationale de lutte contre la migration irrégulière (2018-2020) — dont l’élaboration a largement été impulsée par les partenaires techniques et financiers européens — prévoit notamment la mise en place d’une police spécifiquement dédiée au contrôle des frontières ainsi qu’une coopération renforcée entre les différentes forces de sécurité et de défense et avec les pays voisins.

De fait, le renforcement des contrôles aux frontières comme sur le territoire génère non seulement un accroissement des mesures de refoulement, de reconduites à la frontière et des « retours volontaires » mis en œuvre par l’OIM mais aussi un phénomène de blocage des migrant·es en cours de route. Ce qui est frappant, dans cette nouvelle implication de l’UE dans la gestion du passage des frontières nigériennes, c’est l’absence de mesures visant à lutter contre la corruption et les diverses exactions commises par les forces de l’ordre à l’encontre des migrant·es. Ces phénomènes sont pourtant de notoriété publique et l’ensemble des récits recueillis sur place en font l’écho.

La politique répressive mise en place depuis 2015 suscite de nombreuses tensions qui, loin de se concentrer sur la région d’Agadez, ont des répercussions à l’échelle de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest dans la mesure où ces dispositifs anti-migratoires contreviennent, ou du moins entravent le principe de libre circulation qui régit cet espace. C’est in fine un processus d’illégalisation des migrations que l’on observe aujourd’hui au Niger, pays transformé en nouveau garde-frontière de l’UE. Souhaitée par les membres de l’UE, la reproduction, au sein des États sahéliens, du dispositif de coopération policière et judiciaire instituée au Niger à travers l’action de l’Équipe conjointe d’investigation risque de conforter la tendance à la criminalisation des déplacements. Si l’on peut se demander si l’UE ne crée pas de toutes pièces ce contre quoi elle prétend combattre, force est de constater qu’elle joue un jeu dangereux au sein d’un espace instable.

Post-scriptum

Pascaline Chappart est post-doctorante en sociologie à l’Urmis/IRD.

Florence Boyer est chargée de recherche à l’IRD/URMIS et associée au GERMES (Université A. Moumouni, Niamey).