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Récit d’étudiants : la balade sans Balaudé Lundi 9 avril 2018, Nanterre Université

Récit d'étudiants : la balade sans Balaudé

Vacarme relaie, avec leur accord, des récits d’étudiant.e.s. Cette première publication rend compte par le menu de la journée du Lundi 9 avril sur le campus de Nanterre.

Nous citons seulement les étudiant.e.s et le personnel de l’université. Cela sous-entend en fait toute personne présente dans l’enceinte du campus.

10h  : Arrivée sur le campus pour étudier à la Bibliothèque Universitaire. Aucun bâtiment n’est accessible. La BU devrait ouvrir à 14h.

Depuis plusieurs heures, une trentaine d’étudiant.e.s occupent la salle E01. Les bâtiments C, D et E ont été bloqués par des étudiant.e.s et les autres n’ont pas été ouverts suite à une décision de la présidence.

La réunion du Conseil d’administration de l’université est prévue à 12h30 et la discussion de modalités de la plateforme Parcoursup est inscrite à l’ordre du jour.

11h : Tour du campus à pied, arrêt devant le bâtiment B. Une dizaine d’agents de la sécurité est devant l’entrée. Baptiste Bondu, directeur du cabinet de Jean-François Balaudé, discute avec des étudiant.e.s et des membres du personnel de l’université. On aperçoit un défilé de casques de CRS au loin, à la bordure du bâtiment A.

Nous remontons les bâtiments jusqu’au parvis de la gare. Derrière la barre de sciences sociales se trouvent cinquante CRS. Ils s’arrêtent à l’arrière de la salle E01. Des gens, tout avis confondu, commencent à arriver. Après quelques minutes, les CRS se mettent à avancer vers les passants arrêtés. On devine leur projet de se positionner devant le bâtiment E, puis d’y accéder pour déloger les occupant.e.s de la salle E01. On court pour se mettre devant, mais c’est trop tard. Une frontière de CRS se met en place devant le bâtiment E. Il est encerclé.

Au début, nous avions encore la possibilité d’être au niveau de l’allée couverte. Des personnes de toute l’université échangent leurs opinions. Cela s’étend du passage abrité à la Maison de l’Etudiant.e.

Entre-temps, les étudiant.e.s qui occupaient la E01 ont pu accéder au toit et s’y sont réfugié.e.s, anticipant l’entrée des CRS.

A un moment, les CRS nous repoussent. Par réaction et pour empêcher leur avancée, certain.e.s s’assoient sur la pelouse. Nous continuons à discuter. Il pleut.

« Flics hors de nos facs »

« Les CRS, y en a marre
La répression, y en a marre
La sélection, y en a marre
Et Balaudé, y en a marre ! »

« Flics à la fac, cherchez l’erreur ».

13h51 : Les CRS ont troqué leur casque pour leur képi.

14h30 : Ils quittent la devanture du bâtiment E. Nous les saluons. Une partie des étudiant.e.s et du personnel de l’université se déplacent alors à l’intérieur. Les étudiant.e.s qui s’étaient réfugié.e.s sur le toit descendent progressivement.

Nous nous asseyons dans la salle E01. Très rapidement, une organisation se met en place, des tours de paroles s’établissent.

Retranscription partielle de ce début d’assemblée. Dans la mesure où l’assemblée a été dissoute très rapidement et dans l’urgence, aucun compte-rendu n’est disponible à notre connaissance.

N.B. : Cela étant un début de concertation, ce n’est à ce moment pas l’opinion de la salle, mais celle des intervenants.

  • 1e prise de parole : Ressort le fait que chacun.e soit là en tant qu’étudiant.e, que toute syndicalisation ou appartenance à un groupe politique particulier est hors jeu.
  • 2e prise de parole : La démission de Jean-François Balaudé est demandée.
  • 3e prise de parole : on envisage — avec espoir — la suite des événements. Cours alternatifs, conférences…
  • 4e prise de parole : Un étudiant de Paris 8 (il étaient deux et étaient arrivés suite au partage de photos de la présence des CRS) prend la parole : appel à la mobilisation interfac, proposition de créer une délégation mobile afin de s’inspirer et de se coordonner.
  • 5e prise de parole : Quelques inquiétudes cependant vis-à-vis de la répression policière : puisque nous ne sommes pas en “sécurité” dans notre fac, faudra-t-il organiser des tours de garde ? L’intervention policière surviendra avant même que toute prévention/mesure de précaution pour éviter la violence puisse être mise en place.
  • 6e prise de parole : Lecture d’un communiqué rédigé par le personnel universitaire indigné face à l’intervention des CRS ordonnée par la présidence et sans motif valable. Le conseil d’administration n’a pas pu se tenir : « On ne débat pas à l’ombre des matraques ». La tenue d’un débat ouvert est demandée, débat qui n’a pas pu avoir lieu jusqu’à présent.

Applaudissements enthousiastes. Après leur lecture, le personnel universitaire quitte la salle et se réunit dans le hall. Quelques un.e.s restent avec les étudiant.e.s.

15h : Les CRS reviennent dans le bâtiment E. On les entendait aussi sur le toit. La plupart des personnes rassemblées vont vers la porte afin de les empêcher d’entrer dans la salle E01. Cela échoue, ils rentrent de force. Un étudiant est sérieusement blessé.

Selon un enseignant, les CRS tentent de séparer en trois groupes les personnes présentes pour les évacuer (le personnel dans le hall, les personnes dehors et les étudiant.e.s dans la salle E01).

15h09 : Notre stratégie générale redevient l’initiale. Nous nous asseyons tous en rond et au centre de la salle, le plus près possible de la porte.

15h23 : La police veut « contrôler les identités ». Puis, ils précisent qu’ils demandent pour cela la sortie des étudiant.e.s un.e par un.e.

Nous refusons nettement. Le débat est contraint de dériver sur cette interruption.

Nous leur demandons : Pourquoi ? Que recherchez-vous ?

Nous recentrons le débat sur ces questions : Pourquoi êtes-vous intervenus à l’université ? Quelles sont vos consignes ? Où est Jean-François Balaudé ? Que la présidence vienne échanger avec nous ! Les pompiers sont-ils venus chercher le blessé ?

Répondez au constat de la démesure de vos actes.

Le policier délégué se retire.

15h46 : Nouvelle : « S. s’est fait embarqué, il n’y a plus personne dans le hall. »

15h50 : Une missive de Jean-François Balaudé est lue par une doctorante. Il accuse l’impossibilité de dialogue entre les « vingt mobilisé.e.s » et l’administration. Il tente de justifier l’intervention policière par cette impossibilité.

Plus de 35.000 étudiant.e.s sont inscrit.e.s à Nanterre. 30/30.000 = 0.001.

15h52 : « Paris 1 et Paris 8 viennent d’arriver. »

Cette annonce passée, nous avons été dans l’incapacité de relater les faits de l’heure violente qui suivit. Pour cause :

Voyant les policiers s’avancer soudainement vers nous, nous nous resserrons. Certain.e.s, proches du tableau, sont isolé.e.s et sorti.e.s de la salle.

Nous nous réfugions contre le mur du fond, toujours soudé.e.s, et nous nous réinstallons, collé.e.s les un.e.s aux autres, assis.es et nous tenant fermement les bras.

Ils accélèrent, jettent les chaises encore debout entre eux et nous. Assis.es par terre, nous ne pouvons pas nous défendre, plus rien ne nous sépare matériellement d’eux. Il faut rester calme alors même qu’à sa gauche, une personne se tord de douleur, les yeux imbibés de gaz projeté à bout portant, et, qu’à sa droite, une autre est emmenée hors de la salle, traînée par les pieds. Nous sommes impuissant.e.s.

Ils nous arrachent, un.e à un.e, de la chaîne que nous avions créée. Ils tirent les bras, le cou, les vêtements, les jambes. Ils nous traînent et nous font mal. Nous sommes jeté.e.s dehors.

“Nous tenons à réaffirmer notre attachement au débat et à la libre expression, dans des conditions qui le permettent.

Très sincèrement,

Jean-François Balaudé, Professeur de philosophie
Président de l’université ”

Communiqué du président. Lundi 9 avril 2018, 20h20

Vers 16h : Nous arrivons dehors complètement sonné.e.s. Trois étudiants ont été menottés et sont retenus par les CRS à l’intérieur. Ce sont des étudiants qui s’expriment souvent publiquement, qui assument leur position et les partagent.

16h15 : des étudiant.e.s d’autres universités mobilisé.e.s contre la loi ORE — entre autres revendications — et alerté.e.s ont rejoint le campus.

La porte est désormais blindée par les CRS.

Nous sommes dehors et nous ne pouvons qu’observer ceux qui, de l’autre côté de la vitre, sont menottés, fouillés, puis emmenés au poste de police de Nanterre.

Il nous manque ici des éléments.

Vers 17h00 : Déplacement de tout.e.s vers le bâtiment B où siège l’administration générale. Nous voulons que le président de l’université, Jean-François Balaudé, descende. Pourquoi avoir fait appel aux forces de l’ordre pour déloger des étudiant.e.s occupant une salle sans la dégrader (première intervention policière) et réuni.e.s par la conjoncture du jour (deuxième intervention) ?

17h39 : Au bout d’une heure, sans autre réponse que la figure sans parole des CRS, nous nous sommes résolu.e.s : une délégation rentre dans le bâtiment B, pile dix personnes (il existe un enregistrement de cette rencontre).

17h40 : On nous confirme que 6 étudiants ont été emmenés en garde à vue.

17h45 : Une partie d’entre-nous s’en va en direction du commissariat. On exige la sortie des étudiants placés en garde à vue. Les autres restent sur le campus, en attente de la délégation.

18h16 : Sortie de la délégation. Bilan : « un dialogue de sourd ».

20h20 : Au commissariat de Nanterre. Les 6 étudiants en garde à vue sont déplacés dans différents commissariats.