aux Mureaux, il était une fois les CROMS entretien avec Birane, Diak, Mao & Salif

aux Mureaux, il était une fois les CROMS

Protagonistes du film De cendres et de braises de Manon Ott, les CROMS ont grandi aux Mureaux, dans le quartier de La Vigne Blanche, construit dans les années 1960 pour loger les ouvriers de l’usine Renault à Flins où travaillaient leurs pères. Manon Ott et Grégory Cohen les ont rencontrés il y a plusieurs années, et les CROMS ont bien voulu se prêter au jeu d’une nouvelle rencontre.

— Moi c’est Mao, Abdoulaye de mon vrai prénom, membre actif des CROMS ce qui veut dire « Citoyens-réprimeurs de l’oubli et de la misère sociale », il faut le préciser.
Les CROMS à la base, c’est là où on habite. Nous habitons dans le quartier de La Vigne Blanche aux Mureaux, et les KROM c’est le nom d’une petite partie du quartier, notre rue : les Giroflées. Quand on s’est monté en asso, il a fallu rendre le truc un peu sérieux, mais avec la lettre K c’était trop compliqué, et ça a donné les « CROMS » : « Citoyens réprimeurs de l’oubli et de la misère sociale ».
C’est la situation qu’on vit au quartier et la précarité. On est complètement oublié par la société et rejeté, en tout cas c’est ce qu’on ressent, du coup on vit dans une misère sociale.
Voilà pourquoi on a décidé de se structurer pour donner un peu de baume au cœur aux citoyens de notre ville et d’ailleurs, avec nos propres moyens. Les CROMS c’est une équipe de fous, de poteaux, de frères. On a tous grandi ensemble.

— Tous voisins.

— C’est une belle équipe. Nous nous connaissons depuis toujours et c’est ce qui nous fait le plus kiffer. C’est au delà d’une association, au delà d’une amitié, c’est réel.

— Les gens en pètent même un câble !

— J’ai un poteau, Coutlar, qui m’a dit il n’y a pas longtemps : « J’ai grandi avec des mecs, je ne sais pas ce qu’ils deviennent. Vous, je sais pas comment vous faites, vous me faites péter un câble ! » Chaque mois, on a pour habitude de faire un petit resto. Nous avons notre groupe sur What’s app. Nous sommes toujours autant soudés, et nos enfants grandissent ensemble, et c’est lourd ! Voilà les CROMS, c’est une famille.

— Le nom les KROM, c’est même avant nous, c’est Poulet je crois.

— Non, c’est Oumal.

— Oui, c’est Oumal. Il a blazé KROM. 

— C’est un blaze qui est devenu un quartier. Ça s’est « épongé » sur nous ; si je puis dire.

— Les petits frères ont pris le relais : les mini CROMS. C’est la génération d’en bas. Une fois par an, il y a un resto avec les petits CROMS.

— Ce sont les petits frères, mais ce sont des hommes, nés entre 1987 et 1991. Nous sommes de 1981 à 1985. C’est Mamadou, ici, le vieux père.

— Quand les gens viennent dans notre quartier, ils disent tous : « on va aux CROMS ». Les vieux, eux, entendent, mais ils n’emploient pas le mot « CROMS ». Quand on fait un barbecue, on essaie de réunir tout le carré. Combien ça fait ?

— Je n’ai jamais compté.

— On ne peut pas compter. Entre nous, on est seize dans l’asso, mais pour le barbecue, on prend tout le terrain : les enfants, les cousines, les parents, les voisins.

***

— La toute première fois, nous avons organisé un voyage au ski. Nous avons fait un nettoyage dans le quartier, et, avec l’argent gagné, nous sommes partis au ski. Mon père m’a dit : « Il n’y pas de grands, tu ne pars pas ! » Nous avions dix-sept ans. Finalement, on est partis et ça s’est bien passé.

— Nous faisions déjà des activités pour les enfants bien avant d’être une asso.

— Nous avons organisé un premier tournoi de football à Coubertin.

— Manon et Greg ont filmé le tournoi à Coubertin. Il s’était tellement bien passé.

« On est seize dans l’asso, mais pour le barbecue, on prend tout le terrain : les enfants, les cousines, les parents, les voisins. »

— Plus tard, il y a eu une grosse action qui a été menée par des mecs du 94.

— Pour la Somalie.

— Pour la corne de l’Afrique.

— Ils récoltaient des denrées. On a voulu les accompagner dans leur action, on a fait appel à nos réseaux sociaux. Des gens de partout, de Montreuil,… se sont déplacés aux CROMS.

— On a été débordé.

— On ne s’y attendait pas. C’était de tous les côtés. Des tonnes et des tonnes de denrées.

— On les a transférées à l’association du 94, ils n’avaient même plus de place, ils ne s’y attendaient pas. « Vous faites quoi les mecs ? »

— Même nous ! Nous étions surpris.

— Ils avaient pris la chose à la légère. Ils ont finalement dû affréter un avion militaire.

— Ils disaient : « on va remplir deux ou trois conteneurs ».

— Et nous, nous parlions en kilos, 100 kilos.

— Mais, tellement, il y en avait. C’est notre plus grosse action. Sur deux week-ends.

— Aux CROMS.

— Tout le monde.

— Des Arabes, des Blancs.

— Et tout le monde est venu aux CROMS, ce jour-là, on a vu toutes les nationalités.

— Tous.

— Tous.

— Il y avait même des gens qui passaient, qui demandaient : « Qu’est-ce qu’il se passe ? ». On a dit : « C’est ça qu’il se passe. » « Attends ! J’arrive. »

— Je te jure.

— Ils arrivaient, paf ! Ils allaient acheter un sac de riz. Ils revenaient.

— Certaines personnes ont même voulu donner de l’argent.

— Et après on a aussi fait deux trois maraudes. Nous avons apporté des denrées aux migrants à Stalingrad, à Flandre. Ça demande beaucoup d’énergie. On aime faire une grosse action.

— Et puis on se repose.

— Ça dépend de l’actualité, on a toujours fonctionné comme ça.

— Nous n’avions pas idée de faire une asso. Pour nous, c’était pour un délire, pour nous amuser et faire des sorties.

— Nous avions eu la chance de faire beaucoup de choses, nous avons fait du base-ball… On faisait participer tout le quartier, on animait le truc sans être structurés. On ne savait pas qu’il fallait obtenir un arrêté municipal.

— La mairie a essayé de nous passer de la crème, de nous récupérer, ils n’ont pas réussi.

— Voilà ! En vrai, c’est juste ça.

— Pour nous crémer en vrai.

— C’est ça.

— Je pense qu’à un moment donné, ils ont voulu nous contrôler, avoir la mainmise sur nous. Ils n’ont pas réussi.

— Exactement. Ils n’ont pas réussi.

— On ne s’est pas éparpillés, on est restés dans notre truc. On veut s’amuser, on n’a pas besoin de vous. On leur a fait savoir. On ne s’est pas laissé faire.

— Au départ, tout sortait de notre poche. La première activité, ça a été de ramener des structures gonflables pour que les enfants jouent dedans, et nous n’avions eu d’aide de quiconque. Ça a tellement bien marché qu’on l’a refait.

— Ils ont vraiment tout fait pour nous avoir.

— On avait mis une cotisation en place. Tous les mois on cotisait. Et puis après on a eu…

— Heureusement que notre bailleur social était avec nous ; ils nous ont beaucoup aidés, financièrement. La deuxième fois, avec les structures gonflables, c’était sur leur terrain, ils nous ont dit : « puisque c’est chez nous… » On leur a dit : « Let’s go. » Depuis, notre bailleur nous aide, et aujourd’hui, c’est encore eux.

— Ils nous ont donné des moyens.

— Parfois, ils ont des projets : par exemple, ils font nettoyer les cages d’escalier. Ils passent par nous, les CROMS, pour recruter, et les jeunes y gagnent un petit salaire. Ce sont des jobs d’été qui les occupent aussi. On ne s’y attendait pas, mais on n’était pas surpris, cela suivait son cours.

— C’est comme la rencontre avec Manon, c’était naturel, il n’y avait pas de surprise, il n’y avait pas de vice.

— Je me souviens, c’est Mao qui est venu avec Manon et Greg. On a dit : « mais d’où ils sortent ceux-là. Tu me fais rire. »

— On s’est tous posé la question.

— Comme on était tous jeunes et un peu matrixés, tout ce qui venait de l’extérieur, il fallait faire attention.

— On appréhendait. On appréhende toujours.

— On avait ces petites craintes.

— Et en fin de compte tout va bien.

— Tout va bien. Manon ne nous a pas menti.

— Aujourd’hui, on est tous papas. On a tous nos jobs. On ramène toujours les structures gonflables une fois par an, on essaie de faire bosser les jeunes. Et on continue de se voir. Mais ça devient très compliqué de nous réunir tous ensemble. L’autre habite là, moi j’habite dans ce secteur là, l’autre il habite là-bas… C’est de l’autre côté.

— Si on n’avait pas les parents aux Mureaux, on n’y aurait peut-être plus mis les pieds. Quand je bossais là-bas, j’allais tous les jours déjeuner chez ma mère. Quand j’ai arrêté, ça lui a fait un truc très bizarre. Elle m’a appelé, je lui ai dit : « Mais, maman je ne travaille plus là… ». Elle me voyait sept jours sur sept, et maintenant elle me voit deux jours sur sept.

— Je suis un Muriotin, et je vais mourir en Muriotin.

***

— L’éducation, c’est chaud en banlieue par rapport à Paris. C’est pas la même. Je vois ma fille, elle a huit ans, je suis à fond derrière elle, parce que ça va être chaud. Elle fait des fautes, et la prof lui met un A. Pour moi, elle mérite pire qu’un D.

— Attends, c’est plus compliqué. Je pensais que mon fils était très bon, j’habite dans un quartier assez aisé et j’ai fait une comparaison avec mon neveu qui habite aux Mureaux, dans un quartier assez sensible comme ils disent. Mon neveu des Mureaux demande à faire un baccalauréat. Je vois le niveau de mon neveu et celui de mon fils, ça m’a fait un choc. Mon neveu est beaucoup plus avancé que mon fils ! Pourtant, c’est mon fils qui est dans un quartier aisé.

— Il faut être derrière eux…

— On dit qu’il n’y a que de mauvais professeurs dans les quartiers sensibles. Finalement, ça dépend.

— Aux Mureaux, ils ont ce qu’il faut. Mais on ne le sait pas. On a ce qu’il faut mais on ne le sait pas forcément.

— L’éducation, c’est primordial. Je n’aimais pas l’école. Aujourd’hui, j’écris bien, j’ai appris à aimer l’école il n’y a pas très longtemps. J’ai refait une formation, et j’ai corrigé mes fautes, je suis fier de moi. Je nargue ma femme, j’écris mieux qu’elle parfois. Elle a bac + 2, frère, et je fais moins de fautes d’orthographe qu’elle.

— Je n’ai pas été à l’école pour être formé, j’y ai été parce qu’on m’avait dit : « C’est obligatoire jusqu’à 16 ans, après tu fais ta vie. ». Alors le moment venu, je n’ai pas été passer le BEPC, j’ai jeté le cartable.

— L’orientation ! Moi j’ai choisi BEPSMA. Mais on ne m’a pas laissé faire. Nos parents ne savaient pas lire. Nos enfants ne feront pas cette erreur. Nous sommes de la première génération.

— On est que des charlots.

— Mon père regardait les bulletins scolaires : « Qu’est-ce qu’il y a écrit ? ». Je lui lisais : « Un élève modèle, il travaille très bien », or j’étais un cancre. L’école, ce n’était pas mon truc.

— Mon échec scolaire, c’est moi qui en suis la cause ! Le déclic, c’était au lycée, au collège tu as tes capacités mais à partir du lycée, soit tu veux, soit tu ne veux pas. Diak, lui, a fait des études, il est comptable, tout va bien pour lui.

— Moi, c’est vrai qu’après la troisième j’ai fait un BEP Compta puis une première générale. Franchement, elle était catastrophique. Ce que nous disions il y a un instant sur les niveaux d’études en banlieue, j’ai clairement vu ! En BEP, j’étais le patron. Je ne révisais pas. 18 de moyenne, je faisais le « kéké ». Arrivé en générale, la réalité m’a rattrapée, il fallait bosser. Ça m’a dégouté. L’année d’après, j’ai arrêté l’école, j’ai été travailler direct, j’avais trois vies, je faisais de la livraison, je travaillais dans un bar le week-end. Puis, je me suis posé, et je me suis dit : « Je ne vais pas faire ça toute ma vie ». J’ai repris un BTS compta et j’ai trouvé un emploi chez Décathlon.

***

— On a tous fait Renault, en BT ou en intérim. Terrible, Il fallait voir ce que c’était ! Je peux vous dire que quand vous sortez de là-bas !

— Je ne veux plus y retourner. « Viens, fils ! Viens regarder ! »

— C’est quoi ce que disait ton père : « si tu n’as pas les mains gonflées ? »

— La première fois que j’ai bossé là-bas, j’ai tenu trois jours ! Trois jours. J’allais avec mon père, je retournais avec mon père. Mon père me regardait les mains. « Tu n’as pas travaillé ! » Quand je me suis fait virer, il m’a dit : « Si tu n’as pas les mains gonflées, c’est que tu n’as pas travaillé. »

— C’est que tu n’as pas travaillé !

— Mais c’est vraiment réel.

— Le deuxième contrat, j’avais les mains gonflées. « Papa, regarde ! J’ai les mains gonflées. » « Là, tu as travaillé mon fils. »

— Tu as travaillé.

— Non mais c’est réel, tu as les mains gonflées. C’est une folie Renault !

— Je me souviens, un été j’ai fait le poste du cardan… Chaque fois, j’arrêtais la chaîne. C’est au niveau de l’essieu, on a trente secondes, on fout le cardan, il faut le rentrer dans le noyau, tu mets un boulon, tu vas chercher le détecteur d’ABS, tu le visses clac-clac, tout ça en moins de trente secondes. C’est comme ça. Puis tu dois appuyer sur un autre bouton, qui ramène un autre moteur. Si tu ne l’as pas fait en trente secondes, tu arrêtes la chaîne !

— On dit : « t’as coulé, t’as coulé ».

— T’as coulé.

— « Si tu coules, appelle ! »

— « Ne coule pas ! »

— Je prenais mes détecteurs d’ABS tac-tac-tac comme ça je n’avais pas ce truc à faire. La chaîne, je l’ai arrêtée vingt fois la chaîne.

— Juste avant l’enfer, il y a Renault.

— Ah oui.

« Juste avant l’enfer, il y a Renault. »

— En septembre, quand tu reprends l’école tu te dis : « Je savais pas pourquoi j’allais à l’école, maintenant, je sais. ».

— Je ne voulais pas aller à Renault mais je ne voulais pas non plus aller à l’école. Comme ça, c’était clair. Mais Renault, non !

— J’ai été en tôlerie. Le plus dur : c’était au pendis, mais ça va.

— Moi aussi, j’ai fait la tôlerie. J’ai fait le capot et le coffre.

— Moi, j’ai fait trois semaines de chaîne.

— Moi, onze mois.

— Avec mes parents, ils ne veulent pas comprendre, c’est tout droit, va dans cette direction, va tout droit. T’essaie d’ouvrir cette porte-là, et ne va pas à gauche.

— Tu fais ce qu’on te dit, tu ne demandes pas pourquoi !

— Ils ne connaissent pas les manifestations, les grèves. Ce n’est pas dans leur culture. Lorsque j’essaie de leur expliquer, ils disent : « Arrête de faire le fou, regarde ce que j’ai vécu. »

— Et à ce moment-là tu arrêtes direct !

— À partir de là, tu la fermes. Mais nous savons ! S’ils savaient la révolution que j’ai faite à Renault ils me tabasseraient. J’ai déplacé des meubles à mon échelle. J’ai fini en liste rouge. J’ai bossé avec ce vieux papa : il était comme mon père. Il était tout vieux, tout petit, tout maigre. Et moi, ça faisait 6 mois que je bossais là-bas. Ils l’ont placé à un poste : il fallait qu’il porte des grosses pièces, pour les accrocher. C’était un poste très dur ! Et cela me dérangeait de le voir comme ça. J’étais sur le côté et je connaissais tous les postes ; j’étais aux machines, et quand j’avais du temps, j’allais l’aider. Le patron m’a dit : « Retourne à ton poste ». Moi : « Comment ça ? Il pourrait être votre père ! Il ne peut pas faire ce poste-là ! » J’ai eu gain de cause et ils l’ont changé de poste. Un jour, je livrais (pour UPS) et j’ai rencontré mon ancien patron à Renault, il disait à son collègue : « ce mec là, il travaillait tellement bien mais qu’il a une grande gueule ! » Si je racontais à mon père ce que j’ai fait, il me traiterait de malade. Après, le vieux papa, il collait des étiquettes — tranquille — sur sa chaise. J’étais content !

***

— Nous avons rencontré le maire des Mureaux avant la coupe du monde. Il nous a convoqués. Il voulait nous rencontrer. Nous avions plein de projets. Nous voulions aussi le « gronder », si je puis dire. On était révoltés. Comment ça s’est passé ? C’était magnifique ! Il est très fort. On est rentrés, énervés. On est sorti avec le sourire, mais il nous l’a mise. On voulait des aires de jeu, des terrains, on voulait faire un gros match de foot… À la fin, il nous a dit « oui, oui ». Au final, on n’a rien fait. C’est un technicien, il nous a lavé le cerveau, on est ressorti, on s’est regardé, on est arrivé révoltés et on est reparti souriants.

— C’est un politicien.

— Pour faire quelque chose, il aurait fallu passer par plein d’étapes et nous avons la flemme d’en passer par là. Il fallait contacter untel et untel et untel.

— Nous voulions juste faire. À une occasion, nous avons fait un spectacle, les CROMS ont travaillé, et ils la mairie ont fini par mettre leur logo. On l’a eu mauvaise et on a décidé de ne plus travailler avec eux. On se révolte intelligemment.

— On passera par le bailleur plutôt que par la mairie. Le bailleur ne va pas nous trahir. Ils ont du patrimoine et pour ne pas le dégrader, ils travaillent avec nous. On est comme un vieux couple, on se dit les choses. Si ça doit chauffer, ça chauffe.

— Les Mureaux ont beaucoup changé. Je n’étais pas d’accord au début. Ils détruisaient nos bâtiments, ils déplaçaient nos parents, mais maintenant, je vois le boulot qui a été fait, et cela fait plaisir. En face de chez mes parents, il y a un parc avec des transats. Tu te poses là ; tu vois tout le quartier. C’est magnifique ! Avec un petit ruisseau, au milieu. Je suis tombé amoureux carrément de ce paysage. J’y vais tous les week-ends avec les petits. Tranquille ! Et puis tout récemment, ça faisait plus de dix ans que nous réclamions une aire de jeux pour les jeunes, et là, j’ai vu la semaine dernière une aire de jeux. J’en avais une larme aux yeux.

— Le grand toboggan ?

— En gris ?

— C’est dingue. J’y étais avec Aïcha.

— Chaque fois qu’on passe, Bacail me dit : « Papa, papa, arrête-toi ».

— J’y suis allé.

— T’es obligé.

— Je lui dis : « vas-y ».

— Avec ma fille.

— J’ai dit : « on le fera un jour ».

— Il a l’air content.

— « Papa, papa, arrête-toi. »

— Il est lourd le truc. C’est magnifique !

— Il a l’air pas mal.

— C’est dangereux pour eux on dirait.

— Juste à côté, il y a un genre de scène où tu peux faire du roller.

— Ils ont bien fait le truc.

— Tu peux faire une scène. Tu peux faire un concert.

— Il faut y aller.

— Il y a une fontaine d’eau.Pour ça, je ne peux que féliciter le maire.

— Ils ont cassé beaucoup de bâtiments : la Dent du huit, les Tulipes.

— Toutes les tours, oui.

— Certains ont été relogés ici, d’autres dans d’autres quartiers, d’autres dans d’autres villes.

— Chez d’autres bailleurs, même.

— On leur laissait pas trop le choix, sinon on allait les envoyer chez d’autres bailleurs.

— Notre bâtiment, le QG des CROMS, n’a pas été détruit, à part une toute petite partie. Mes parents n’ont pas été déplacés. Ses parents à lui ont été déplacés aux CROMS.

— Leur bâtiment a sauté.

— Les parents de Brahim aussi, ils ont été déplacés, pas très loin des CROMS.

— Autour de nous, les parents sont restés dans le coin. Mais les escargots et les hérissons ne sont pas revenus. Il n’y a plus de buisson.

— Ils ont planté quelques arbres.

— Il n’y a plus de buisson.

— Ils ont fait un petit ruisseau, on verra s’il y a des têtards.

— Des têtards.

Post-scriptum

Photo en tête d’entretien : portrait des Croms extrait du film De cendres et de braises de Manon Ott.