Vacarme 13 / processus

l’âge de sang

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Il y a longtemps de cela, j’habitais dans des villes. Je me souviens de la maison dans laquelle je suis resté presque toute ma vie. Il me serait impossible de l’oublier. Lorsque je me rappelle de tel moment ou de tel événement, la maison désigne immanquablement le cadre de cette chose, et bien qu’il se puisse trouver des instants passés loin de la maison, elle n’en demeure pas moins le point de départ ou d’arrivée, le refuge ou la prison de la mémoire et du temps. Comme si la mémoire et le temps éprouvaient, eux aussi, le besoin de se protéger.

J’ai vu un jour une maison brûler.

Cette maison n’était pas la mienne et les gens qui ont brûlé dans cette maison, je ne les connaissais pas. Ils n’étaient pas de ma famille, je n’avais aucun lien avec eux. Cependant, ils sont morts et la maison est morte également comme s’il avait été décidé que ce serait cette maison et pas une autre, pas la mienne, qui serait dévorée par les flammes.

Pour situer ce drame et l’associer à ma maison, je pourrais dire que cela s’est passé à côté de chez moi et que si ce jourlà j’avais été négligent ou si la malchance avait décidé de frapper à un autre endroit, c’eût été moi qui aurais péri dans ce feu. Cependant, cela ne m’implique d’aucune manière dans cette histoire. Sinon que je fus témoin de cette scène. Dans mon souvenir, j’étais là et je regardais.

Quelques jours plus tard, je revenais de l’école et je m’arrêtais brusquement devant chez moi.

Ma maison, ainsi que celles qui se trouvaient autour, étaient recouvertes d’immenses draps noirs et au-dessus de chacune des portes, il y avait des couronnes de fleurs mortuaires.

Un quartier entier portait les couleurs de la maison brûlée et de ses habitants disparus dans les flammes.

Pourquoi devions-nous supporter les conséquences d’un tel drame ? Qui avait tracé sur notre façade le signe du deuil et de la mort ?

Pourquoi la maison devait-elle aussi participer de cette tragédie humaine ? Ce fut un événement majeur qui marqua mon enfance.

Dans ma maison, il y avait un placard assez grand dans lequel je m’enfermais lorsque j’étais seul. Je restais des heures dans ce placard. Je respirais mal. Je respirais mon odeur et celle de mes habits. Je respirais l’air que je recrachais dans le placard. Je respirais l’air du placard mêlé à l’air de mes poumons. Il n’y avait pas de lumière. Il n’y avait que moi de vivant dans le placard. Une fois à l’intérieur, je restais un long moment assis, avant de pouvoir distinguer les choses. Puis, les murs devenaient visibles. Visibles les motifs de la moquette sur le sol qui dessinaient des doigts s’emmêlant dans les plis de vêtements traînant par terre. Visibles les boîtes sur les étagères au-dessus de moi et je voyais leurs étiquettes jaunes en me penchant un peu. Elles brillaient. Elles formaient des panneaux de signalisation qu’on voit sur les autoroutes, la nuit. Je voyageais. J’étais loin. Il y avait aussi les yeux.

Je voyais aussi les yeux. Les yeux du démon.

Sur le mur, juste derrière moi, il y avait deux éraflures en forme de losange, celle de droite un peu plus basse que l’autre. C’était les yeux d’un visage penché, un visage qui regardait en bas, le vrai visage du démon.

Lorsque j’entrais dans le placard, j’ouvrais la porte et la lumière s’introduisait dans le placard. Le démon me fixait mais la lumière aveuglante masquait son regard. Ce n’était qu’une fois à l’intérieur que ses yeux apparaissaient. Ils n’exprimaient rien. Comme s’il s’agissait d’un lieu qu’il avait lui-même habité dans un temps reculé de l’histoire de cette maison car les maisons ont elles aussi une histoire.

Un lieu qu’il avait sans doute habité et qu’il avait fini par abandonner pour habiter ailleurs.

Je ne sentais pas sa présence près de moi. J’étais seul. Il n’y avait rien ni personne avec moi quand je me trouvais dans le placard. Il n’y avait que moi. J’étais dans le placard et je peux affirmer que dans le placard il n’y avait que moi et des objets qui ne vivaient pas au moment où je me trouvais dans le placard.

Une fois, je suis sorti du placard et il faisait nuit dans la maison. Je crois que je m’étais endormi bien que l’atmosphère du placard ne fût pas propice au sommeil. Il y avait beaucoup de choses à faire dans ce placard et je ne m’ennuyais jamais.

Je rêvais.

Je pensais à des tas de choses. Je voyais ma vie.

Je m’imaginais dans des lieux inconnus de moi. J’étais prisonnier du placard mais j’étais libre d’aller où je voulais sur cette terre. Je voyageais. J’étais loin. J’étais loin de tout.

Je rêvais.

Cette fois-là, je suis sorti du placard et il faisait nuit dans la maison. J’ai descendu les marches de l’escalier et je suis entré dans la salle de bain. J’ai allumé la lumière. Je me suis regardé dans le miroir.

J’avais le visage couvert de sang.

Mon nez avait saigné pendant que j’étais dans le placard et mon visage était recouvert de mon sang comme si l’on s’était acharné sur mon visage, comme si l’on m’avait versé un sceau de sang sur le visage.

Je n’avais pas peur.

Je me voyais dans le reflet du miroir et je voyais quelqu’un d’autre. Peut-être mon vrai visage.

Peut-être que le visage que je voyais était-il mon vrai visage. Comme les yeux griffés du démon sur le mur du placard, le vrai visage du démon. Ce jour-là, j’avais laissé une partie de moi-même dans le placard et j’étais sorti avec un nouveau visage et un nouveau nom. J’avais accédé à l’âge de sang.

L’âge où l’on se regarde dans le miroir et où l’on voit son nouveau visage et les traces encore fraîches du visage que l’on vient d’abandonner. Les traces qu’il laisse derrière lui sont des traces de sang car le passage d’un âge à un autre ne se fait pas sans douleur ni sans souffrance.

La peau se retire d’abord doucement. Puis, il faut tirer dessus et des morceaux de visages viennent avec. Des morceaux appartenant au vieux visage, celui que l’on va oublier pour un temps. Ils viennent avec parce qu’ils éprouvent du regret à laisser la place à autre chose, à une autre vie, à un autre âge. L’âge de sang.

Devant le miroir, je me suis essuyé le visage et en-dessous il y avait quelqu’un d’autre.

Quelques années après j’ai vu un film sur ce passage d’un monde à un autre, d’un temps à un autre, d’un âge à un autre.

Dans ce film il y avait une jeune fille. C’était son histoire et c’était l’histoire de son passage à l’âge de sang. Elle s’appelait Carrie, Carrie White. Au début du film, elle est seule et elle prend sa douche. Dans sa douche, elle se met à saigner. Mais le sang coule et le sang se mêle à l’eau et l’eau s’en va. Elle a peur. Elle a peur parce qu’elle ne sait pas encore qu’elle est dans le passage.

Elle ne comprend pas encore ce qu’il lui arrive parce que sa mère ne lui a pas encore expliqué. Avec sa mère, ils vivent dans une maison.

Les maisons sont au cœur de toutes ces choses qui nous arrivent. Ces choses qui nous arrivent lorsqu’on passe d’un monde à un autre.

La mère de Carrie White, est une mauvaise mère. Elle se comporte d’une manière rigide et violente avec Carrie. Carrie est belle.

Carrie se regarde dans le miroir et elle voit qu’elle est dans le passage. Carrie voit tout à coup qu’elle est une femme. Cette femme est belle. Carrie est dans le passage maintenant. Dans la maison de Carrie, il y a un placard. Un placard dans lequel Carrie va se recueillir. Dans ce placard, il y a aussi des yeux, les yeux du démon qui nous regardent à travers les yeux du Christ sur la croix qui est posée sur une petite étagère.

Les yeux du démon à travers les yeux du Christ, luisent dans le noir. La mère de Carrie est méchante. Carrie est belle.

À l’université, Carrie est la plus belle. Mais les autres filles de l’université sont jalouses d’elle et de sa beauté. Puis, un jour, il y a un bal qui est organisé dans l’université. C’est le bal où Carrie sera la plus belle. C’est le bal où les autres filles vont se venger de Carrie et de la beauté de Carrie. Les autres filles qui sont jalouses de Carrie vont verser sur Carrie un plein seau de sang de porc. Carrie est sur la scène où toute le monde la regarde parce qu’elle est belle et qu’elle est la reine de ce bal. Et Came est recouverte de sang. Et la vie de Carrie bascule dans l’âge de sang.

Carrie a des pouvoirs qu’elle tient sans doute du démon caché dans le placard qu’elle voit souvent mais dont elle ignore encore toute la force.

Alors Carrie met le feu à la salle de bal et tout le monde périt par les flammes. Carrie sort de la salle de bal et retourne chez elle où - sa mère l’attend pour la tuer. Mais Carrie tue sa mère et s’enferme dans le placard avec elle. Ils sont trois maintenant dans le placard avec le démon dont on voit les yeux à travers les yeux du Christ.

Et la maison s’enfonce dans le sol. Et la maison brûle sous nos yeux.

J’ai passé du temps à essayer de comprendre ce qui pouvait bien nous relier au souvenir.

Le souvenir d’une chose qu’on a perdu. Qui a brûlé. Qui s’est noyé.

J’habitais dans les villes.

Je prenais les trains pour me rendre à l’école. Je voyais les maisons et les rues défiler, défiler les autos, les heures, les saisons, les images.

Je me rendais dans une petite commune de la banlieue parisienne qui s’appelle Le Bourget, une petite commune comme il en existe tant d’autres de part le monde.

À l’entrée de cette commune il y a un panneau qui indique le nom de la commune et le nom des villes avec lesquelles cette commune est jumelée. L’une de ces villes porte le nom d’ Amytiville et entre ces deux villes il existe une certaine fraternité qui s’est nouée au fil du temps, un secret qui unit ces deux villes dans le sang. On envoie des enfants de la commune du Bourget passer des vacances dans la ville d’Amytiville qui est en Amérique. D’autres enfants de la ville d’Amytiville viennent au Bourget lorsqu’il fait beau et prennent le train et voient défiler les maisons, les rues, les autos et les heures chaudes lorsque c’est l’été dans la ville du Bourget.

En Amérique ; on fait des films. Et un jour, on a fait un film qui se passe dans une ville qui s’appelle Amytiville.

Dans cette ville, il y a une maison, comme beaucoup de maisons de par le monde. Cette maison dans le film, s’appelle la maison du diable. C’est une maison qui fut construite sur un cimetière et c’est une maison vers laquelle les âmes des morts convergent. Ces âmes ont perdu quelque chose lorsqu’elles ont franchi le seuil qui les conduisait de notre monde vers le monde aride et désolé des morts. Alors elles veulent nous signifier qu’on leur a ôté le moyen de trouver le repos, le repos auquel elles ont droit. Elles s’introduisent dans la maison par une ouverture dans un des murs de la cave. Elles remontent vers le premier niveau et elles s’infiltrent partout dans la maison. Tout cela prend du temps dans le film mais ce temps est court lorsqu’il s’agit du temps d’une vie.

Elles finissent par se manifester d’une manière spectaculaire car la maison va devenir vivante, aussi vivante que ces âmes l’étaient avant de mourir et la maison va souffrir et la maison va saigner car la souffrance est telle que le sang qui sort des murs de la maison est le sang de celui qui perd la vie alors qu’il n’a rien demandé d’autre que de vivre cette vie le plus longtemps possible jusqu’au moment où la mort doit venir prendre à la vie sa part de mort sans prendre à la vie sa part de vie.

La maison d’Amytiville saigne du sang des morts qui n’ont pas eu ce temps nécessaire à la vie pour entretenir paisiblement la végétation qui fleurit le chemin qui conduit à la mort.

Le long des rails du chemin de fer de la gare du Bourget qui mènent droit vers la ville d’Amytiville, en Amérique, des fleurs, des herbes, parfois de petits arbustes émergeant de buissons brûlés par le soleil quand c’est l’été dans la ville du Bourget. Des enfants sont dans des trains mais ne voient pas ces minuscules fleurs rouges au nom compliqué. Ils ne partent pas en vacances. Ils ne connaissent pas leur destination car sur les trains il n’y a rien d’écrit, sinon des chiffres et des lettres qui peuvent se lire dans n’importe quelle langue, dans n’importe quel sens. En pénétrant dans le train qui attend dans la gare du Bourget, ils ne peuvent pas non plus dire avec certitude de quel côté le train va s’ébranler pour finir par rouler lentement et prendre de la vitesse. Le train stationne dans un virage et on ne peut pas voir de quel côté se trouve la locomotive car le train est si long qu’il rejoint les deux villes d’Amytiville et d’Auschwitz en passant sous l’Océan Atlantique d’un côté et en passant sous l’immeuble où j’habite, de l’autre, à Drancy.

Peut-être se disent-ils qu’il leur faudra marcher d’un côté ou de l’autre jusqu’à l’une de ces villes et que ce train n’est pas destiné à rouler mais qu’il est une sorte de passerelle à quelques centimètres du sol, pour éviter de toucher la terre et d’écraser les herbes et les fleurs avec les pieds. Peut-être se disent-ils cela et bien d’autres choses. Peut-être ne se disent-ils rien. J’ai pris un autobus à Drancy et je suis descendu à la gare du Bourget. De là, j’ai attendu le train.

J’ai regardé le panneau où il était écrit sous le nom de la ville du Bourget, le nom de la ville d’Amytiville.

Je sais que dans cette ville il existe une certaine maison où certaines choses se sont passées.

Dans le train, derrière moi, des enfants sont assis et hurlent en montrant dû doigt quelque chose qui se passe sur le quai d’en face. Mais il ne se passe rien car c’est bientôt les vacances et le soleil a peint en rouge les façades des immeubles qui dominent le petit train qui roule en direction de l’école et c’est de cette couleur que sont nés soudainement le désordre et les cris. Certains y ont vu leur maison en flammes, d’autres leur maison repeinte du sang de leur sang. Mais rien de tout cela ne fut. A l’école, nous allons encore apprendre aujourd’hui des choses intéressantes sur les mots, et sur les images, que l’on pourra disposer à côté des mots pour se souvenir de leur sens ou de leur histoire. La maîtresse qui nous parlera de ces choses qui sont nombreuses et qui présideront à notre avenir, sera vêtue d’une robe légère. Elle aura pris soin de dénouer ses cheveux et de se présenter à nous sous l’apparence d’un ange. Sa voix sera douce. Mais, alors que tout le monde s’apprête à passer une journée agréable, dans une harmonie des couleurs et des sons, il y a cet astre incandescent qui blessé de toute part, déverse sur nous, à la vitesse de la lumière, les couteaux qui saignent nos chairs. Ceux qui se sont élevés il y de cela des millions d’années, vers le soleil, ont été pris de vertige et certains sont tombés à la renverse. Les hommes debout ont laissé derrière eux l’insouciance et la paix de ceux qui rampent et marchent à quatre pattes, et dont l’état contribue à donner à leur mort, une chute moins bruyante. Plus proche de la terre, ils meurent en silence. Leur sang se mêle si rapidement aux rivières souterraines, qu’on les croit issus d’une même famille, émergés d’un même ventre, dans une douleur commune.

Dans ce monde où j’ai vécu, on savait rire, on savait pleurer. On accrochait sur les murs des maisons toutes sortes de souvenirs qui étaient les preuves incontestables de notre bonheur et qui s’animaient lorsqu’on y posait les yeux : Ces photos, ces présents venus des quatre coins de la terre, étaient les liens qui nous unissaient au temps, lorsque ce temps semblait nous échapper.

Oui, je me disais, j’ai vécu cela, je m’en souviens. Si mes doigts ne peuvent toucher le souvenir de ce parfum, la couleur de ce ciel, du moins peuvent-ils écorcher les grains du papier et retenir sous les ongles un peu de cette matière. Elle pénétrera ma peau, et diluée dans mon sang, elle battra au rythme- du temps qu’il me reste à passer avec les miens.

Dans ce monde où j’ai vécu on savait aimer. On passait souvent du temps à construire une chose que l’on mettait par la suite quelques minutes à détruire. Puis l’on recommençait. Le temps ne comptait plus. Ou le temps comptait trop. Dans ce monde, on ne savait rien. On apprenait tout. Mais cela ne servait à rien. On recommençait les mêmes erreurs et l’on se reposait les mêmes questions. On trouvait des réponses, mais ces réponses ne satisfaisaient personne, ou elles contentaient tout le monde. On faisait d’un cas une généralité et l’on ignorait chacun en feignant toutefois une douleur commune à laquelle répondaient des marques de sympathie et de solidarité. On prenait des coups au visage mais d’aucun ne se sentait responsable lorsque les larmes coulaient et inondaient les écrans de télévision. On punissait des responsables tandis qu’on épargnait d’autres responsables. On se trompait, on affirmait, on hésitait. On reprenait les choses en main. Enfin, on perdait la raison.

La nature indocile, nous l’avons domestiquée et mise dans des boîtes dont le prix de vente varie à chaque seconde dans les temples où des icônes au visage présidentielle s’échangent sous forme d’actions et d’obligations : les nouveaux dieux de la nouvelle Olympe agissent donc, et s’obligent.

Je t’ai aimé, toi qui m’a quitté, moi qui ai quitté ce monde. J’ai aimé ce monde qui t’a donné à moi, et qui t’a gardé à lui. J’ai aimé les traces que tu as laissées lorsque tu marchais sur lui, dans ma direction. J’ai aimé ce vent qui soufflait dans ma direction. J’ai aimé ce vent qui te rapprochait de moi. J’ai aimé tout ce que racontait la nature lorsqu’elle parlait de toi.

J’aimais cette maison dans laquelle tu vivais, une maison simple, qui prenait le temps de s’imprégner de ton odeur, qui devenait toi lorsque tu n’étais pas là, lorsque ton absence rendait présent - comme une sorte de vide qui résonne du passage tourmenté d’un essaim d’abeilles - toutes les parties de ton corps que tu avais pris soin de mêler aux pierres et à la chaux, un animal qui marque son territoire, tu étais un animal qui avait un territoire. Je t’ai aimé, toi que je n’oublierai pas.

Plus tard, j’ai déserté les villes.

Plus tard, je suis mort.

Mon corps ainsi que mes organes rompant tout commerce avec la douleur.

Cependant, je continuai de jouir d’une certaine liberté.

Alors je me mis à marcher et à décrire ce que mes yeux voyaient, çà et là, de chaque côté du fleuve. J’ai marché. J’ai marché encore un peu, et j’ai senti au bout d’un moment que je n’irai pas plus loin. Je me suis arrêté. J’ai levé la tête et j’ai vu passer dans le ciel un vol d’oies sauvages.

Je me rappelais soudain avoir vécu ce moment particulier. Je me retournai. Je n’étais pas seul.

Un homme, un étranger, s’est alors approché de moi. Il prit la parole. Sa voix était douce et pour la première fois depuis que je n’étais plus, mes yeux se fermèrent.

Il y a un vieux dicton indien qui dit qu’une créature vit aussi longtemps qu’une seule personne se souvient d’elle. Mon peuple fait plus confiance à la mémoire qu’à l’Histoire. La mémoire est comme le feu, rayonnante, pure, inaltérable. Tandis que l’Histoire peut être truquée par ceux qui veulent s’en servir. Ceux-là voudrait étouffer la flamme de la mémoire pour éteindre la dangereuse lumière de la vérité. Il faut se méfier de ces hommes car euxmêmes sont dangereux et ont oublié toute sagesse. Ils écrivent une histoire mensongère avec le sang de ceux qui pourraient se souvenir, le sang de ceux qui cherchent la vérité.

Post-scriptum

Romainville, mars-décembre 1998