avant-propos

I1 y a quelque temps déjà, on avait parlé dans vacarme de revenu garanti : un peu comme une projection dans l’avenir, un modèle pour aider à penser la tendance toujours plus forte de socialisation du salariat. La situation est différente aujourd’hui : après la vague d’occupations de l’hiver 1997-1998, les journées mensuelles d’action des chômeurs et des précaires en Allemagne de février à septembre 1998, ou les quelques 20 000 précaires marseillais descendus dans la rue en décembre dernier pour revendiquer une "prime de Noël", il semblerait qu’un sujet politique soit en train de se constituer, avec pas mal de contradictions et d’intermittences, avec beaucoup de désirs aussi, et de nouvelles expériences collectives.

Ces derniers temps, on a vu à Brighton des grèves-commandos contre les mesures d’insertion forcée à la Tony Blair, on a vu des syndicats espagnols ajouter à leur campagne pour les 35 heures la revendication d’un "salaire social" pour tous, on a vu des chômeurs de Liège entarter leur ministre du Travail qui cherche à renforcer le contrôle social par un brillant système de délation, on a vu aussi les centres sociaux italiens lutter pour un "revenu de citoyenneté", par exemple en organisant des opérations massives de "transport gratuit" : des pratiques diverses, des formulations différentes, mais, à chaque fois, l’émergence de luttes au sein du précariat post-fordiste, l’affirmation d’une fierté et des pratiques d’autodéfense sociale contre l’ennemi commun, la dernière métamorphose du néolibéralisme reagano-thatchérien, le social-libéralisme européen. De Blair à Schröder, de Martine Aubry à la Commission Européenne, on construit bel et bien une Europe sociale, mais c’est celle du workfare et des emplois sous-payés : il n’est pas vrai de dire que les gouvernements européens ne font rien contre le chômage, ils font beaucoup au contraire. Entre radiations administratives des allocataires de l’assurance chômage et mesures d’insertion forcée, il est fort possible que le nombre de chômeurs baisse. Et que le nombre de précaires, d’intérimaires, de faux stagiaires et de vrais exploités explose... C’est dans ce contexte-là que l’on reparle aujourd’hui dans vacarme de la revendication du revenu garanti. Ce ne sera pas la dernière fois : c’est une lutte sur les salaires qui se joue là, une nouvelle pirouette de la bonne vieille lutte des classes, et, à vrai dire, nous n’en sommes qu’au commencement.