Vacarme 09 / chroniques

un menu pour rabibocher deux ami(e)s dont le couple vacille

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Du côté de vos amours, c’est pour une fois le calme plat, et même vos vacances à la mer n’y ont rien changé. Des coups de soleil, oui, la brise éphémère du garçon de plage du Grand Hôtel, certes, mais pas le moindre vrai de coup de vent. Aussi, dans ce reposant marasme, vous avez tout loisir de vous consacrer à ce couple d’amis, à moins que ce ne soit d’amies, que vous avez la mauvaise surprise de trouver, en rentrant, en plein avis de tempête. De là à ce que chacun ou chacune mette définitive-ment les voiles après des années de meilleur et de pire, il n’y a pas loin. Cela vous agace considérablement. Vous qui échouez régulièrement à retenir un fiancé auprès de vous plus de six mois ou un an, vous trouvez que décidément on ne prête qu’aux riches et que ces deux-là pourraient tout de même avoir la décence, envers de pauvres filles esseulées comme vous, de tenir sans broncher leur rôle de couple stable.

Sans rien laisser paraître, vous allez tenter de restaurer la paix du ménage, à trois, c’est-à-dire en les invitant à dîner. Mais la tâche est fort délicate. Vos amis ne sont pas du genre à déballer spontanément leurs histoires sur la table, pas plus que vous ne vous sentez de jouer les Ménie Grégoire entre la poire et le fromage. Il vous faudra par-venir à briser leur tête-à-tête conjugal devenu infernal tout en sachant que votre tierce intervention ne peut apporter de solution, laquelle ne saurait venir que d’eux et d’eux seuls. Vous devrez donc créer les conditions qui susciteront à nouveau la parole entre eux, et possiblement le retour d’un peu d’amour, tout en vous effaçant à pro-portion du succès de votre entreprise. L’excellence de la chère contribuera naturellement à délier les langues et à instaurer peu à peu douceur et bienveillance entre vos deux convives en manque de convivance, mais votre seul talent de cuisinière n’y suffira pas s’il n’est doublé d’une rigoureuse stratégie de maîtrise du tempo de ce dîner, des temps où vous serez là et des temps où vous saurez ne pas être là.

Vous inviterez naturellement vos deux amis comme si de rien n’était, et ce sera donc un dîner certes délicieux, mais surtout sans plus de façon qu’à l’accoutumée. L’ apéritif sera simple, et l’entrée préparée à l’avance - à savoir votre fameuse ratatouille, servie ici froide - afin de rester dans ce premier temps avec vos convives sans nul souci de cuisine. Certes, la tension existant entre eux n’échappera pas à votre oeil averti, mais tout le monde s’efforcera de faire bonne figure, et y parviendra. Prenez votre temps pour déguster cette entrée, et au moment où vous annoncerez que vous avez besoin d’un peu de temps en cuisine pour la suite, débrouillez-vous pour mettre, d’une seule phrase et en toute ingénuité, quand même vous passeriez pour une idiote, les pieds dans le plat - dites quelque chose d’assez bête, dans le genre :« Bon ; je n’en ai pas pour long-temps, je vous laisse en amoureux... »

Pendant que vous ferez sauter divers petits légumes préalablement blanchis pour accompagner des tournedos au poivre que vous réaliserez naturelle-ment en dernière minute, vos amis seront bien obligés d’inventer un mode doux de la scène de ménage : sans éclats de voix, mais pas silencieuse " non plus - la cuisine n’est pas loin et il faut sauver les apparences - enfin et surtout sans bris de vaisselle - ils n’ont’ que la vôtre sous la main et ça ne se fait pas non plus. Ne tardez pas trop à revenir, au besoin épiez un peu à la porte pour choisir le moment opportun, encore que ce soient les tournedos qui décident in fine. Vosplats feront agréablement diversion, mais vous reviendrez bientôt à la charge en tenant des propos généraux, toujours l’air de rien, sur la douceur de la vie à deux. Parlez par exemple a contrariode vous, en vous plaignant de votre sort trop célibataire, et tant pis si vos rêves de douce conjugalité sont un peu lénifiants voire gnangnan, et que les deux se disent : « Mais qu’est-ce qu’elle a ce soir, d’habitude elle n’est pas si fleur bleue, elle doit déprimer... » Une fois qu’une éventuelle salade et les fromages vous auront donné tout loisir de vous épancher de la sorte, disparaissez cette fois-ci très longuement sous pré-texte de dessert à préparer, un clafoutis poêlé aux abricots, flambé au rhum. Offrez-leur (à vos amis, non aux abricots) tout le temps nécessaire pour se parler. Au besoin, les clafoutis peuvent attendre un peu à four juste tiède et vous, claquemurée dans votre cuisine en remuant quelques ustensiles, afin d’éviter un silence louche. Puis faites votre entrée en flambant les clafoutis. Selon que vous aurez compris que votre stratagème de rabibochage est en voie de d’échouer ou de réussir, laissez mourir la flamme ou, au contraire, ranimez-la in extremis,celle de vos amis ayant justement besoin, en cet instant, d’une métaphorisation un peu kitsch de son destin.

Ratatouille

3 belles courgettes, 1 aubergine, 3-

4 grosses tomates, 1 poivron rouge,

1 poivron vert, 4 oignons moyens, un gros bouquet de persil, 4 gousses d’ail, 8-10 feuilles de basilic, huile d’olive, sel, poivre.

Couper les courgettes non épluchées en rondelles de 3-4 mm et l’aubergine, épluchée pour moitié, en gros dés. Vider les poivrons et les couper en lanières. Débiter les tomates en gros quartiers après les avoirs pelés à la flamme ou à l’eau bouillante. Émincer les oignons. Faire ensuite revenir séparément chacun de ces légumes à la poêle avec un peu d’huile d’olive, d’abord à feu vif, puis à feu doux jusqu’à ce qu’ils aient rendu leur eau. Verser un peu d’huile d’olive au fond d’une cocotte (ou d’une Cocotte-Minute, la cuisson finale sera alors plus rapide), y disposer tous les légumes, ajouter un hachis de persil et d’ail, saler, poivrer et cuire à feu très doux, en veillant bien à ce que le fond n’attrape pas, jusqu’à ce que les légumes soient parfaitement moelleux, mais sans s’écraser en purée. Ne pas hésiter à terminer la cuisson à découvert pour éliminer tout éventuel excédent d’eau. Peu avant la fin de la cuisson, ajouter le basilic grossièrement haché. Laisser refroidir, servir rafraîchi mais non glacé. À préparer de préférence la veille.

Tournedos au poivre

1 beau tournedos d’au moins 3-4 cm d’épaisseur par convive, poivre concassé, poivre au moulin, un petit verre de cognac ou de whisky, crème fleurette, sel.

Une heure à l’avance, parsemer abondamment les tournedos de poivre concassé sur les deux faces et les réserver jusqu’au moment de les cuire. Les cuire dans une poêle très chaude, avec très peu de matière grasse (huile ou Astra), une à deux minutes par face pour une cuisson saignante, trois à quatre minutes pour une cuisson à point. Une demi-minute environ avant la fin de la cuisson de la deuxième face, ajouter l’alcool dans la poêle et flamber. Retirer les tournedos et les réserver sur un plat chaud. Ajouter la crème dans la poêle et cuire quelques instants en remuant bien, saler, ajouter encore un peu de poivre au moulin puis napper les tournedos avec la sauce ainsi obtenue et servir.

Clafoutis poêlé aux abricots

2 oeufs, 125 g de farine, 1 grand verre de lait, 25 g de beurre, une livre d’abricots bien mûrs, sucre en poudre, rhum.

À l’avance, partager les abricots en oreillons et les dénoyauter. Au moment de faire le clafoutis, séparer les jaunes des blancs d’oeuf, travailler dans une jatte les jaunes avec trois cuillerées à soupe de sucre, puis ajouter la farine et mouiller avec le lait jusqu’à obtenir une pâte lisse et sans grumeaux. Battre les blancs en neige et les incorporer délicatement à la pâte. Dans une poêle de préférence anti-adhésive (sinon, augmenter la quantité de beurre), mettre à fondre le beurre, puis verser toute la pâte et répartir à la surface les oreillons d’abricots, en les faisant pénétrer dans la pâte. Laisser cuire très doucement à couvert pendant 10 à 12 minutes environ. Secouer fréquemment la poêle pour vérifier que le fond se détache bien. Alors que le dessus a encore une consistance bien baveuse, le fond doit être assez solide pour permettre de faire glisser le clafoutis depuis la poêle sur une assiette. Retourner alors la poêle sur l’assiette, puis retourner de nouveau l’ensemble pour que la deuxième face du clafoutis se retrouve au fond de la poêle. Cuire ainsi la deuxième face comme la première. Vérifier la cuisson avec la pointe d’un couteau. Au sortir de la poêle, saupoudrer légèrement de sucre le dessus du clafoutis, puis laisser un peu tiédir avant de servir. Pour flamber, chauffer dans une toute petite casserole du rhum additionné de sucre jusqu’au point d’ébullition. L’enflammer dans la casserole et verser sur le clafoutis.