prologue

Les pages qui suivent sont la suite et le deuxième volet du dossier sur le travail engagé dans le précédent Chantiers de VACARME. La dernière fois, nous nous étions attaqués à la question du temps de travail en elle-même, parce qu’il nous semblait qu’elle n’était qu’une arme subsidiaire contre le chômage, et que, si elle demeurait considérée sous ce seul angle de la nécessité et du sacrifice, la réduction du temps de travail ne pourrait jamais s’imposer en France comme en Europe. La réduction du temps de travail ne s’imposera qu’au jour où les salariés eux-mêmes la désireront et l’exigeront - les chômeurs, eux, ne pourront jamais servir que de force d’appoint.

Cette fois, logiquement, nous ne nous intéressons qu’aux chômeurs et au chômage, indépendamment de la question du partage du travail. Parce qu’il nous semble que ce « cancer qui », paraît-il, « gangrène nos sociétés riches », ne gangrène pas toujours les individus singuliers qui sont censés le subir, ou qu’en tout cas le vocabulaire médico-biologisant (maladie, cancer, gangrène - c’est amusant d’imaginer un cancer qui gangrène...) représente bien davantage une insulte et un mépris à l’encontre des chômeurs qu’un véritable outil de compréhension, et moins encore qu’une arme de polémique. C’est pourquoi nous sommes allés interroger des femmes au foyer, ayant arrêté le travail pour garder leurs enfants, et des cadres au chômage. Nous aurions pu aussi aller voir des intermittents du spectacle, des militants associatifs ou politiques au chômage, des malades, des étudiants, le résultat aurait sans doute été le même : le chômage, même s’il n’est jamais à long terme une panacée, même s’il n’y a pas de lois générales, peut servir à bien davantage qu’à souffrir et à avoir honte. Ce n’est pas rien de s’occuper vraiment de ses enfants, ce n’est pas rien d’essayer un jour de tenter autre chose, même si ce n’est que pour un temps. Le chômage, pour quoi faire ? D’abord pour vivre autrement, pour s’arrêter un peu et voir comment on vivait jusque-là, pour poser d’autres questions, voire pour faire envie aux travailleurs...

II n’en reste pas moins que nous parlons encore là d’un chômage "de luxe", si l’on peut dire, un chômage qui, à coups d’économies antérieures et de système D, ne conduit pas nécessairement sur la route damnée de la misère, de la solitude et de l’exclusion sociale. Comment faire alors contre le chômage des plus pauvres et des plus démunis, comment faire avec tous ceux qui n’ont le choix qu’entre du travail et la rue ? Les associations de chômeurs que nous sommes allés rencontrer le disent depuis longtemps, après et avec bien d’autres : il n’y a qu’une solution, et cette solution est possible, réaliste et raisonnable - l’instauration d’une Allocation universelle ou d’un revenu minimum accordé à chaque citoyen. Et VACARME s’inscrit entièrement dans cette exigence.

II n’empêche, cependant. C’est là une solution certaine contre la misère que nos propres sociétés engendrent déjà depuis longtemps en leur propre sein, et en un sens il n’y a donc pas à ergoter très longtemps, il y a seulement à discuter de ses modalités d’application : une allocation de quel montant ? payée par qui ? accordée à qui ? (jusqu’où doit aller l’universel ?) Mais il est sûr aussi que ce n’est pas là non plus LA solution à tous les maux du chômage. C’est même sans doute là une solution à la misère et à la précarité, mais peut-être pas au chômage en tant que tel, c’est-à-dire d’une part au problème de ne pas avoir de travail, d’activité spécifique et régulière, mais aussi d’autre part au problème de ne pas avoir d’emploi, de statut et de reconnaissance sociale spécifiques. En tout cas, nous nous interrogerons là-dessus à la fin de ce dossier, ce qui nous obligera peut-être aussi à reposer autrement la question « Le chômage, pour quoi taire ?