quand le cadre manque entretiens avec des cadres au chômage
Un couple. Elle, 53 ans, secrétaire de direction dans une entreprise de transports pendant 30 ans, a deux enfants de 30 et 34 ans nés d’un premier mariage Au chômage depuis neuf mois. Lui, 4, ans, agent de maîtrise dans les Crans ports au service contentieux et risque client, a postulé avec succès pour le statut cadre lors de son dernier licenciement économique ; il s’est retrouvé au chômage deux semaines avant son épouse.
Elle : « On a ouvert une cafétéria près d’Aix-en-Provence en janvier 93, qui a tenu pendant deux ans et demi, ça a été une réussite puisqu’il tallait 80 couverts par jour pour que ça soit rentable et on est arrivé à 120-130 couverts, j’avais suivi un stage sur la création d’entreprise qui nous a aidés. Je faisais la cuisine, lui tenait la caisse et taisait du relationnel en salle mon fils nous donnait un coup de main quand il était disponible et mon autre belle-fille nous a aidés pendant sa période de chômage. Mais ça nous bouffait la vie, les horaires de travail pendant la semaine étaient déjà lourds, et on faisait les courses le samedi, la comptabilité le soir et le week-end, on a fini par vendre parce que j’étais surmenée, on a récupéré nos fonds propres. »
Lui :« On a l’impression de respirer, parce que pendant les années de cafét.’, pas de sortie, pas de réception chez nous, pas de temps pour retaper la maison ni pour nous occuper de nos petits-enfants. Maintenant ils viennent nous voir presque tous les week-end : ils habitent en immeuble à Marseille alors qu’on habite à la campagne on est en train de faire une chambre pour les garçons, et une pour les filles. »
Elle : "Vous savez le transport c’est comme une grande famille, alors le chômage ne nous a pas du tout désacralisés. Les chômeurs, pardon les personnes en demande d’emploi, qui disent que leurs amis s’éloignent, se font des films, ce sont plutôt eux qui se replient sur eux-mêmes, qui trouvent peut-être ça honteux d’être au chômage, mais pourquoi avoir honte alors qu’on est si nombreux ? Quant aux réactions de la famille, les enfants nous ont dit de profiter de notre situation plutôt que de nous morfondre, qu’on avait bien mérité de se reposer. Et puis, il faut dire aussi que c’est plus facile de chercher à deux, on se réconforte et on s’incite réciproquement. » Lui :« On se donne jusqu’à septembre 96 pour retrouver un emploi par Espace-Cadre, et ensuite peut-être s’il n’y a toujours rien, on envisagera de créer une entreprise dans le domaine de l’insertion, c’est-à-dire de créer nos propres emplois et employer des adultes qui recherchent du travail, notamment des cadres, pour faire du service de proximité aux vieilles personnes, du ménage, des soins... » Elle : « Je vais vous raconter ce qui m’est arrivé pour mes Assedic. J’ai dû négocier longtemps, car l’ANPE d’Aix refusait de prendre en compte ma gérance de cafétéria comme années de travail, parce que notre création d’entreprise a duré moins de 3 ans. Mon dossier a été refusé plusieurs fois par les commissions paritaires, mais une fois je suis tombée sur une personne sympathique qui a réglé mon dossier en 3 secondes, après 3 mois de démarche. Je n’ai obtenu les Assedic que 3 mois après la vente de la cafét’, mais ça n’était pas si grave parce qu’on avait prévu le coup et qu’on avait mis des sous de côté. »
Il a 49 ans, a été ingénieur en système informatique au CNRS, a repris les études à 30 ans au terme desquelles il a pu entrer comme directeur commercial dans le secteur informatique Voilà 4 ans qu’il se trouve au chômage.
Les 6 derniers mois dans cette entreprise ont été les plus ennuyeux, parce que d’abord la société a décidé d’abandonner la branche « ordinateurs personnels », ce qui est une erreur stratégique monumentale, mais bon... (...) Et du jour au lendemain, vraiment ça s’est fait en moins d’une semaine, tout le service qui s’était monté autour de cela, (...)on a dit : « ça n’existe plus ! », et le patron, lui, il est parti à l’étranger. Et un matin je suis arrivé, je rentrais de vacances, et je n’avais plus de bureau, plus rien. J’ai demandé ce qui se passait et on m’a dit : « le service est supprimé. » Mon bureau était occupé, et on avait mis mes affaires dans le couloir... Je suis allé voir mon ancien patron qui m’a dit « non non, je n’ai plus rien à faire avec toi, je ne m’occupe plus de ça... Va voir le directeur marketing de la filiale française. » Alors je suis allé voir le directeur marketing, il me connaissait forcément, j’étais dans les 50 du top de la société, et il m’a dit : <, Mais Régis, moi j’ai rien de prévu pour toi, mes budgets sont faits déjà depuis 6 mois, tous les postes que j’aurais pu pourvoir sont pourvus, j’ai pas de place pour toi. » Et j’ai tourné en rond comme ça pendant un mois... (rire). Alors c’est un peu difficile à vivre parce que la structure change, l’organigramme change, mais on laisse les gens se débrouiller tout seuls, y’a plus personne ! J’ai refusé jusqu’au bout, tous les ans j’étais primé parmi les meilleurs commerciaux de vente français, j’ai dit, moi je ne pars pas comme ça, et la situation a duré pendant un an et demi. J’ai eu droit à tout, (...) ça a été de me retrouver un matin sans bureau, mon bureau était au fond du couloir dans une remise, et puis j’avais mon matériel, mon ordinateur, mon minitel, on me le retire, j’avais une secrétaire, « ah non, elle est plus ta secrétaire, maintenant tu taperas ton courrier toi-même ». Mon manager direct, c’est le directeur régional qui coiffait toute la région de Montpellier à Nice, m’a dit :« ben c’est plus moi ton patron, c’est une autre personne", et ça a été jusqu’à ma secrétaire qui était ma patronne, « maintenant ce sera ta secrétaire qui te donnera des ordres. » On refusait de me payer mes frais de déplacement et ça durait trois mois avant qu’on me les rembourse, et c’était toute une bagarre, toutes les affaires que je signais, on refusait de me les faire enregistrer à mon nom en les donnant à d’autres. J’ai eu droit à tout : on me surveillait, on allait chez mes clients pour savoir si le rendez-vous que j’avais pris, j’y étais bien ! On m’a chargé de travail, mais chargé, on a agrandi mon territoire, le nombre de commerciaux que ’avais sous ma responsabilité, etc. devenait dingue ! (...)
Moi je pense qu’il manque aux demandeurs d’emploi cette vie sociale qu’ils n’ont : avec les gens qui travaillent (...), il faudrait une structure qui soutienne et conseille les demandeurs d’emploi, parce qu’on n’arrive pas à se vendre soi-même. (...) Donc créer une convivialité et une vie sociale malgré tout, aider les gens à avoir un comportement r ment social cohérent malgré tout, en fréquentant d’autres gens, par des . d’expression, de théâtre, on peut tout imaginer dans ce domaine, avoir une documentation à sa disposition, parce que ça me coûte la peau des fesses d’acheter des revues, des bouquins, etc. (...) logistique : photocopies, téléphone, fa. C’est pour ça que j’avais pensé à monter une maison de l’emploi sur Aix, qui serait à la fois une maison d’accueil où les g, pourraient venir se rencontrer autour d’une cafétéria, discuter entre eux, établir des liens, et tous ces liens permettent aux personnes de mieux se cibler, d’avoir des bureaux où ils peuvent passer la journée et un conseiller en information qui serait là pour les suivre, les mettre en garde contre toutes les arnaques.(...) J’en vois à l’Espace Cadre qui me disent ça fait déjà un mois, moi je leur dis pas que ça fait 4 ans pour pas les décourager, et parce que j’ai une espèce de honte quelque part,je me dis c’est pas possible, pas pensable, réalisable, j’ai dû manquer quelque chose, qu’est-ce que je n’ai pas fait ? J’ai un sentiment de culpabilité quelque part, je ne comprends pas, je ne peux pas l’expliquer à quelqu’un. Ils vont dire, celui-là c’est un rigolo, il fait son jardin ! Mais non, je fais pas mon jardin ! C’est la réaction quotidienne que je rencontre, les gens se rendent pas compte ! Vous seriez frappé des exemples : j’ai un collègue qui avait été démissionné d’office avant moi, il est resté 2 ans et demi au chômage, parce qu’il était plus jeune que moi, eh bien, il ne l’a dit à sa femme qu’au bout de quelques mois, au bout de 2 ans et demi ses enfants, amis, voisins, n’étaient toujours pas au courant ! Le matin il sortait la voiture et hop, il rentrait chez lui et il n’en sortait plus et le samedi-dimanche, il allait tondre sa pelouse pour discuter avec ses voisins, c’était dingue ! En plus un type ingénieur, pas un , imbécile, bien équilibré, jamais je n’aurais imaginé ça de lui et vous allez en trouver des cas comme ça !
Il a 45 ans, est titulaire d’un doctorat d’océanologie mais a trouvé un boulot comme programmeur puis ingénieur en informatique. Au chômage depuis 3 mois.
Vous avez ressenti l’âge comme un obstacle ?
Je ne l’ai pas ressenti comme obstacle en entretien, parce que je postulais sur des postes où mon âge n’est pas trop embêtant, chef de projet 45 ans c’est pas trop choquant. Là où on le voit très clairement c’est dans les annonces, l’annonce-type c’est « vous avez entre 35 et 40 ans, 8 ans de poste à responsabilité », où on voit que la barre c’est 40 ans. J’ai vu une offre pour plus de 45 ans, d’ailleurs c’est tellement rare que je l’ai découpée. Par contre où je risque d’avoir des problèmes, c’est que je consens à me déqualifier, peut-être contrairement à d’autres, au niveau de ce que je vais faire au quotidien et au niveau de mon salaire, là il va y avoir inadéquation, parce que les gens auront peur de m’embaucher à un sous-salaire ou à une sous-qualification. Je vais être obligé de refondre mon CV, là ma qualification est un handicap. C’est pas le doctorat qui fait peur, c’est l’expérience, les 15 ans en société de service, en ayant fait des tas de choses. Si je veux faire de la maintenance par exemple, quand je leur dirai que j’ai développé des bases de données de 1 giga octet, que j’ai fait de la conception, cela va effrayer, ils vont se dire « celui-là il est surqualifié, il va s’ennuyer et il partira au bout de 6 mois quand il aura trouvé mieux. » Ils m’embaucheront pas. (...)
Vous pensez qu’on reconstruit des repères dans cette période après le traumatisme du licenciement ?
Il y a deux possibilités : soit on se détruit complètement, soit on se construit une vie différente, pour moi je me suis reconstruit une vie différente, à tel point confortable que je me pose des questions à savoir comment j’agirai quand je reprendrai un rythme normal de travail. Et c’est ça actuellement qui m’affole le plus. (...) Les gens qui le disent pas à leur entourage, à un moment ça craque, moi je ne l’ai déjà pas dit aux parents des amies de ma fille, on passe son temps à se croiser, à se dire : « Bonjour, comment ça va ? » Et j’attends toujours la question :« Et votre boulot, comment ça va ? » Je ne l’ai pas encore eue, car je sais limiter les contacts avec eux, mais j’attends ça, !’aimerais que ce soit clair, que tout le monde soit au courant et c’est uniquement pour ma fille que je ne le dis pas. (...) Mais le matin quand j’emmène ma fille à l’école, quand je sens mes voisins qui me regardent, parce que je suis le seul homme qui emmène sa fille à l’école, que les gens se posent des questions, bon ça fait bizarre et c’est très désagréable. Le poids du regard des autres, c’est énorme. »