Vacarme 04/05 / actualités

Suède au coeur

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On ne va pas jouer aux vierges effarouchées, à l’instar de nombre de nos médias fiers de leur francitude, car on le savait depuis longtemps : il y avait bien quelque chose de pourri au royaume de la douce social-démocratie suédoise. À la fin des années 1970, Foucault avait déjà commencé à égratigner le modèle un peu trop irénique des prisons suédoises. Au début des années 1980 avait déjà commencé à se dévoiler la face cachée du capitalisme à la mode suédoise : conquérant, paternaliste, sans pitié, et tout cela avec la bénédiction de l’État. Enfin, aux débuts des années 1990, on apprenait que s’instauraient en toute quiétude des sidatorium au pays des , Rois napoléoniens. Mais il est vrai que la révélation de cet été fait encore davantage froid dans le dos : de 1945 à 1976, plus de 60 000 personnes (essentiellement des femmes), supposées « tarées » (parce que trop névrosées, trop délinquantes, trop myopes...) étaient stérilisées contre leur volonté par les bons soins d’un État protecteur de son peuple et de la qualité de sa race. Là, effectivement, il n’y a plus à ergoter : c’est de l’eugénisme fasciste pur et dur, c’est-à-dire efficace et honteux, et ça fait salement peur. Maintenant, au-delà de la peur, le plus intéressant n’est peut-être pas de jouir de l’opprobre définitive jetée sur ce vilain monstre souriant qu’est l’État suédois. Parce qu’on connaît déjà un autre État dont les horreurs similaires ne cessent pas de se révéler similairement tous les dix ans, à savoir les États-Unis. En l’occurrence, on sait aussi que l’État américain, de 1907 à 1973, a fait stériliser plus de 30 000 Personnes : alcooliques, handicapés mentaux, criminels violents, « dégénérés », noirs trop pauvres...). C’est proportionnellement beaucoup plus faible, mais si on y ajoute les expériences dévastatrices sur la syphilis pratiquées sur plus d’un millier de Noirs, les tests de vaccins pratiqués sur des milliers de prisonniers, la multiplication des exécutions capitales, on arrive à des révélations à peu près équivalentes dans l’horreur. Du coup, le seul tait intéressant n’est peut-être pas de critiquer à loisir les États suédois ou américain (l’État français a aussi ses cadavres et ses placards), mais de se demander si la taille de l’État importe vraiment pour contrer les fascismes rampants.

C’était pourtant là une question apparemment essentielle de la science politique classique : est-ce dans les grands États ou les petites communautés que se développent le plus facilement les fauves, les tyrans et les fascistes ? On jouait Rousseau contre Hobbes (ou l’inverse), et le tour était joué. Mais c’est peut-être là finalement la question la plus vaine, et le plus mauvais des problèmes. Car, cette sinistre équivalence entre Amérique et Suède, on pourrait parfaitement la répéter avec la Russie et la Suisse, ou la Chine et le Cambodge. Car, peut-être que le fascisme se moque autant de la taille des États que de leur système économique propre : tant qu’il y aura des vies à redresser, à ruiner, à supprimer...