éditorial
Y a-t-il de la provocation, de la régression, un paradoxe dans le fait de parler des femmes dans la rubrique Minorités ? Quand nous avons commencé à travailler sur le dossier qui suit, la question nous a été presque unanimement posée. Comment qualifier les femmes de minorité, alors qu’elles sont quantitativement majoritaires, qu’elles représentent la « moitié du ciel » (Mao), la « moitié de la République »(Rousseau) ? Comment désigner les femmes comme minoritaires sans entériner la discrimination, l’oppression exercées sur elle,, `ans a’ )es maintenir dans une infériorité et une inégalité de droits, sans les stigmatiser dans un retard, un accès différé à la majorité ? On oublierait que tout le mouvement d’émancipation des femmes a consisté et consiste encore à les faire accéder à une majorité juridique qui leur était refusée ; pour un peu, on dénierait la légitimité d’acquis (politiques, alors qu’ils sont encore fragiles et régulièrement menacés. Majorité statistique, majorité juridique : logique mathématique, logique de juristes.
Pourtant, une réalité crève les yeux, une réalité qui constitue le terrain de tous les mouvements féministes aujourd’hui : disparité des salaires à qualification égale, discrimination à l’embauche, remise en cause répétée du droit à disposer de son corps, viols et violences, mais aussi perfides oppressions sexistes du quotidien, obscures ou claires intériorisations d’une infériorité supposée ; sans compter que pour beaucoup aujourd’hui, la querelle du féminisme, en France au moins, est à peu près close. À la lumière de cette réalité, les femmes constituent bien une minorité, parce qu’elles sont effectivement exposées aux effets de l’oppression et du pouvoir ; parce qu’elles : paraissent disposer d’une moindre marge de manoeuvre ; de jeu, par rapport à des normes} et des images qui leur sont imposées.
Mais les minorités ne sont pas seulement rattachées à l’oppression qui s’exerce sur elles, elles ne sont pas essentiellement un relatif par rapport à la majorité. C’est toujours dans les minorités que s’invente quelque chose, la puissance d’un devenir, des possibilités de résistance aux modèles dominants. C’est justement de ces lignes de fuite inédites qu’il est question dans les pages qui suivent.
Cette rubrique a d’abord été consacrée aux vieux, puis aux sourds, puis aux homosexuels :’ Aujourd’hui, les femmes. Provocation ? Geneviève Fraisse a montré que les femmes n’ont jamais été pensées seules, dans les structures de domination - avec les enfants et les esclaves dans l’Antiquité, avec les fous chez Spinoza, avec le peuple chez Kant, avec les juifs à la fin du XIXème siècle, avec les colonisés aujourd’hui - tout comme dans les structures d’émancipation : les femmes sont comme les Noirs au XIXème siècle, comme les ouvriers dans le saint-simonisme, comme les colonisés dans les années 1960, comme les homosexuels aujourd’hui : elles sont toujours représentées en contiguïté avec d’autres catégories. Geneviève Fraisse encore : les femmes sont « des autres d’autres ». On peut trouver cela joyeux : car ce n’est que par de petits déplacements tentés sur de telles contiguïtés que se créent de nouvelles configurations de vie.
À VACARME, on trouve cela joyeux.