un menu pour lutter contre la tristesse quand on est seul

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Résumé des épisodes précédents : grâce à Vacarme n°1, vous l’aviez séduit au moyen d’un simple soufflé ; le n°2 vous avait permis, par le truchement, d’un monstrueux dîner, de lui rester fidèle nonobstant le puissant sex appeal d’un amant de passage ; enfin le brunch after Gay Pride du n°3 fut une réussite brillante. Bref, dans ces six derniers mois, vous fîtes vraiment tout votre possible pour le garder. Cette histoire d’amour vous y avez sincèrement cru. Pauvre sotte...

Vous voilà en effet seul et triste comme une orpheline : l’ingrat vous a abruptement largué par un beau soir d’été. Depuis huit jours que la chose arriva, vous avez passé l’essentiel de votre temps à chougnier dans un recoin de votre appartement, sans même plus répondre au téléphone, car vous ne vous sentiez pas le cœur à faire part du divorce à vos amis. Au bout de huit jours de dépérissement, donc, vous vous dites qu’il est temps de vous ressaisir. Vous commencez par faire la vaisselle en souffrance depuis neuf jours, et ne manquez pas de chougnier encore un peu au moment où vous vous résolvez à jeter enfin ces os desséchés qui témoignent au bord deux assiettes sales du poulet à l’estragon dont vous ne vous doutiez pas, en le préparant amoureusement, qu’il serait le dernier que vous partageriez avec lui. Mais vous avez fermement décidé d’être digne dans le deuil de votre prince charmant, et surmontez donc rapidement ce moment difficile que représente la mise à la poubelle des derniers reliefs de votre amour. Le plus dur étant fait, votre cuisine est bientôt à nouveau rutilante comme dans une pub pour Monsieur P... (le mec body-buildé qui porte boucle d’oreille et vous fait des clins d’œil à la télé, genre tu-as-vu-comme-j’astique). Ce n’est toutefois pas parce que vous venez de passer votre rage d’avoir été délaissée à faire la tornade blanche que vous vous sentez prête à passer l’éponge. Vous savez que cela prendra du temps. Aussi, après ce salutaire sursaut de volontarisme ménager, il vous faut sans perdre une seconde prévenir la déréliction qui vous guette de nouveau au seuil d’une longue soirée de solitude.

Rien de tel pour cela que de se confectionner un bon dîner, pour soi tout seul. Et quand il ne s’agit rien moins que d’entreprendre la reconquête de l’estime de soi, il faut vraiment faire les choses bien. Cela commence par les courses. Faites vos emplettes avec la même exigence tatillonne quant à la qualité des produits que si vous alliez donner un dîner de gala : aujourd’hui, rien n’est trop bon pour vous faire un peu de bien. Sortez, faites le tour des commerçants du quartier, comparez, hésitez, allez voir ici, revenez acheter là.

Pour l’entrée, laissez-vous tenter par les bonnes choses que vous trouverez : par exemple, un bon melon, qui vous redonnera un peu de cette fraîcheur et de cette saveur qui vous manquent tant en ce moment. Vous le choisirez avec beaucoup de soin : lourd en main, pastille très odorante, la peau tendant à fendre autour de la base de la queue, laquelle doit être presque sur le point de se détacher. Vous l’accompagnerez, c’est classique mais toujours aussi délicieux, de jambon de Parme ou de Bayonne tranché très fin. Mais d’autres entrées sont possibles, selon vos moyens, l’achalandage et vos besoins psychologiques propres : si vous pouvez vous le permettre, une tranche de foie gras de canard mi-cuit apportera à tout coup un réconfort inouï à votre âme en peine — et d’autant plus que l’ingrat qui vous a plaqué avait le foie gras en horreur : après plusieurs mois de la dure abstinence que vous dictait votre amour aveugle, voilà un foie gras qui aura la saveur d’un retour à la vie, relevé d’un petit goût de revanche. Pour la suite, quittez les rives du ressentiment, dont il faut se garder d’abuser sous peine d’aigreur gastrique. Une belle tranche de gigot d’agneau poêlée à l’ail, accompagnée de haricots verts et de gratin dauphinois, devrait en ce sens vous procurer équilibre et plénitude. Prolongez cette sensation par quelques bouchées de saint-marcellin bien affiné, buvez encore un verre de l’excellente bouteille de Gigondas que vous avez débouchée pour l’occasion, et dites-vous en souriant qu’en l’absence d’amour, il ne faut surtout pas vivre que d’eau fraîche. Attaquez alors la petite charlotte aux framboises que vous vous êtes confectionnée pour le dessert, prenez un cognac et allez vous coucher : demain sera un autre jour.

TRANCHE DE GIGOT POÊLÉE À L’AIL

À feu vif, faire fondre un peu de beurre dans une poêle, sans le noircir. Jeter dans le beurre une gousse d’ail préalablement débitée en lamelles d’environ un millimètre d’épaisseur et poêler la tranche de gigot sur une face puis sur l’autre. Veiller à ce que l’ail prenne une belle couleur mais ne brûle pas. Dès que le degré de cuisson désiré est atteint, saler et poivrer légèrement la tranche et la réserver. Déglacer la poêle avec un peu d’eau, ou, mieux, un peu de vin blanc, qui relèvera très bien la saveur de l’ail. Verser le jus ainsi obtenu sur la tranche, déguster immédiatement.

GRATIN DAUPHINOIS

Couper en tranches d’environ 2 mm quelques belles pommes de terre — de vulgaires Bintjes sont parfaites ici — en évitant à tout prix des pommes de terres trop nouvelles, qui absorberaient mal la crème. Couper en deux une gousse d’ail et en frotter un plat à gratin. Répartir les tranches de pomme de terre dans le plat, sur environ 3-4 cm d’épaisseur, et glisser les deux demi gousses d’ail entre les tranches aux deux extrémités du plat. Mélanger en proportion Égale de la crème fraîche épaisse et de la crème fraîche liquide, poivrer modérément et saler copieusement — la crème doit saler les pommes de terre — le mélange, puis le verser dans le plat. Les pommes de terres doivent être justes couvertes. (Remarque : pour celles et ceux que tant de crème effraie, il est possible de remplacer une partie de la crème par du lait.) Mettre au four préchauffé à 180°-200° et cuire pendant environ 3/4 d’heure. Vérifier la bonne cuisson des pommes de terre : on doit pouvoir planter une fourchette dans le plat sans rencontrer de résistance. En cours de cuisson, appuyer délicatement de temps à autres sur la surface du gratin avec le dos d’une fourchette pour briser la croûte qui se forme et refaire passer un peu de liquide au dessus, afin qu’elle ne dessèche pas. Le cas échéant, réduire légèrement la température du four. En fin de cuisson, laisser reposer le gratin au moins 5 mn dans le four éteint, porte entrouverte, avant de servir.

HARICOTS VERTS

Les cuire à la vapeur un peu à l’avance, les laisser s’égoutter et les passer au beurre dans une poêle juste avant de servir. II est possible, mais non indispensable, de les relever d’un hachis de persil, ou de persil et d’ail (haché menu et non pressé). On évitera en revanche, eu égard au gratin dauphinois, de les accommoder au jus de citron.

CHARLOTTE AUX FRAMBOISES

Tapisser le fond et les parois d’un petit moule à charlotte ou d’un moule de forme ramequin d’environ 10 cm de diamètre avec des biscuits à la cuiller légèrement imbibés d’Amaretto allongé d’un peu d’eau (2 parts d’Amaretto pour 1 part d’eau). Couper le cas échéant les biscuits à la taille nécessaire pour s’adapter au moule. Battre en chantilly environ 10 à 15 cl de crème fraîche additionnée d’un peu de sucre. Garnir de chantilly le moule tapissé de biscuits jusqu’au tiers de la hauteur disponible, disposer une généreuse couche de framboises saupoudrées d’un peu de sucre, compléter jusqu’à ras bord avec la chantilly restante et pour finir une couche de biscuits imbibés comme précédemment. Couvrir d’un couvercle ou d’une petite assiette de diamètre légèrement inférieur à celui du moule, presser légèrement puis disposer dessus un poids (env. 500 g). Réfrigérer pendant au moins deux heures. Peu avant de servir, démouler et décorer avec quelques framboises, éventuellement de la chantilly, ou quelques feuilles de menthe.