les nouvelles de Cassandre

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Cassandre a la vie dure. Revue de théâtre contemporain, elle maintient sa vitesse mensuelle depuis bientôt deux ans. Les questions de l’engagement la démange. Son pari ? Fédérer les différences et les antagonismes propres au théâtre français contemporain, au-delà de l’Ile de France.

Cassandre a presque l’apparence d’un journal, presque la périodicité aussi. Elle ne veut pas , prendre la voix d’une revue d’idées. Si les idées sont là, c’est par les pratiques qu’elle les met en avant et en valeur. Le théâtre est un monde pratique que traversent les questions de la société dans laquelle on se retrouve à vivre. C’est pourquoi le lectorat de Cassandre ne se résume pas aux officiels de la profession. Il touche les marges, les élèves, les intermittents, les non-spécialistes — sans lesquels, d’ailleurs, les spécialistes n’existent pas — et les spectateurs.

Sa scène déborde la scène. C’est pourquoi son timonier, Nicolas Roméas, insiste pour qu’il ne soit pas seulement question d’un spectacle, mais aussi du parcours de son metteur en scène et de la troupe qui le joue. Ses différentes rubriques regroupent textes, dossiers, entretiens, compte-rendus. Dans Paroles croisées, deux personnalités se répondent autour d’un même thème (Gérard Violette et Jean Christian Grinevald par exemple). Elle tient la chronique d’une ville et de son théâtre (La maison du théâtre et de la Danse à Épinay-sur-Seine ou Le Studio Théâtre de Stains). Chaque mois, le Fil d’Ariane traite d’une institution, d’une entreprise, voire d’un aspect particulier comme la « licence d’entrepreneur du spectacle », les Assedic, ou autres babioles formulaires qui encombrent à merci nos esprits créateurs.

La scène de Cassandre n’est pas exclusivement théâtrale. Fenêtre sur cour propose des entretiens avec des per sonnalités extérieures, que ce soit l’historien Pascal Ory, le sociologue Patrick Champagne ou Philippe Urfalino. Elle donne une place à la danse : Pas de côté (Gallota, Bagouet...), à la musique et à l’Opéra : Contrechant. Cassandre a ses Partis pris sur les critiques théâtrales, et elle tient une tribune où ont notamment pris position Raymonde Temkine, Jacques Livchine, André Gintzburger... Elle sait parler du lointain : Catherine Boskowitz raconte ses rencontres avec le théâtre africain. L’Afrique, enfin, ressemble à autre chose qu’à un amoncellement de membres coupés. Et ce n’est certainement pas un hasard que ce soit à la scène et non à l’écran que l’on doive cette autre vision.

Mais la marge reste étroite. Jusqu’où Cassandre peut-elle être « contre » ? Et contre qui ?

[Nicolas Roméas] « Il ne s’agit pas d’avoir une position "contre" par principe, même si l’opposition est une manière de caler son énergie pour pouvoir la projeter. On cherche à ne pas tomber dans les habitudes de pensée et, surtout, à ne pas permettre aux autres de se reconnaître en nous. Une exigence critique. Bousculer, pas détruire. Nous ne sommes pas systématiquement du côté des râleurs professionnels. Il y a des gens "en place" qui n’ont pas perdu leur potentiel inventif. En fait, nous aimerions avoir une vocation de défricheur. Aider ceux qui font des choses passionnantes mais qui n’ont pas les moyens. Ne pas discréditer les petites compagnies qui végètent. Ne pas jouer la censure. Ignorer les riches, les bons comme les mauvais. »

L’engagement... Avec Châteauvallon, auquel Cassandre consacre deux pleines pages, dont un entretien avec Gérard Paquet, dans son numéro 9 (11/96), on a pu mesurer à quel point la valeur politique du théâtre était d’actualité. Le 28 juin, Cassandre a organisé un débat sur l’engagement de la presse dans le « combat » culturel. Qu’en reste-t-il ?

[Nicolas Roméas] « La vision panoramique d’un paysage culturel frileux, assez peu courageux, où la majeure partie des intervenants ne peuvent rien dire qui mette en cause leur position. Donc, peu de paroles véritables qui résonnent. Ou bien il y a des historiens et des sociologues qui prennent la parole d’une façon assez juste, mais c’est parce qu’ils sont loin des processus de carrière théâtrale. La marge de manœuvre est, de toute façon, très restreinte. Léonardini dit que ce qui reste, c’est la « tentative de créer son propre style », et que cela n’est pas négligeable. Je suis d’accord. C’est peut-être la seule chose qui reste. La culture, depuis Lang, est un spectacle relativement inoffensif. Elle permet tantôt de paraître en société, tantôt de dire des choses fortes qui seront acceptées par n’importe qui. »