de l’association Val Avenir au projet électoral
Nouvel épisode dans ce journal de campagne de l’association Val Avenir, obstinée à parcourir le chemin qui va de la réaction citoyenne contre la montée de l’extrême droite à la décision de s’engager sur le terrain politique municipal avec la constitution d’une liste dans la perspective électorale. Or, la démocratie locale est affaire de nombre, de limites et de temps : combien à s’engager ? Jusqu’où s’ouvrir, pour accueillir sans se dissoudre ? Comment lier les questions dans l’unité d’un programme, sans se laisser submerger lorsqu’elles surgissent toutes à la fois ?
Janvier 2007._Première soirée pour une liste alternative : l’heure est à la constitution, autour de l’association, d’une liste commune aux prochaines élections municipales de mars 2008. Le centre-ville de Sainte-Marie-aux-Mines est désert. Au local, les gens arrivent au compte-gouttes ; les habitués se saluent en riant, les autres font connaissance. Certains n’ont pas pu se libérer ce soir-là. Pierre Kretz, future tête de liste au cas où la petite équipe se déciderait à « y aller [1] », évoque l’impossibilité « de faire une liste uniquement avec le noyau initial de l’association Val Avenir », ce noyau où les uns s’engagent principalement pour lutter contre l’extrême droite, les autres à partir de thèmes écologiques, d’autres encore parce qu’ils sont déprimés par la qualité du débat civique et démocratique dans la cité. Il faudra élargir.
Du côté des autres listes en cours de constitution, l’opacité règne : rumeurs, coups de fil sous la foi du secret, rencontres le plus discrètes possible. Les choix ne s’effectuent pas sur des idées (à part celles d’extrême droite) mais sur des alliances de gens qui seuls ne parviendraient pas à monter une liste. L’association a fait le choix inverse : c’est tout juste si la fameuse vitrine du local ne sert pas de lieu d’exposition des rencontres ! Pourtant, cette première réunion n’a pas été annoncée publiquement, pour parer au risque de voir se retrouver, autour de la table, des gens qui ne s’estiment pas particulièrement — difficulté réelle dans une petite ville où tout le monde se connaît et se côtoie depuis des années.
La soirée commence par un tour de table, où l’on se présente et expose les motivations de son éventuel engagement. Gilles, un éducateur social âgé d’une trentaine d’années, fait la connaissance du groupe ce soir-là ; il revient sur la dernière élection cantonale et la victoire de Chaton, concluant : « Moi, je suis plutôt une personne du centre droit, mais je suis surtout saint-marien, et c’est en tant que saint-marien que l’idée de m’engager pour les prochaines élections m’intéresse. » Bernard, électricien à la retraite, un habitué de l’association Val Avenir et des combats écologistes de ce coin d’Alsace, affirme : « J’ai 65 ans, je n’ai donc pas d’intérêt personnel dans cette affaire. Ce que je veux, c’est faire évoluer ma ville dans le bon sens, surtout quand je vois ce qui se passe en ce moment à la mairie. »
Béatrice poursuit sur un ton plus personnel : « Je travaille dans une crèche. Je suis presque retraitée. Je viens d’arriver à Sainte-Marie. Ici, je me sens comme dans un village. J’ai toujours été de gauche. Je me rends compte de l’importance de la sinistrose de cette vallée, tant matérielle que morale. Et j’ai le désir de faire quelque chose en tant que citoyenne de Sainte-Marie. Peut-être par la culture, le débat, les élections ? »
Après, les présentations se poursuivent. Beate, membre fondatrice de Val Avenir, ingénieure en aménagement du territoire, écologiste avant tout, parle de son « désir de lutter contre le triomphe des idées d’extrême droite qui sont l’expression d’une grave crise démocratique dans cette vallée ». Elle souligne l’importance des débats mensuels du vendredi. C’est au tour de Viviane, une femme qui a toujours vécu à Sainte-Marie : « Je suis artiste peintre. C’est par ce biais que j’ai rejoint l’association qui accueille d’ailleurs actuellement dans ses locaux une exposition de certaines de mes œuvres. Je ne me serais jamais vue sur une liste électorale, mais là, sans savoir vraiment pourquoi, avec ce groupe, l’aventure me tente. » Il y a encore Christiane, mère de famille, impliquée dans la vie de la paroisse protestante, qui évoque sa joie lorsqu’elle a découvert qu’elle n’était pas la seule à être effondrée par le succès de l’extrême droite dans cette vallée qui connaît tant de problèmes : « Mon mari et moi sommes particulièrement attachés à la lutte contre le racisme et à la défense des populations d’origine étrangère. On avait proposé à mon mari, il y a longtemps, d’être sur une liste. Il avait refusé, et je le lui avais reproché. Alors aujourd’hui, quand on m’a proposé, je me suis dit que je devais saisir cette occasion d’agir concrètement. »
Deux tendances fortes se dégagent de cette soirée. Il y a ceux qui pensent qu’une aventure comme celle-là est une aventure humaine. Qu’il y faut un fonctionnement de groupe, que les gens aient du plaisir à se retrouver, à envisager une action commune. Et que le programme, donc, doit s’inventer dans une sorte de jubilation créative et collective. Et il y a ceux qui considèrent qu’il faut dès à présent poser des lignes claires, sur la base desquelles d’autres puissent rejoindre le projet. Ainsi Alain, qui enseigne le bûcheronnage au lycée professionnel de la ville : « Nous partageons tous des idées, mais il faut bien voir que l’élection va se jouer sur des têtes, pas sur des idées. » Beate lui rétorque aussitôt : « On ne va tout de même pas brader nos idées et nos valeurs pour une stratégie électoraliste. Si on montre clairement notre projet, les têtes compteront moins. Je ne veux pas de gens qui ne souscrivent pas à nos idées, qui seraient là seulement par opportunisme ». Est soulevé le cas d’une personne d’origine maghrébine, qui vote semble-t-il pour l’extrême droite, mais qui veut faire partie de la liste, dont elle partage souvent les vues.
La fin de la réunion s’annonce. Des blagues fusent, parfois en dialecte alsacien. Trois décisions sont prises : assister à une réunion du conseil municipal consacrée au plan local d’urbanisme ; chercher une dizaine de nouvelles personnes (puisqu’il faut arriver à 29 personnes pour monter une liste), la difficulté résidant plus dans leurs qualités et désirs d’engagement que dans leur nombre ; enfin, fixer lors de la prochaine réunion les grandes lignes sur la base desquelles travailler en commissions, afin d’élaborer petit à petit un programme qui combinerait la volonté d’alternative véritable et une connaissance précise et technique des problèmes.
Février 2007._Le projet avance. Au point de départ des discussions de la soirée, la circulation, cruciale dans une vallée dont la gare a fermé et qui est devenue un tunnel routier très emprunté par les camions. Contre l’hypothèse, coûteuse, d’un nouveau tracé de route ou d’un nouveau pont, l’association prend position pour assurer une meilleure desserte pour le réaménagement de la route actuelle, et surtout pour une réflexion approfondie sur le développement de transports en commun qui ont périclité au cours des dernières années.
De là, on rejoint l’écologie, essentielle tant l’association veut faire du nouage entre écologie, économie et domaine social l’axe central de sa campagne. Il s’agit de tisser des ponts : entre écologie et économie, travailler sur les énergies renouvelables, forestière et solaire ; de là, rejoindre le domaine social — faire bénéficier les écoles, lycées, hôpitaux et logements sociaux de ces sources d’énergie, tout en travaillant sur les choix architecturaux, en prenant en compte les nuisances dont pâtit la ville.
Se souvenir ici que la forêt est un patrimoine très important pour les 3 000 habitants de Sainte-Marie : autour d’elle, on peut imaginer des encouragements fiscaux pour toute entreprise qui travaillerait le bois, l’organisation du stockage de bois pour les particuliers, des chantiers d’insertion, voire la création d’une « maison de la nature et des produits de la forêt » en centre-ville.
Le centre, justement, déserté par les commerces, occupe la suite du débat : la rue principale de la ville n’est plus qu’une succession de vitrines vides. Qu’y montrer ? La ville, après inventaire, pourrait racheter ces locaux désaffectés et utiliser les vitrines en lieu d’exposition, qu’un comité des fêtes concevrait en accord avec le Frac d’Alsace.
En fin de parcours, on s’approche prudemment de quelques questions graves : créer un poste dévolu à la question de l’emploi. Vers qui s’ouvrir — des contacts sont envisagés, d’ici la prochaine réunion. Comment aborder la pauvreté, incontestable dans la ville plus qu’ailleurs dans la région, tout en respectant la dignité de ceux qu’elle concerne — formuler un projet de demande d’aide de la ville, créer des chantiers d’insertion. On fait le compte des thèmes qui restent à aborder : intercommunalité, finances, démocratie.
Mars 2007._Peu de présents, et pas encore assez de volontaires pour constituer la liste — les contacts pris n’ont pas abouti, chacun hésite en invoquant des raisons personnelles. Ne pas se décourager : « Pour avoir une liste, il faut contacter trois fois plus de gens que le nombre de candidats prévus, c’est normal. » Résister, pour autant, à la tentation d’ouvrir à tous les vents, de remplir pour faire nombre : dire officiellement qu’on recherche toute personne intéressée par la liste serait courir le risque d’avoir à rejeter ensuite des candidats qui ne conviendraient pas du tout. Du coup, on avance en tâchant d’imaginer les manières de transmettre le programme, auprès de la population et de ceux qui seraient susceptibles de le porter à leur tour. Plusieurs projets émergent : réaliser un livre blanc détaillé, en sollicitant des spécialistes sur chacun des domaines considérés — la forêt, le commerce, le social... —, et réaliser sur cette base un texte court, une sorte de résumé ou de carte de visite qui permettrait de se présenter aux nouveaux participants pressentis. Dans le même temps, ouvrir des espaces de discussion ; on envisage l’installation d’un « arbre à palabres » au marché, la création d’un site internet pour la liste, dont le nom reste à trouver.
Il s’agit aussi de se mettre au point, par ailleurs, sur les finances, à partir des dossiers prêtés par la mairie — car la liste aura, le cas échéant, à honorer les engagements de l’équipe sortante, à assumer les projets et les marchés passés par ses prédécesseurs. En attendant, on anticipe sur les difficultés à venir, on se dit qu’il faudra border le projet sur son versant électoral : se renseigner sur la réglementation du financement des campagnes, se pencher sur la parité homme-femme... Autour des quelques participants, toutes les questions semblent se presser en même temps.
Notes
[1] V. Pierre Kretz, « Y aller ou pas », Vacarme, n°38, p. 89.