Vacarme 20 / chroniques

les éphémères / à la rencontre de qui

par

En 1830, Andersen a découvert à Rome, dans un ancien cimetière, une double tombe où étaient inscrits « Rien » et « Ombre » au pied des monuments de l’homme et de la femme.

De toutes petites plantes grasses poussent leurs visages aux papilles grenat au bord des sentiers, à l’ombre de rien. Ce sont des succulentes, à peine dessablées. Des cactées. Parfois leur cœur est jaune. Le soir, d’un mouvement furtif qui ferme leur corolle, leur visage se rétracte sous le sable. Et c’est un étonnement de ne plus les voir. Elles disparaissent comme des crachats de lune [1] après la pluie. Sans mourir. Une simple lisière les sépare des êtres animés - il suffirait que leur mouvement soit un peu plus rapide. Il suffirait d’un autre temps pour le déchiffrer que celui de l’œil nu. Près d’elles des cristaux de sable se touchent, se serrent au pied des roches. Non ce n’est pas l’abrasement des pierres. Ils prennent corps et se dressent en blocs couverts de talc. Leur mouvement dure longtemps. La lisière s’épaissit. On y colle l’oreille chacun son tour pour écouter les langues murmurer dans la pierre, comme on tend la main vers le fond de la mer. Là, il arrive qu’on surprenne une brèche. L’écorce terrestre s’entrouvre sur une source : l’eau pénétrant l’eau, faseille. Les poissons viennent y voler des caresses. Qui va à la rencontre de qui ? Si je me couche et que j’attends, un voile de silence laisse les pensées s’approcher. Elles viennent sans crainte, avec leur regard luisant d’éphémères, se poser au bord de l’eau, gansées de tulle. Elles ont quitté leur vie de larve pour s’élever. Elles sont prêtes à ne vivre que quelques heures, à peine un jour. Elles sont prêtes à danser leur plus grand bal. Ce sont les insectes ailés les plus anciens du monde. Elles ont des yeux pour se choisir, n’ont plus de bouche pour se nourrir. Leurs deux paires d’ailes membraneuses en font de minuscules libellules. Au début de l’été, elles s’élancent en essaim pour leur double accouplement : chaque mâle porte deux sexes comme la femelle qu’il féconde. On n’est là pour rien d’autre que dévisager leur passage au monde, n’est-ce pas ? Mais il faut prendre des précautions. Il faut ourler le bord de l’eau d’un fil doré, très fin mais très solide. Pour que du passage de ces pensées quelque chose s’arrache et reste. Pour qu’elles consentent à l’accroc du vivant. Personne ne se sépare seul. Lorsqu’elles sont prêtes à mourir, les éphémères chutent. On les voit palpiter encore sous leurs ailes translucides, comme les organes des écorchés. Ceux-là après avoir fendu leur peau se l’ôtaient et la laissaient suspendue, au fond des grottes où ils vivaient ensemble, transparents.

Notes

[1Algues terrestres fugitives