Vacarme 20 / chroniques

dans le monde éternel

par

Ceux qui passent avec moi dans l’étendue libre des allées sentent-ils que la beauté haute et immobile comme les arbres ne nous retient pas plus qu’elle ne nous chasse ?

Aux présences mobiles et un peu raides devant l’immobilité du monde, aux présences vêtues comme elles peuvent pour l’inspection cérémonielle et bâclée de notre passage dans le monde, au rite abhorré du dimanche qui hésite sur le lieu où nous sommes, je ne peux pourtant pas douter d’avoir trouvé — trouvé dans un regret — le monde dans un jardin.

J’aurais voulu rester.
Le monde éternel et égal est penché en lui-même comme au-dessus d’un berceau.
Alors je reste.
Leurs pas qui martèlent le sol scandent un temps confus et incertain. Je suis avec eux dans la confusion du temps commun. Un temps poudreux pareil à la poussière des allées qui s’élève aussi longtemps, ni plus ni moins, que nous sommes là — passer le temps que nous sommes là.
Et dans le jour blanc et unique du Jardin unique, je passe avec eux dans le lieu du passage — passons sur le sol, passons sous les arbres de ce temps où nous n’entrerons pas — car ici justement nous passons dans le temps du passage.

Dans l’enclos unique de cette terre horizontale
Leur vie et la mienne impossible à inscrire
Mais dans cette unique ballade tout le temps est enclos.

Alors je veux rester plus longtemps, je veux m’égaler plus longtemps au temps du passage, pour être purement celui qui reste. Car dans ma promenade aussi je suis venu pour rester.

Le monde éternel et égal est penché en lui-même comme au dessus d’un berceau.

En cet instant le temps dans les allées du jardin semble un disque, un plan invisible et tournant — pas une roue — dont l’action inexorable accompagne le passage des promeneurs. Dans le mouvement des enfants et dans celui des hommes qui marchent, dans cette promenade obligatoire où la désinvolture s’efforce, là où je sais moi aussi devoir prendre ma place, en cet instant je me souviens que j’étais venu pour rester.

Mais le monde qui regarde en lui-même son éternelle floraison, le monde en sa beauté que nos pas ne font pas résonner, le monde est penché sur nous tous comme sur toutes les générations.