Vacarme 21 / Chroniques

« aux grèves des mineurs »

par

Photographies et textes extraits d’un monument réalisé par Anne-Françoise Brillot [Agence Paysage(s)] pour La Maison de l’Art et de la Communication, à Sallaumines dans le Nord-Pas- de-Calais. Panneau en acier brut de deux mètres de hauteur, sur chaque face sont installés 35 carreaux de faïence blancs imprimés avec des paysages. Traces physiques de ces histoires englouties sous terre. Morceaux choisis d’entretiens avec d’anciens mineurs sur leurs souvenirs de grèves.

« Mon père mineur, qui était militant, il en parlait pas. Premièrement avant 1936, il pouvait pas, parce qu’il était étranger. A la maison, oui, il disait qu’ils étaient malheureux, qu’ils auraient bien voulu se défendre mais qu’ils pouvaient pas. Ils attendaient toujours des Français qu’ils commencent à faire grève. D’ailleurs mon père n’a jamais brisé une grève, jamais, depuis 1934. »

Ancien mineur, Sallaumines, juin 1998

« Pendant les grèves de 1934, j’étais enfant, on allait chez ma marraine. On pouvait voir ce qui ce passait. Les mineurs derrière la grille, les gens qui leur apportaient à manger. On interdisait de leur donner à manger, les gardes mobiles ils venaient, ils se mettaient devant la grille, on pouvait plus approcher. C’est là que c’était très mauvais, parce que c’était au moment du fascisme. Ils fonçaient sur les gens, ils bousculaient les gens, ça je l’ai vu, j’étais derrière les palissades. »

Ancien mineur, Sallaumines, juin 1998

« Le plus gros ça a été 1948. J’ai passé deux mois en prison. Ils m’avaient préparé un dossier pour me faire signer un papier d’expulsion. Je suis né en France, je signe rien du tout. A l’époque de la prison, on passait par un souterrain pour aller au Palais de Justice. Ça a été vite bâclé. Vous êtes condamné à 21 jours de prison, mais compte tenu de la peine que vous avez effectuée, vous êtes libéré. J’ai été relaxé. J’avais quand même un peu de monnaie qui m’a permis de prendre l’autobus pour que je rentre à Auchel. J’ai été arrêté pour fait de grève. On s’est fait arrêter par les tirailleurs nord-africains. Après j’ai été licencié des Houillères pour absence non-motivée, j’ai pas réussi à retrouver du travail à la mine. »

Ancien mineur, Lens, avril 1998

« En 1948, la troupe on l’a eue, même avec des chars. A Bruay, ils étaient groupés à l’Hôtel de Ville, et ils partaient de là, vers les sièges pour ouvrir des brèches dans les murs pour laisser rentrer la police (...) Alors c’était fini. Les responsables syndicaux ils étaient arrêtés, il y en a qui ont été licenciés. Il y en a qu’on fait de la prison, il y en a certains qui ont été repris à la mine. Ceux qui ont été renvoyés, c’était embêtant, fallait qu’ils libèrent la maison. Ils n’avaient plus le droit au logement, ils n’avaient plus le droit à la sécurité sociale des mineurs, ils avaient plus rien. Du jour au lendemain. »

Ancien mineur, Sallaumines, juin 1998

« En 1963, là j’étais marié, c’était différent. Mon beau-frère, il a été à Paris pour la collecte pour les mineurs, il dit, les billets de 100 francs, ils planaient sur les routes, tous les gens des appartements jetaient de l’argent aux mineurs. »

Ancien mineur, Sallaumines, juillet 1998

« En 1948, j’ai participé aux grèves, j’étais pas encore ouvrier, je sortais de l’école, on faisait partie des groupes de la Jeunesse Communiste. Et là-dedans, comme on était jeune, on servait de coursiers pour la grève entre les fosses, à porter les messages pour les piquets de grève. On était engagé là-dedans, on donnait un coup de main aux adultes qui faisaient la grève. Parce que la police avait coupé le téléphone par moment. Alors c’était nous, on renseignait par papier, on avait des enveloppes, on savait même pas ce qu’il y avait d’écrit dedans. On allait à pied, on passait dans les rues en s’amusant, en se promenant. On nous le disait bien, faut vous amuser en route, faut pas traîner mais faut vous amuser. »

Ancien mineur, Sallaumines, juin 1998

« En 1963, ben moi j’étais tous les jours à la pêche. Il y avait aussi des grèves comme ça, de 24h pour une journée, on disait "grève". Chaque fois on faisait grève, mais on se levait quand même pour aller voir sur le carreau. Puis une fois, nous on s’est donné le mot avec trois copains, on dit, "ch’est grève", ben nous on va à la pêche ! On est parti à la pêche, mais seulement tout le monde avait travaillé cette journée là ! Alors on avait l’air con ! On va pour se pointer. Le porion, il dit : "Ho, v’la les communistes !". Je lui ai dit : " T’as jamais eu un coup de poing dans la gueule par ces communistes-là ? Fais attention, il y a des syndicats, ça va se savoir ! J’ai le droit de faire grève, t’as compris ?" Devant tout le monde. Après, il se méfiait de moi, il s’est dit celui-là il est un peu trop nerveux. »

Ancien mineur, Sallaumines, juin 1998

« Le plus mal ça faisait quand on a repris et qu’on n’a rien touché. Les grèves qu’on appelle "les grèves pour rien du tout", ça, ça faisait mal, c’était dur à reprendre. C’était pas toutes les grèves, mais... Tout le monde était décidé à manger une patate à l’eau tous les jours, ça on en aurait eu toujours. Mais ils avaient belle manière de nous faire arrêter ! Et puis quand les syndicats ils ont inscrit le protocole de reprise du travail, les gens ils se déchiraient de plus en plus. Ils disaient c’est pas normal, on aurait continué 3, 4 jours, on aurait gagné. Et nous on a repris le travail et on n’a rien eu. Beaucoup de grèves se sont finies comme ça. Bien souvent on a tenu, au moment où il fallait tenir encore 2, 3 jours, ils ont trouvé le moyen de nous faire repartir au travail. Et puis après pour refaire des grèves vous savez c’était pas facile. Il y a beaucoup de gens qui ont crié à la trahison. »

Ancien mineur, Sallaumines, juin 1998