« plutôt qu’un personnage que je m’invente, un personnage que je rencontre » rencontre avec Laurent Hasse

1/ Le parti pris du réel

Sur les cendres du vieux monde s’inscrit dans un double itinéraire. Un itinéraire biographique, d’abord, assumé dès les premières images du film : celui d’un jeune homme qui quitte à dix-huit ans une vallée industrielle au déclin programmé et qui revient, douze ans plus tard, pour filmer ce qu’il en reste, c’est-à-dire ceux qui sont restés. Mais un itinéraire cinématographique, tout autant, que ce film prolonge et accélère : celui d’un réalisateur dont le travail s’est toujours tenu à distance, simultanément et délibérément, de la fiction et du reportage, dans cette zone où l’image est indissociablement un document et un point de vue, à la hauteur exacte du réel tel qu’on s’y tient, plutôt que tel qu’il se donne à l’objectivité clinique de l’enquêteur ou à l’imagination souveraine de l’artiste. À cet égard, Laurent Hasse est bien un réalisateur engagé : engagé géographiquement, affectivement ou politiquement — et souvent les trois à la fois — dans le réel qu’il filme, qu’il s’agisse des relations de voisinage (Propos de voisins, 1990 — une exploration de son quartier), d’une manifestation qui l’énerve (Bronzez Catho, 1998 — une « video joke » sur les Journées mondiales de la jeunesse) ou d’une vieille femme qu’il aime (l’Âge d’or ?, 1996 — un film dans lequel sa grand-mère apparaît). En filmant la vallée de la Fensch, à la fois territoire d’enfance et épave de fer, Laurent Hasse continue sa route, mais il en écarte les deux bords : dans Sur les cendres du vieux monde, tout à coup, la subjectivité se fait plus intime, le réel plus massif.

« Mes premières expériences dans l’image relevaient de la fiction : des stages, un court-métrage de fin d’étude. Or je n’y ai pas pris plaisir, à aucun stade, de la préparation à la copie zéro. Tout me semblait être la simple mise en pratique de ce qui préexiste sur le papier. En tant que réalisateur, je ne suis pas attiré par la fiction parce que, pour moi, la fiction consiste à mettre en image des choses qui préexistent : tes souhaits, tes rêves, tes fantasmes, tout ce qui sort de ton esprit. Dans le réel, ce qui est vachement bien, c’est l’imprévu et la surprise. Le film ne ressemble pas au dossier que vous avez lu : des personnages ont disparu, d’autres sont apparus. Je n’aurais pas pu, par exemple, écrire le parcours de Didier, c’est trop gros : au départ il citait Coluche : « Le syndicalisme est à la société ce que le mercurochrome est à la jambe de bois. » ; puis il adhère à la CGT, avant de virer FN. Même si c’est courant aujourd’hui, c’est quelque chose que je ne pouvais pas imaginer. Ce qui m’intéresse dans le documentaire, c’est l’Autre. Plutôt qu’un personnage que je m’invente, un personnage que je rencontre. Cela dit, je suis un spectateur assidu de fictions. Celles de Laurent Cantet ou de Ken Loach, par exemple... Mais peut-être parce que leurs films sont proches du documentaire, justement.

C’est une question qu’on pourrait se poser avec des historiens du cinéma. Le cinéma, au départ, c’était un spectacle forain, fait pour divertir. Nous, nous avons la prétention de vous emmener en voyage, mais avec le quotidien, sans vous le faire oublier... Du coup, on attend de nous l’objectivité, ce qui est une erreur. En matière de cinéma, l’objectivité est aussi vaine qu’illusoire. Quand on me demande ma profession, je dis : « réalisateur », pas « documentariste ». D’un documentaire, on attend souvent la prétendue objectivité d’un reportage. Or je crois que la force du documentaire c’est précisément sa subjectivité, c’est-à-dire la place et le statut de l’auteur dans l’histoire qu’il a envie de montrer. Dans un précédent film, sur les personnes âgées, bien que ce ne soit pas une volonté première, ma grand-mère tient le « rôle » principal. J’ai fait un autre film sur le handicap avec un ami tétraplégique. Je me suis intéressé aux relations de voisinage en tournant dans l’immeuble dans lequel j’habitais à Poitiers. Bref, je ne vais pas chercher très loin : je ne suis pas très curieux quant au choix des thèmes, des territoires ou des personnages. Mais j’ai l’impression qu’il y a tellement de choses dont je peux me nourrir dans la vie au coin de la rue que je ne suis pas pressé d’aller voir ailleurs, et encore moins dans le domaine de la fiction. J’ai tant à découvrir sur le pas de la porte. J’ai l’impression d’avoir le tour du paillasson à faire avant d’aller voir ailleurs. Et je n’en ai pas fini avec mon paillasson.

Pour ce qui est des Cendres, j’étais là encore en terrain connu : une région qui m’a vu naître et où j’ai passé les dix-huit premières années de ma vie. Je l’ai quittée pour des raisons qui me sont propres mais je sentais un besoin d’y revenir un jour pour en parler, pour y bâtir quelque chose. Je ne savais pas alors qu’il s’agirait d’un film. En coupant le cordon qui me liait à la vallée de la Fensch, j’avais l’intime conviction de quitter un monde à part, un espace clos et méconnu, plus tout à fait la France, mais pas encore l’Allemagne... une région obéissant à un fonctionnement propre : une logique dictée par son industrie dominante, l’exploitation du fer. Je pensais cette région suffisamment singulière pour intéresser « ceux de l’extérieur ».

Mais pour rendre cette singularité palpable, il fallait un passeur. Je l’ai compris en découvrant Roger & I, le film de Michael Moore. Le schéma y est identique : une monoculture industrielle, la construction automobile aux mains de la General Motors et de ses filiales ; une région natale : Flint, dans le Michigan ; un réalisateur-enfant du pays dont le statut va bien au-delà du simple rôle de guide. Car, oui, il ne s’agissait pas seulement de faire découvrir mais de redécouvrir soi-même également un territoire qui s’est redessiné et bouleversé depuis votre départ. Il s’est écoulé dix années entre mon départ précipité et mon retour caméra au poing ; à la casquette de passeur, je me dois donc d’ajouter celle d’explorateur... ça fait peut-être beaucoup pour une petite tête. »

2/ âge de fer

Rien de plus tentant que de ramener la vallée de la Fensch à sa géographie et à son histoire, comme aux deux mâchoires d’un destin. Destin géographique d’une étendue minuscule (quinze kilomètres de rivière partiellement souterraine qui coule vers la Moselle, à hauteur de Thionville), à la toponymie monotone (Hayange, Knutange, Algrange, Nilvange, etc.), vouée à l’amertume des ruées vers l’or, hier centripètes (vers ce « Colorado en plus petit », chanté par Lavilliers), aujourd’hui centrifuges (au « pays des trois frontières », celles de l’intérim belge, luxembourgeois et allemand). Destin historique d’un territoire lié à la révolution industrielle, dont il sera successivement le berceau (la famille de Wendel y bâtit sa fortune), le fleuron (prestige des hauts fourneaux), l’orphelin (premières fermetures dans les années 1960) et le tombeau : les pouvoirs publics préfèrent aujourd’hui « ennoyer » les villages plutôt que d’en consolider le sous-sol, sapé par les galeries. Pourtant, si le film y contribue, à sa manière, ne serait-ce que par son titre, il invite aussi à se méfier d’une telle fresque. Au ressac massif des migrations économiques, Laurent Hasse substitue le mouvement à la fois plus mélancolique et moins accablant des départs et des retours, réussis ou échoués. Et à l’inexorable requiem du fer, il substitue un blues à la fois plus poignant et moins dur : celui des quinze dernières années de la vallée, dont rien n’autorise à dire qu’elles sont les dernières. Bref, le film refuse à la fois le fatalisme (un déclin, soit, mais pas un destin) et les lendemains qui chantent (des possibles, soit, mais sans illusion). Dans Sur les cendres du vieux monde, en fait, la géographie et l’histoire de la vallée de la Fensch sont ramenées au ras du sol et à hauteur de vie : comment s’accrocher à une pente ?

« Tout s’est tourné dans un rayon de trente ou quarante bornes. J’ai montré le film en Sarre, à la frontière allemande. Les gens étaient surpris : ils ne connaissent pas cette partie du département de la Moselle pourtant limitrophe. La vallée de la Fensch et la vallée de l’Orne sont de toutes petites réserves. Ce qui était une sorte d’atout stratégique dans les années 1960 — tout le fer français s’y concentrait, donc l’attention aussi — devient un handicap : aujourd’hui, ces vallées pourraient disparaître sans faire de bruit. Pour comprendre ce qu’a pu être l’âge d’or industriel de la région, il n’y a qu’à lire la presse de l’époque qui présentait en terme plus qu’élogieux ce « Texas français ». Une région qui, à elle seule, avait permis au pays de se remettre sur pied au lendemain de la guerre, une région au rôle prépondérant durant la frénésie de consommation des Trente Glorieuses. Ce qu’Hamid [cf. p.111], dans le film, résume bien : « T’imagines que la ville était comme un corps humain dont l’usine était à la fois le cœur et le cerveau. » Poursuivant la métaphore anatomique, il aurait pu ajouter : « Nos parents c’étaient les bras ». Aujourd’hui il ne reste plus que des bras inertes, des pantins désarticulés au pied d’usines-épouvantails.

Lorsque je suis parti en 1988, le déclin de la vallée était déjà plus qu’annoncé. Les derniers grands mouvements sociaux datent de 1985/86. On savait déjà que la sidérurgie, donc la région, était condamnée. Il y avait donc déjà quelque chose de révolu. Mais il y avait encore l’espoir d’autre chose qui viendrait panser l’hémorragie d’emplois.

Des sociétés d’électronique, comme JVC ou Toshiba par exemple, implantaient des structures vouées uniquement à l’assemblage de téléviseurs, de micro-ondes ou de magnétoscopes. On appelait cela des usines-boulons : de grands hangars avec les machines et les postes de travail boulonnés à même le sol, ce qui permettait que toute l’unité de fabrication soit démontée très rapidement vers d’autres sites économiquement plus avantageux. Quand les exonérations de charges pour les employeurs s’arrêtaient, ils délocalisaient : c’est ce qui se passe en ce moment pour Daewoo à Fameck. En 1988, on avait encore l’espoir que l’État, les politiques, les économistes et les entreprises ne délaisseraient pas la région, cette manne de main d’œuvre. Depuis, après plusieurs tentatives, tout a échoué.

Mais ce ne sont pas seulement les usines qui ferment. Des villages devaient être ennoyés en novembre 2002. Les combats sur place ont permis d’obtenir un sursis jusqu’en 2004 ; après... ? Il a été montré que toutes les solutions pour sauver l’habitat seraient plus coûteuses que l’expropriation. On a proposé à Bernard Boczkowski [cf. p.110] des logements à la périphérie de Metz, des cités HLM, des tours, des ghettos : à soixante-quatorze ans, il ne veut pas de ça. Il va continuer à se battre en interpellant les élus locaux, en fédérant les associations. En dernier recours, il est capable de se retrancher chez lui : il a déjà menacé de le faire. Dans des séquences que je n’ai pas montées dans le film, devant des représentants de la DRIRE [1] qui n’entendent pas leur désespoir, les habitants prennent exemple sur ce qui s’est passé dans une usine des Ardennes, dont les ouvriers promis au chômage menaçaient de verser dans la rivière locale des toxiques utilisés et stockés dans leur usine. Lorsque l’on sait la quantité de polluants (huiles, gasoil, transformateurs au pyralène, matériaux divers) qui a été abandonnée dans les galeries minières, la menace est à prendre au sérieux. Je reste persuadé que toutes les voies légales seront explorées avant d’en arriver à de telles échéances, mais la situation est réellement désespérante. Sur la commune de Moyeuvre-Grande où une partie des galeries sous la ville est d’ores et déjà ennoyée et où les maisons s’écroulent, on ne compte plus les dépressions nerveuses parmi les habitants, pour la plupart anciens mineurs. Certains d’entre eux se sont déjà suicidés. D’autres se barricaderont si dans deux ans on tente de les mettre dehors par la force. Ça plaira alors beaucoup aux médias, mais il sera trop tard. Aujourd’hui, l’issue dépend du ministère de l’Industrie, qui dépend du ministère des Finances — aujourd’hui aux mains de monsieur Francis Mer, l’ancien PDG d’Usinor,... qui est donc l’ancien responsable de ce qui se passe là. Les dés sont un peu pipés. »

3/ quelle guerre ?

Destin encore. Invasions, annexions, tranchées, percées : la Lorraine est un front séculaire. Laurent Hasse n’y échappe pas, et file volontiers la métaphore guerrière : « J’ai quitté un champ de bataille, dit-il, et j’y retourne. » À y regarder de près, toutefois, le film et ses travaux préparatoires déploient, non pas une, mais trois images de la guerre. Celle des corps à corps, d’abord, entre grévistes et CRS lors des violents mouvements de grèves qui se développent, puis s’éteignent, entre 1979 et 1985 : « J’avais l’impression que c’était la guerre, littéralement. » Celle de la Seconde Guerre mondiale, ensuite, métaphore de la mondialisation libérale : « La région est occupée par l’ultra-libéralisme. » Mais s’il est facile d’identifier des collabos, où est la zone libre, et où sont les résistants ? D’où la troisième image, celle par laquelle le film commence : La chevauchée fantastique, le film comme western, la vallée comme Far West, une classe ouvrière en devenir-indien. Ces trois registres d’images n’ont pas le même statut, ni dans le propos, ni dans le film : le premier tient du souvenir, et apparaît dans le film comme une archive ; le second est un motif, voire une motivation préparatoire, mais n’apparaît pas à l’image ; le troisième est moins une citation que l’archive d’un souvenir d’enfance — un fragment de cinéma vu à la télévision. Tous trois coexistent et se traversent davantage qu’ils ne s’ordonnent. Reste que l’interprétation est tentante : de l’affrontement brut à la lutte des classes, de la lutte des classes aux devenirs minoritaires, l’espoir naît, tout à coup, d’avoir quelque chose à dire non pas de, mais à la classe ouvrière.

« J’avais 9 ans en 1979, au moment des premiers mouvements. Les grèves de mineurs ou de sidérurgistes étaient très violentes, de vrais combats de rue. Pour ma part, c’était la première fois que je voyais des CRS reculer. Les grévistes n’avaient rien à perdre : ils avaient déjà tout perdu. J’avais l’impression que c’était la guerre, littéralement.

Mon père étant cadre, il n’était pas directement menacé par les grandes vagues de licenciements et ne participait pas aux manifestations. Il revenait à la maison avec les ordinateurs de l’usine en disant : « S’ils saccagent les bureaux il faut sauver les données, sauver les programmes... » C’était quand même étrange. Je me demandais ce qui se passait, et de quel côté était mon père. Les boîtes fermaient, mais lui passait de l’une à l’autre sans difficulté ; et ça, je ne le comprenais pas. Cela entretenait le confort, bien sûr, mais ça posait aussi des questions. Mon père bossait énormément, mais à la maison il ne parlait jamais du boulot. À tel point que c’est bien plus tard que j’ai réellement découvert de l’intérieur l’activité sidérurgique réelle, à l’occasion d’un stage à Sollac quand j’avais 18 ans. Du jour où mon père a été en pré-retraite, il s’est totalement désintéressé de son boulot. Les cadres ont senti très tôt que l’arrêt de mort de la sidérurgie avait été signé. J’avais une vision du monde assez caricaturale, mais je voyais bien qu’il y avait des gens — et, entre autres, les parents de mes amis — qui avaient des problèmes parce que l’unique salaire du foyer était menacé ; et que ce n’était pas le cas dans ma famille.

Quand je quitte la région, je quitte donc un champ de bataille. C’est aussi la manière dont je me formule mon retour : la région est occupée par l’ultra-libéralisme. Un des axes de mon travail et une des raisons du retour dans ma région, c’est d’y scruter localement les effets de la mondialisation. Quant à la zone libre, elle s’amenuise, elle se raréfie. Hors de la Lorraine, par la suite, j’ai simplement vécu dans des régions mieux protégées parce que plus diversifiées sur le plan économique. Dans la vallée de la Fensch, les dégâts sont d’autant plus visibles que le territoire est encaissé et dépendant d’une seule industrie. C’est vraiment ce qui fait la particularité de la région : la vie tournait autour de l’usine. Les jeans que je portais, c’étaient ceux proposés par l’économat de l’usine. Les vacances que j’avais, c’étaient celles de l’usine. Les cadeaux de Noël, c’étaient ceux de l’usine. L’usine, ce n’était pas que le travail du papa : c’était tout.

Reste que, dans ma parabole guerrière — collaboration, victimes, zone libre — il manque les résistants. Je ne sais pas si c’est une surprise, mais c’est un constat. Est-ce moi qui n’ai pas pris les bonnes voies, celles qui m’auraient permis de rencontrer d’éventuels résistants ? En tout cas, ces résistants dont je rêvais depuis Paris, je ne les ai pas trouvés sur place. C’est peut-être ce qui fait que dans le film, cette métaphore guerrière a cédé le pas à une autre : celle du western. J’étais persuadé de tourner un western. D’où John Wayne au début. La Lorraine, c’était un Far West, une ruée vers l’or. La presse parlait d’ailleurs du « Texas lorrain ». Quand l’or s’est tari, il ne manquait plus que les condors, les vautours chauves et les boules de végétation qui se promènent dans les rues désertes pour que le tableau soit complet. Et puis il s’agissait aussi d’ouvrir le documentaire par une scène de fiction. Une manière de dire au spectateur : vous êtes assis pour regarder un film, vous allez voir une histoire. Par ailleurs cette séquence extraite de La Chevauchée fantastique de John Ford — un écran VHS refilmé : l’image est bleutée, je voulais qu’on voie les pixels de la télé — s’articule à des images et à des souvenirs d’enfance : les mecs que je voyais à la télé se taper sur la gueule pour défendre leur usine, ce que je voyais depuis la fenêtre dans la rue, et puis ces images de western. Le procédé avait ce triple statut : c’est une histoire vraie, mais c’est une histoire, et une histoire d’enfance.

Bref, j’étais persuadé de tourner un western, et tout collait. Dans la vallée, nous sommes les Indiens : une réserve d’ouvriers à une époque qui n’est plus ouvrière, dans une économie de cow-boys conquérants. Quant à l’omniprésence de la Vierge [une statue monumentale qui domine la vallée — cf. p. 106] : la statue, c’est le totem. Et quant à mon rôle là-dedans : sans doute le cavalier blanc qui revient en haut de la colline... »

4/ filmer l’immobilité

Si le travail de Laurent Hasse témoigne d’une nouveauté dans le « cinéma du réel » — deux termes qu’il refuse de dissocier —, c’est qu’il engage entre eux un rapport particulier. Non pas un rapport de maîtrise, entre la matière et sa mise en forme, ni un rapport de représentation, entre l’objet et son image, mais un rapport de correspondance, entre les mouvements du réel et ceux de la caméra — entre l’objet et l’objectif, qui cesse de l’être. Avant le tournage, le programme technique était tranché : la vallée en travelling, les usines mortes ou fumantes en plans fixes, les gens caméra à l’épaule. Il est tenu en ce qui concerne les usines, toujours filmées en plan fixe. Il a été révisé, en revanche, en ce qui concerne les travellings, remplacés par des déplacements caméra à l’épaule (sur la route du Luxembourg, dans les rues d’Hayange) et par des objets mobiles traversant les plans fixes (trains, nuages, fumées). Comme si, entre la mobilité maîtrisée du cinéma (travelling) et l’immobilité attendue du réel (fossiles industriels), le réalisateur avait découvert, dans la vie de ceux qu’il filme, un mouvement intermédiaire et paradoxal : une sorte de mobilité sur place, ou d’immobilité mouvante, à laquelle son programme technique a dû s’ajuster. Ce que confirme la bande-son, le rock à la fois lent et furieux de Rodolphe Burger, lui aussi attentif aux « Indiens » [2]. Deleuze, à propos : « Les nomades, à la lettre, restent immobiles. Ils s’accrochent à leur terre. »

« J’ai passé beaucoup plus de temps à réfléchir à la manière dont j’allais tourner qu’au tournage proprement dit. On est chez soi, les yeux dans le vide et l’on crée mentalement la séquence à tourner, sous tous les angles, avec toutes les focales possibles, pour trouver le moyen le plus adéquat de servir le propos. Cela donne une base — fragile certes mais une base tout de même — pour aller sur le terrain. Mais le réel est une matière étrange, qui oblige très souvent à revoir son jugement, à réinventer sur place d’autres positions ou propositions.

De fait, le seul principe vraiment respecté au tournage, c’est d’avoir filmé systématiquement caméra à l’épaule dès que j’étais avec une personne physique. Dans ces moments-là, si j’avais pu remplacer la caméra par un petit objectif sur mes lunettes, je l’aurais fait : je voulais vraiment être dans la relation, de manière brute. Quant aux travellings, c’était une intention relative à ma mémoire : dans mes souvenirs, la vallée n’était qu’usines sur quinze kilomètres. Or ce n’est plus le cas, d’où l’absence de travellings. Pour annoncer l’immobilisme, le plan fixe convient évidemment mieux. Je reste en plan fixe avec ceux qui se déplacent, et ce sont eux qui font le travelling : « James Dean » [cf. p. 113] dans sa voiture pour aller au Luxembourg, ou Didier dans sa voiture pour aller de son lieu de travail à chez lui. À partir du moment où il n’y a plus de boulot il n’y a plus de travelling.

Je pense à une séquence avec Didier : nous sommes chez lui, il nous montre sa cage d’escalier, il nous montre le « permis de démolir » affiché sur son immeuble ; au plan suivant, nous sommes au café et il annonce qu’il a rallié la liste FN aux municipales. Dans la réalité, nous sommes allés de son domicile au café en voiture ce qui aurait pu se traduire dans le film par un travelling mais celui-ci aurait été inutile, une simple respiration qui aurait enfermé la séquence dans un clip, où tout doit couler... découler. Sa maison est en train de s’écrouler, il n’a plus de boulot, il n’a plus rien : il ne lui reste que cette fuite en avant vers le Front. Bref il est au pied du mur et cherche une solution en s’engouffrant dans une impasse. Il m’a donc semblé important de préférer des plans fixes.

Fixes et assis : je ne voulais pas d’une conversation de comptoir. Le comptoir du Café de la Paix est l’endroit des habitudes, des conversations anodines de la vie de tous les jours. Là il allait être question de choses graves : le ralliement aux thèses frontistes. Je me suis donc délibérément mis en retrait et j’ai attendu qu’il vienne me rejoindre à la table. Ce qu’il ne fait habituellement jamais : le Café de la Paix était notre saloon, un univers plutôt machiste où les tables sont implicitement réservées aux dames ; les hommes vont au comptoir, comme des cow boys. Autrement dit, à chaque fois que je pense à une séquence, je me demande : quel est le procédé esthétique le mieux approprié pour servir la narration que je souhaite livrer au spectateur.

Ce qui vaut également pour le choix de la bande-son. Dans la logique du western moderne, je pensais à Dead Man de Jim Jarmusch, et à la musique de Neil Young : la guitare est omniprésente, c’est magnifique. Je me suis demandé qui pourrait être le Neil Young à la française. Il se trouve que je suis et que j’apprécie le boulot de Rodolphe Burger depuis des années. J’ai essayé avec des morceaux préexistants et c’était ça... donc je lui ai écrit. Nous nous sommes immédiatement trouvé des points communs. Il est originaire d’une petite vallée de l’autre côté des Vosges, qui a connu les mêmes problèmes. Et il a ce même attachement à sa région.

« High tech », le morceau qui ouvre le film provient de l’album solo de Rodolphe, Meteor Show, un morceau qui « pète » mais avec un tempo relativement lent, et tous ces petits sons bizarres qui évoquent des environnements technologiques et industriels. Cela collait parfaitement aux archives du début. Il y a ensuite cette petite intro d’un autre morceau préexistant que nous avons utilisé pour les super-8. C’est un petit rien, quatre petites notes que nous avons montées en boucle, qui me rappelaient le ronron du projecteur qui envoie les souvenirs de famille sur le mur du salon. Il y a encore la mélodie simple et dépouillée qui habille ou plutôt habite le film ici et là. Quelque chose de lent et lourd. Elle accompagne l’immobilisme et les errances des personnages, elle roule à la vitesse des nuages sur la vallée, elle vient caresser le visage de la statue de la Vierge. Et la musique de fin : le « déluge » Kat Onoma. CQFD, comme son nom l’indique, le déluge de gros son, de disto et de décibel, comme une explosion finale qui participerait aux dynamitages du générique. »

5/ archives

Laurent Hasse a choisi un parti pris, celui de raréfier les archives. Il a choisi de ne conserver de ces documents, témoins du passé industriel de la vallée — son activité, ses conflits, son déclin — que trois apparitions. Le film débute avec celle d’un haut-fourneau en pleine activité, plus tard viennent les images des grands mouvements sociaux, et à la fin l’impressionnant dynamitage des hauts-fourneaux, par salves. Ces images d’archives sont rares, donc, et périphériques : Laurent Hasse n’a pas voulu ponctuer l’histoire de ses personnages de retours au passé. Elles ouvrent néanmoins le film et le ferment. À elles seules, elles dessinent une chronologie et donnent accès à un imaginaire : elles portent la splendeur de la transformation du fer, le témoignage de la lutte des classes, et la destruction d’un lieu. Entre ces images, les conversations, au présent. Les « petites » histoires se trouvent-elles, de ce fait, enserrées dans « la » grande ? Et si c’était l’inverse ?

« Pendant les préparatifs, j’ai posé l’hypothèse d’une « archive impossible ». C’était un exercice pour m’aider à cerner le sujet — se demander comment se passer des archives, c’était se demander si elles sont indispensables — parce que, hormis la donne économique : l’utilisation d’archives coûte cher, l’utilisation d’archives, c’est dangereux — on connaît le charme du 16 mm noir et blanc. J’ai visionné pendant des après-midis, à l’INA et aux archives d’Usinor Sacilor, des images magnifiques que je voulais caser parce qu’elles étaient belles. C’était le risque, alors que la seule vraie question, c’est l’intérêt de telles images pour la narration.

L’autre risque, c’est la « mythologie ». Je pense aux films d’affrontements entre grévistes et CRS, qui suscitent forcément une sorte de fascination. Leur donner une place trop importante aurait enfermé la région dans ce qu’elle était en 1984 ou en 1979. Or je voulais éviter la nostalgie. Ce qui m’intéresse, c’est la manière dont vivent aujourd’hui ceux qui sont restés dans la vallée, ce qu’est devenu le syndicalisme aujourd’hui alors que la sous-traitance et le travail précaire gagnent du terrain. Les archives de la fin ont un statut un peu à part — j’ai su très tôt quelles seraient la phrase de début et la phrase de fin. Entre les extraits en super-huit du début, et les images — très sombres — de la fin, il y a la vie dans la vallée. C’est une façon de cadrer, de placer tout ce qu’il y a eu entre les années 1970 et les années 2000, c’est-à-dire, en l’occurrence, cette chute-là. La détresse de tous les personnages que je rencontre et qui forment le noyau du film est liée à cette chute... Je craignais que l’image du dernier haut-fourneau qui fume encore dans la vallée fasse oublier tous ceux qui sont déjà démolis. Alors que c’est le dernier, le dernier des dinosaures. J’aurais voulu terminer le film avec un seul dynamitage et un ciel bleu.
Je ne l’ai pas eu. Voilà. »

6/ la mémoire

Laurent Hasse écrit que ce film porte sur « la vie après la mort du travail » et sur « la perte de bonheur ». La vie après la mort du travail s’effectue au prix d’une perte, celle non pas du, mais de bonheur. Cette perte de bonheur qu’il désigne — comme on parle d’une perte de réalité, d’une perte de temps — ne vise pas tant l’idée qu’on s’en fait que la façon dont on en dispose. C’est une perte concrète : le bonheur a foutu le camp, l’idée s’est détachée de toute réalité, plus rien de vivant n’en subsiste. Il y a là un effet de coupure très vif, dont la mémoire témoigne. Dans les propos de ceux que Laurent Hasse interroge, la plus grande violence, c’est cette coupure-là. D’un côté le passé reste apparent, dressé à chaque coin de rue comme un décor, et d’un autre il semble menacé d’une disparition globale. Comme si, avec l’effondrement de l’ensemble de la sidérurgie, la vallée de la Fensch avait été retirée à elle-même, emportant d’un même geste le passé collectif et le particulier, les rendant très difficilement dissociables pour ceux qui restent. Une forme d’amnésie douloureuse sourd de leurs propos, accusant les efforts que chacun fait pour retirer des Cendres du vieux monde un corps vivant. Sans doute, comme le souligne Laurent Hasse, la confiscation était-elle déjà là, puisque, dans cette vallée, les entreprises avaient étendu sur la vie des habitants un maillage très serré. La vie familiale était prise dans la globalisation de l’entreprise, tout passant par elle, des tâches aux soins, des habitations aux loisirs, des primes aux cadeaux de Noël. Au moment où le travail disparaît, l’ensemble du maillage s’effondre — c’est la perte de bonheur — le réveil du rêve commun sépare. Comment chacun peut-il déchiffrer la façon dont il y était pris ? Le film de Laurent Hasse met à nu ce point où la jonction est restée béante : ceux qui prennent la parole la prennent au présent, ils sont devant un truc énorme et mort qu’ils ne savent pas comment inscrire dans leur propre vie. Leurs mouvements, leurs visages et souvent leurs phrases elles-mêmes, hésitantes à prendre une forme interrogative, témoignent de ce vide, un vide d’adresse, un laissé-tomber, un abandon. Le film rend visible ce vide qui pose autant de questions politiques que personnelles — les unes ne pouvant être rabattues sur les autres. Comment dans l’écriture de l’Histoire d’un lieu, qui s’est confondue avec celle de ses habitants, renouer le fil de sa propre histoire ? C’est un des paris du film, pari tenu avec une belle discrétion. Chacun s’avance pour détacher sa part de mémoire restée soudée aux usines abandonnées, aux cités vidées, et dire la menace d’y rester muré vivant. Chacun dit son effarement, sa peine mais aussi ses tentatives d’explications ou de réponses, et c’est là qu’en peu de mots des inventions apparaissent, qui surprennent Laurent Hasse et dont il nous transmet la surprise.

« Avant, ça tournait. Les cafés étaient pleins. Avec le recul, on a tendance à gommer le fait que c’était très dur, avec des horaires de travail incroyables, que les mecs étaient cassés à quarante ans. Ils parlent tous de ce temps avec nostalgie, comme d’une perte de bonheur. Il y avait de la vie, donc du bonheur. Maintenant, il y a une sorte de léthargie et de pourrissement. Il n’y a plus la notion de bonheur : elle disparaît en même temps que le boulot. Quand tout s’arrête, les solutions ne peuvent qu’être individuelles. Ma volonté de quitter la région était un choix personnel, une manière de sauver ma peau. J’ai aussi fait le choix de revenir voir les gens individuellement. Parce que je ne vois plus sur place de solution collective.

Le rapport des gens à ce lieu, ça me fait penser au rapport à la toxicomanie. On dit d’un toxico qu’il passe autant de temps à se sevrer qu’il a passé dans la toxicomanie. Là, c’est pareil : on est dans une période charnière. Il faudra une ou plusieurs générations avant que le deuil de cette époque soit fait, avant que ça cesse d’être le vide absolu et que ça devienne possible de reconstruire quelque chose. Le traitement du passé, c’est très difficile. Très tôt, les politiques ont pensé que puisque tout était amené à disparaître, les usines au premier chef, il valait mieux les gommer des esprits et donc du paysage. On rasait tout, et on construisait à la place un parking, un supermarché, un espace paysager pour effacer la mémoire industrielle. On essayait de fabriquer de l’amnésie. Mais les gens ne pouvaient pas devenir amnésiques sur place ! Ils voulaient garder ces racines-là, garder ce lien avec une population de toutes origines sociales et raciales. La destruction du patrimoine industriel a fait beaucoup de mal. Évidemment, on veut passer à autre chose, se débarrasser du passé, mais on n’a pas pensé à l’avenir : qu’est ce qu’on peut mettre à la place ? Pour le moment, il n’y a rien, toutes les tentatives ont avorté. Cela tient aussi à la topographie du lieu : cette vallée est un cul-de-sac. Aujourd’hui, les activités économiques s’implantent le long d’axes de communication. La vallée est vouée à devenir une cité dortoir où les Luxembourgeois achèteront des maisons parce que le mètre carré est moins cher. On viendra y dormir, on ne viendra plus y construire quelque chose.

Dans le film chacun témoigne de cette question : comment garder ses racines et inventer. Pour Bernard Boczkowski, s’il n’y a plus d’outil de travail à conserver, on peut au moins préserver l’habitat. En se battant contre l’ennoyage de son village, il se bat pour sa maison, qui est une simple maison ouvrière, mais où il est chez lui. Pour ces retraités d’une soixantaine d’années, il s’est créé dans leur cité ouvrière une vie sans équivalent ailleurs. Ça évoque les pays méditerranéens : on discute sur le pas de la porte, on sort la chaise, les barbecues, etc. Tout cela va disparaître s’ils sont relogés dans d’autres cités où ils ne connaîtront pas leurs voisins. La grande peur de Bernard est celle-ci : être paumé. Il ne veut pas d’un cinq pièces trois fois plus grand que son trois-pièces, il veut conserver les liens qui se sont créés sur place. Au moment où il m’en parlait Bernard s’est mis à pleurer. Je lui ai demandé : « Vous voulez qu’on arrête ? » Il a répondu : « Non, on continue. » Quand les larmes surgissent, dans un documentaire, on est surpris. Il s’est passé la même chose avec Omar, dans la séquence sous le pont, quand il me fait part de son désespoir. Je n’arrivais pas à la monter. Si j’ai fini par le faire, c’est pour ce qu’il disait ensuite : Omar est quelqu’un qui réfléchit au sens de la vie. À l’issue de la diffusion sur Arte, il a reçu une lettre d’une spectatrice qui disait avoir été émue aux larmes deux fois en regardant sa télévision : la première par le commandant Massoud, et l’autre fois par lui, Omar. Moi, j’ai trouvé ça génial !

Chez Didier Drohm, ce qui m’a surpris c’est son attachement aussi viscéral qu’incompréhensible à cette satanée région. Il peine à y trouver sa place, à y faire des projets, à y construire une vie, mais il reste malgré tout. C’est comme si la région ne voulait pas de lui alors que lui ne s’imagine pas loin d’elle. « On est lorrain... ça ne s’explique pas. » Ça ne s’explique pas, mais c’est avec cela qu’il explique tout. La « lorrainitude » est la résultante d’une culture industrielle intimement liée au travail. Nous étions les enfants de la sidérurgie, baignés dans son paternalisme, et c’est devenu une chose sans sens. Aujourd’hui, nous ne sommes plus que « lorrains », ça ne s’explique pas. Un jour où je me trouvais avec Hamid Djamel et les autres « Apaches » de la cité d’Italie, Hamid Adjaoud m’a alpagué. Je retranscris de mémoire :

H - Qu’est-ce que tu fais chier à regarder tout le temps cette usine !

L - Pourquoi ? Toi tu ne la regardes pas ?

H - Je ne la regarde plus ! On ne la voit même plus ! Pour moi, elle n’existe pas !

L - Qu’est-ce que tu veux dire ? Ta maison est juste en dessous d’un truc énorme, mais s’il n’était pas là ce serait pareil ?

H - Bien sûr ! Je préférerais qu’on rase tout ou, mieux, que ça n’ait jamais existé. Tu nous les casses à toujours rabâcher l’histoire, le passé. Si tu veux que je te parle du passé, laisse-moi plutôt te parler de mon père !

Là-dessus, Hamid est parti dans un long monologue où ressurgissaient les souvenirs de son père rentrant sale et fourbu au petit matin, après une nuit à l’usine, ceux de lui gamin allant dans cette usine pour rapporter au père la gamelle oubliée, ceux des défilés sous les fenêtres de la préfecture... et surtout celui des obsèques de ce père, organisées et payées par l’usine, avec le directeur en costume venu dire un mot gentil à la veuve. Et Hamid de conclure : « Le jour où ça tombera, c’est clair que c’est la seule trace palpable de mon enfance qui disparaîtra. »

Retrouver Didier Rizzotto, alias James Dean, après dix ans fut une réelle surprise. Ado, c’était un peu notre modèle, grand cœur et grande gueule, celui qui savait tirer profit de toutes les situations et dont on imaginait, adulte, qu’il irait se la couler douce ailleurs. De tous, c’est celui qui avait le discours le plus lucide sur l’usine qu’il connaît bien pour y avoir enchaîné de nombreuses missions d’intérim. Il exècre sa hiérarchie, ses codes, ses règles, le corporatisme qui y règne. Et pourtant il se retrouve pieds et poings liés dans cet univers de manutentionnaires. C’est pour moi une énigme. C’est comme s’il mettait en sommeil son esprit critique pour se tuer à la tâche avec pour seul horizon sa paye. Il parle de son père dont l’ouïe s’est altérée à cause d’une vie passée au pied des machines, mais son univers professionnel est tout aussi éreintant, la précarité en plus. Lui se définit comme un nomade, et c’est ce qu’il a trouvé pour s’offrir des parenthèses de plusieurs mois sur d’autres continents. Il travaille six mois sans relever la tête et le reste de l’année, il vit enfin.

Si j’avais traité le même sujet dans une région que je ne connaissais pas, je n’aurais eu qu’une galerie de portraits. Là, il y a nos racines communes. J’ai essayé des interviews plus formelles avec le maire, des élus, des responsables d’entreprises. Mais c’était vraiment de la parole confisquée. Ce n’étaient pas des personnes qui me parlaient, c’étaient des gens qui représentaient une institution. Je me suis dit que cela n’avait aucun intérêt. Tous ces entretiens-là étaient sans surprises, ils sont restés dans le chutier. »

Notes

[1Direction Régionale de l’Industrie, de la Recherche et de l’Equipement.

[2Rodolphe Burger a réalisé en 2001 avec les habitants d’une vallée vosgienne un disque intitulé On n’est pas Indiens c’est dommage.