Vacarme 42 / cahier

Sainte-Marie-aux-Mines, épisode 6

habiter la vallée

par

Depuis le printemps 2006, Vacarme tient le journal de ce qui n’était pas encore une campagne mais une initiative citoyenne cherchant une réponse collective à la montée de l’extrême droite. Prolongeant l’expérience de l’association Val Avenir, la liste Printemps 2008 a désormais sauté le pas de la candidature aux prochaines municipales : regard sur ses propositions en matière d’urbanisme, comme un écho au chantier consacré à la France pavillonnaire.

Ici les pavillons sont rares, le site encaissé, les pentes des collines abruptes. Si la ville a été façonnée par deux périodes industrielles très importantes (l’époque minière, avec des lieux d’exploitation extérieurs à l’agglomération, puis l’époque textile qui a fortement marqué le paysage urbain), depuis longtemps l’habitat se répartit entre des maisons particulières plus ou moins riches — de la simple maison de ville à la maison de maître — et un habitat social construit au cours de trois grandes vagues des années 1930, 1950 puis 1960.

Actuellement, 50 % de l’habitat à Sainte-Marie-aux-Mines relève du logement social : la ville concentre dans ses lotissements la population pauvre de la communauté de communes, tandis que les communes installées plus près de la plaine (Sainte-Croix-aux-Mines, Liepvre), ont vu proliférer l’habitat pavillonnaire middle-class réservé à une population plus aisée. De ce fait, Sainte-Marie-aux- Mines est à la fois l’objet d’un rejet où se mêlent le racisme anti- immigrés et l’hostilité envers les pauvres, et le lieu d’affrontements et de tensions entre ces populations reléguées.

inverser la perspective

La crise industrielle a provoqué ici comme ailleurs la fuite des unités de production vers d’autres pays. En témoigne, du point de vue de l’urbanisme, un patrimoine urbain fait de bâtiments industriels, de petites fabriques, d’habitats spécifiques, où les Sainte-Mariens lisent surtout l’extinction de la dernière période d’activité florissante de la ville. Refermer peu à peu cette blessure, ce serait reconnaître dans cet héritage le cachet d’une histoire — cachet qui a fait l’objet d’un début de valorisation, à travers l’obtention du label « Pays d’art et d’histoire », autour de la thématique du textile.

La liste Printemps 2008 compte pousser plus loin encore l’inversion des perspectives. « Les spirales sociales et urbaines fonctionnent soit vers le haut, soit vers le bas : les populations les plus aisées occupent les zones géographiques les plus favorisées devenues inaccessibles aux populations modestes qui se regroupent dans des secteurs moins avantageux. D’où le problème de l’identité sainte-marienne. De prime abord, notre ville apparaît comme une zone reculée, refuge pour les plus démunis et peu attrayante pour certaines catégories sociales plus fortunées. Il nous appartient donc de remettre en valeur les atouts de notre “fond de vallée” pour attirer de nouvelles activités économiques (industrielles, artisanales et culturelles) et ainsi espérer renouer avec la mixité sociale. »

Le programme vise à une requalification et à une remise en valeur de la ville, en utilisant tous ses atouts. Le salut ne passe pas seulement par le tourisme, lequel suppose une démarche pour laquelle les Sainte-Mariens ne sont pas prêts, faute de croire encore assez en leur ville et aux richesses qu’elle détient. On songe aussi, ici, que le confort de vie de la ville pourrait intéresser des entreprises du secteur tertiaire, cherchant à offrir à leurs employés un cadre de vie agréable, loin du stress de la circulation et de la pollution. Il faudra, pour cela, se battre sur deux fronts : éviter que le centre- ville ne périclite, installer une dynamique écologique en particulier dans la réhabilitation de l’ancien et du collectif. Un projet d’envergure s’attache au centre-ville pour faire revivre les vitrines de l’artère principale Wilson — Tassigny, dont la plupart sont closes, les petits commerces ayant fermé les uns après les autres après l’implantation de deux supermarchés à l’entrée de la ville. Contact est pris avec le directeur du Fonds régional d’art contemporain, pour faire de ces vitrines des espaces d’exposition d’oeuvres d’art. Pour cette même artère, il faudra agir sur la pollution automobile qui noircit les façades, sur le bruit qui oblige à vivre volets fermés et chasse les habitants vers les lotissements extérieurs au centre. L’équilibre entre ces derniers et le centre constitue l’un des points de désaccord avec la municipalité actuelle : en ouvrant encore récemment à la construction de nouveaux terrains, sans se demander quel impact la circulation engendrée par ces zones d’habitation aurait sur le centre-ville, le maire a peut- être renforcé d’autant le mouvement d’exode vers les collines. Signe, pour les membres de la liste Printemps_2008, que si l’urbanisme relève de la compétence des municipalités, « il serait judicieux de penser l’extension urbaine en termes de territoire », à l’échelle de la vallée.

Sur le plan écologique, la vision défendue par Printemps_2008 pour vivifier l’urbanisme local privilégie deux orientations fortes : parce que Sainte-Marie est la première commune forestière d’Alsace, privilégier les constructions en bois, à l’opposé de l’option « tout béton » adoptée par les derniers chantiers lancés sur le terrain communal. D’autre part, inscrire la question de l’habitat dans la perspective du développement durable, via un partenariat avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie : l’installation d’une chaudière collective au bois pour le lotissement du Schulberg, l’extension progressive de programmes de rénovation et d’isolation à l’ensemble des bâtiments publics et de l’OPHLM, sont autant de propositions tournées vers les économies d’énergie et les énergies renouvelables.

passer la frontière

Ces choix en matière d’urbanisme ont suscité récemment une visite en Allemagne : « Une dizaine de membres de notre équipe a visité en novembre 2007 le quartier Vauban à Fribourg-en-Brisgau. Cette visite nous a permis de mesurer très concrètement les réalisations qui pouvaient être faites dans ce domaine. » Le quartier Vauban est un quartier pratiquement neuf. « Les constructions sont pensées globalement dans la perspective des énergies renouvelables : exposition plein sud, triple vitrage, gestion collective de certains services (congélateurs, lave-linges). » Au fil de la visite, l’équipe découvre l’exemple de la cogénération : « Les chaudières à gaz qui chauffent chaque immeuble produisent en même temps de l’électricité qui est revendue à EDF. De ce fait le coût annuel pour chauffer un deux-pièces s’élève à 50 € environ ! » De cette traversée de la frontière, ressort l’idée que déplacer la question de la rénovation de l’habitat sur le terrain des énergies renouvelables en renforce l’enjeu démocratique et oblige à la penser comme un projet qui se développe collectivement.

La transposition, toutefois, ne va pas de soi : « De ce point de vue c’est plus problématique pour nous, car nous sommes confrontés à un habitat soit vétuste, soit qui date des années 1960/1970. Il faudra néanmoins faire un travail sur tous les bâtiments publics, en particulier sur les HLM. » Dans un premier temps, la nouvelle équipe en place s’engage à lancer un audit relatif aux consommations d’énergie dans la ville. Audit qui devra porter prioritairement sur l’habitat collectif et proposer des solutions concrètes.

Résister à cette pente qui fait, à Sainte-Marie comme dans beaucoup de villes, du centre un canyon dépeuplé et noirci qu’on traverse comme un mauvais souvenir ; initier une dynamique écologique qui donne sens au slogan « Sainte-Marie, capitale de la forêt ». En un sens, les deux projets se répondent : l’un vise à faire glisser du côté de l’histoire une mémoire qui passe mal, à rendre aux habitants, sous la forme d’un patrimoine à valoriser, les traces d’une activité industrielle dont ils ont été expropriés ; l’autre s’appuie sur l’idée de « développement durable » pour retrouver la possibilité, ici, de se soucier du futur. Autour de ces deux axes, d’autres projets s’agrègent, dont on devine qu’ils sont autant d’initiatives pour reprendre la main sur l’occupation des sols et la circulation dans le paysage, comme on éprouve parfois le besoin de bouger les meubles pour se sentir de nouveau chez soi : « Mettre en valeur la Lièpvrette, petite rivière qui traverse la ville ; créer une structure en vue d’accueillir un car de tourisme ; structurer et identifier les entrées de ville ; affecter la “friche Baumgartner” à un projet d’intérêt général. » Entre le passé et l’avenir, donc, quelques projets urgents : si l’urbanisme est une affaire d’espace, il raconte aussi le temps d’une ville et de ses habitants.