avant-propos

cliniciens de l’origine

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Si nous nous sommes rendus à l’hôpital universitaire de Lausanne pour rencontrer François Ansermet et ceux avec qui il travaille sur les biotechnologies attachées à la périnatalité, c’est parce que ce travail noue de façon singulière, dans la clinique, médecine et psychanalyse. Cette clinique est celle des biotechnologies liées à la procréation et aux opérations chirurgicales précoces des enfants pseudo-hermaphrodites. Elle permet de saisir les effets subjectifs incalculables qui découlent de ces interventions et la façon dont s’invente, pour chaque sujet, une réponse pour y faire face. Dans ce service, l’effroi n’a pas sa place pour fermer les esprits sur un savoir figé ; un désir décidé à chercher et à chercher encore taille la part belle au vertige, à l’incertitude, à la contingence, sans lesquels les liens qui unissent théorie et clinique s’évanouiraient.

Or, cette clinique du sujet à laquelle la psychanalyse se source et qui sans cesse la creuse, la pousse à élaborer, est aujourd’hui deux fois menacée. D’abord, par les positions de certains analystes qui véhiculent, face aux questions politiques, sociales ou scientifiques, un discours frileux ou dérivant vers des replis réactionnaires. Ensuite, par les tentatives actuelles pour restructurer la santé mentale autour d’un système de protocoles obéissant à des principes d’évaluation et d’expertise. À en croire l’amendement Accoyer, adopté cet automne en première lecture à l’Assemblée nationale, et le rapport Clery-Melin sur lequel il s’adosse, il s’agirait de rabattre la souffrance psychique sur un « trouble mental » qu’un psychiatre coordinateur agréé par l’État serait chargé d’évaluer, puis d’orienter les patients vers le mode de traitement jugé efficace pour réduire leurs symptômes dans le temps le plus court. De telles procédures signeraient la mort de la clinique et de son principe fondateur, qui veut que tout savoir s’arrête au lit du malade. Et la mort de la psychanalyse, tant c’est dans la clinique qu’elle s’affronte à la dimension de l’incurable fondamental, ce que Lacan appelait « le réel  ».

Les cliniciens de l’origine, rencontrés à Lausanne, ne se détournent pas du paradoxe du vivant, de son “inquiétante étrangeté”. François Ansermet, Marc Germond (médecin gynécologue), Claudia Mejia (linguiste), Véronique Mauron et Francesca Cascino (historiennes de l’art) ont fait de nous les invités de cette recherche, de cette pensée en mouvement qui s’aventure dans les impasses les plus banales et parfois les plus sombres pour en extraire des trouvailles inédites. Ils ont fait de nous les invités de ce lieu.