Vacarme 43 / cahier

le rendez-vous du Printemps Sainte-Marie-aux-Mines, épisode 7

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Septième épisode d’un feuilleton qui aura vu, dans la petite commune de Sainte-Marie-aux-Mines, une mobilisation passer du collectif citoyen à l’engagement municipal. L’occasion de vérifier, à l’heure des dépôts de liste et dans la tension d’une bataille électorale disputée, qu’une histoire collective peut transformer ceux qui y prennent part, à mesure que s’y conjugue la diversité de leurs parcours.

Mars 2008. L’échéance des élections municipales est très proche, et les listes sont toutes connues. En quelques semaines, les noms des candidats qui passaient de bouche en bouche ont été confirmés, presque sans surprise. Trois listes sont déposées, entre lesquelles il s’agira de choisir sans panachage possible. Celle du maire sortant Claude Abel, exploitant agricole proche de l’UMP, affiche « une ambition forte pour notre ville ». La liste « agir pour la ville, ensemble pour mieux vivre demain » est conduite par Thierry Ubrich, qui dirige le Conseil d’architecture d’urbanisme et de l’environnement du Haut Rhin à Colmar ; on y retrouve Paul Baumann, qui fut maire et président de la Communauté de Communes de 1965 à 77, puis de 83 à 84. Conduite par Pierre Kretz, la liste « Printemps 2008 » avait été annoncée, et son programme présenté, dès l’été dernier.

D’une élection l’autre, quelque chose a pivoté dans l’espace public de Sainte-Marie : en 2001, Abel l’avait emporté de justesse, par 70 voix d’avance, lors d’une triangulaire qui l’opposait à Baumann et au candidat d’extrême droite Christian Chaton. Trois ans plus tard, aux cantonales, en 2004, Chaton remportait les élections. Cette fois, c’est à un jet de pierre, dans une autre municipalité appartenant à la Communauté de Communes du Val d’Argent qu’il a choisi de se présenter, se revendiquant « élu identitaire », cependant que la liste Printemps 2008 occupe, à Sainte-Marie, le dernier sommet du triangle, perturbe le jeu traditionnel et fait valoir, contre l’identité, le pari de la diversité et du travail commun.

effet de liste

Sur son site www.printemps2008.fr qui reçoit une cinquantaine de visiteurs par jour, la liste de Printemps 2008 se présente modelée par « la rencontre de Sainte Mariens de sensibilités diverses, venus d’horizons différents, partageant un désir de s’engager concrètement dans la vie de leur ville ». Sous la formule convenue, ce désir est déjà en acte et cette rencontre effective : l’ensemble de ceux qui composent la liste se sont engagés dans un véritable laboratoire de travail depuis l’été 2007. Sainte-Mariens de longue ou de plus fraîche date, chacun revendique lorsqu’on l’interroge un attachement fort à la petite ville alsacienne : « Née à Ste Marie-aux-Mines, je suis très attachée à cette ville et à ses habitants, quel que soit leur niveau social, étant moi-même issue d’une famille très modeste » (Janine Slisse 2e sur la liste). L’attachement est parfois arraché à la rudesse du lieu ; ainsi, Fabien Loos (9e) avoue qu’arrivé, en 1994, pour effectuer un CAP de bûcheron-sylviculteur, il n’avait guère envie de rester dans cette « vallée de la mort » : « venant de Colmar j’étais vaguement blasé par la verdure. Et pourtant je suis resté ! Treize ans que je suis citoyen de Ste Marie-aux-Mines ! » Parfois, à l’inverse, c’est le lieu qui a accueilli un arrachement d’un autre genre. Abdel Ammari (7e) raconte : « Arrivé le 2 janvier 1982 en France, j’étais haut comme trois pommes […] Pour mieux m’accueillir, Sainte-Marie-aux-Mines avait préservé quelques rustines de neige, brillantes sous le soleil, pour parer de perles sa robe verte. […] Un peu comme une barque au milieu de la mer, entre deux pays, j’ai longtemps hésité avant de m’investir dans la vie sociale de la ville. Quand je l’ai fait, je voulais donner une place à ces barques échouées qui ne retourneraient jamais chez elles. Intégrer ces hommes et ces femmes c’était d’abord leur donner une place dans la société au travers d’une association qui réponde à leurs besoins. Aujourd’hui je voudrais leur offrir une place de l’autre côté — acteur de la ville — côté qu’ils n’ont connu qu’en tant que consommateurs ou mis en cause ».

Comme le note Valérie Uhl (28e), « au prime abord, ce groupe peut sembler étonnant, atypique, “bizarre”, un “drôle de mélange”… » : cinq enseignantes et enseignants, deux ingénieurs, six retraités (dont un de l’Office National des Forêts, deux de l’Education Nationale et un du textile), un général de gendarmerie, un brigadier de police, une architecte, un maréchal ferrant, un agriculteur, une horticultrice, un psychiatre, un opérateur, une enseignante de religion, une secrétaire, un chômeur, une encadrante ESAT, un artiste peintre, un boulanger. Mélange revendiqué avec fermeté : car si la liste ne se réclame d’aucun parti, elle récuse le qualificatif d’apolitisme. « Nous ne nous reconnaissons pas dans le terme d’apolitique, peut-on lire sur leur site. Pour nous, se présenter devant des électeurs, c’est faire de la politique au sens le plus noble du terme, c’est se référer à des valeurs que l’on entend mettre à l’épreuve de la réalité d’une ville ».

faire campagne

Dans un paysage local marqué par une succession de mandats frileux et dépourvus de projets, l’engagement de Printemps 2008 tranche et dérange. S’ensuivent, maintenant que la bataille est engagée, les rumeurs habituelles aux affrontements municipaux sur ce Kretz, « avocat intello strasbourgeois qui se présente avec sa liste écolo de gauche remplie de gens qui ne sont même pas d’ici » ! Sur place, deux quotidiens régionaux — l’Alsace et les DNA — ont leurs succursales, s’y ajoute une télévision locale — TLVA (télévision locale du Val d’Argent) — : la campagne électorale prend bel et bien l’allure d’une bataille dont chaque manche est contée par la presse du matin, commentée dans les rues, les cafés, les commerces, les salles d’attentes. Pierre Kretz a proposé un débat public aux deux autres candidats. Ubrich a décliné, et Abel a fait connaître son refus par la presse.

Présents au marché chaque semaine, multipliant les « réunions d’appartement » depuis quatre mois (sur simple demande, via un numéro de téléphone indiqué sur le site, deux personnes de la liste se déplacent dans les fermes, les lotissements, les maisons du centre ville) l’équipe s’est employée à préciser, détailler et défendre chacune des propositions du programme. En émergent des lignes de force solides (urbanisme, forêt, politique écologique, social, intercommunalité, tourisme, culture, économie et fiscalité) dont la mise en œuvre et les prévisions veulent rester adaptées à un budget communal modeste, et dépendantes de la gestion intercommunale. « Est-il besoin de présenter les poids qui pèsent sur notre fond de vallée ? Entre la fuite des entreprises, le chômage, la fermeture des commerces et le nombre important de personnes en grande difficulté, il faut rapidement se pencher sur le devenir de notre petite ville, lui apporter de la modernité. » (Anne Lejay 10e).

Lors de ces réunions à quelques-uns dans des espaces privés chez Anne, chez Ute, chez Moussouni, mais aussi dans des lieux publics « chez Ali », « Au chasseur alpin », au bar-épicerie d’Echery « chez Bleesz », plus haut encore, en remontant vers le col des Bagenelles, dans la vallée de la Liepvrette à « la Canardière », chaque participant se lance. La politique devient chose commune, langue qu’on peut parler ensemble où les questions des gens de la vallée, leurs suggestions, leurs inquiétudes, leurs désaccords aussi, ne s’embarrassent plus des tournures grammaticales ou d’une rudesse de vocabulaire pour se frotter aux décisions à dire et à prendre et qui finalement tiennent autant à cœur qu’au corps — un point d’eau pour les enfants l’été, que certains bars puissent ouvrir plus tard le soir, ouvrir une auberge de jeunesse, plus de stationnements pour les bus, un thé dansant, changer le sens de circulation d’une artère, maintenir les transports urbains, renforcer le marquage au sol, qui est propriétaire du dossier Lacour ?, ouvrir une boite de nuit, lancer un carnaval, accorder la gratuité pour les fournitures scolaires, comment faire vis à vis de la violence alors que le nombre de postes de surveillants est passé de douze à cinq et demi, mettre des caméras de surveillance ? proposer une « école des parents », employer les « cas sociaux », limiter les dégâts pour le parc minier « Tellure », créer d’autres postes d’assistantes sociales, une résidence pour le troisième âge, interdire le passage aux poids lourds, et le théâtre alors ?

Et c’est d’ailleurs cela qui finit par emporter la conviction. Prendre ainsi part au débat ouvre des perspectives inédites sur l’engagement dans la vie citoyenne, permet d’envisager une activité politique dans laquelle « se représenter » voudrait dire, non briguer un nouveau mandat, ou devenir porte-étendard d’une ville, ou se laisser happer par le miroir identitaire, mais se figurer ce que l’on pourrait changer, et se faire une idée de là où l’on habite. Passage de relais que la profession de foi articule, non sans force : « C’est au niveau d’une commune que le “vivre ensemble” doit s’inventer et s’enrichir sous l’impulsion d’une équipe municipale et ce dans tous les domaines de la vie sociale. C’est au niveau municipal que le slogan “Penser global, agir local” peut trouver son sens véritable […] et nous faire partager une ferme opposition aux idées extrémistes. »

Pour passer de la stupeur à un engagement citoyen, l’ombre aux dernières élections du candidat FN avait précipité le franchissement d’un seuil, et pour que ce seuil franchi ouvre ensuite sur un espace de réflexion et d’élaboration politique à plusieurs il fallait la détermination d’un homme à ne pas manquer cette fois le rendez-vous entre l’histoire qui nous emporte et celle que l’on écrit. S’en est suivie d’abord la création de Val Avenir www.vacarme.eu.org/article504.html, puis la liste Printemps 2008. Pierre Kretz préfère se désigner comme « capitaine » ; Fabien Loos l’appelle le rassembleur : « Les rejoindre n’a pas été tout naturel pour moi qui me prétends de droite ! (enfin je crois que je l’étais ou si je le suis encore je le suis moins. Je laisse à chaque réunion avec cette équipe “plurielle” un peu de mes convictions sclérosées pour les remplacer par d’autres plus nuancées.) Et finalement aujourd’hui je suis totalement convaincu… par cette manière de travailler ensemble, à la fois dans toutes les directions et dans la même direction. Convaincu par ce programme […] et d’abord par ces hommes et ces femmes qui pour moi étaient de parfaits étrangers pour la plupart […] qui se sont mis à marcher dans le même sens guidés par l’envie de changer pour de bon cette ville, son image, son destin ». Pour Alain Florentz (15e) : « La séduction face au projet de l’équipe a fait place à la conviction. Responsabilité, investissement personnel, partenariat, innovation, précaution, prévention, solidarité et pérennité sont les valeurs qui m’habitent. Je les trouve dans l’équipe rassemblée autour de Printemps 2008. Ce sont aussi celles qui permettront le développement durable et je suis convaincu qu’une action en ce sens doit commencer à l’échelle locale ».

Quelque chose d’inattendu s’est passé pour les participants à l’aventure : l’ébauche de valeurs communes plus solide et plus collective qu’ils ne l’avaient imaginée. De ce déplacement, chacun de celles et ceux qui sont sur cette liste témoignent, avec des accents de surprise qui donnent aux déclarations attendues, et aux diverses langues politiques parlées par les uns et les autres, une couleur de sincérité. Ute Ruf, 8e sur la liste : « je crois que si on gagne ce sera grâce à cet esprit que les électeurs ont perçu et qui fait que nos interventions sont cohérentes. Nos instruments d’orchestre sont cohérents puisque nous répétons ensemble depuis des mois. Chaque nouvel instrument venu à nous a su prendre sa place et apporter une nouvelle tonalité dans notre pièce de musique. […] C’est vrai notre aventure municipale n’est pas seulement du boulot, nous avons pris le temps de trouver des réponses aux questions qui se posent quand on veut gérer une ville d’une autre façon. » Nadège Florentz (4e) : « C’est une équipe qui défend les valeurs de solidarité, d’intérêt commun, dans le souci de la justice et de l’égalité des droits qui me fondent en tant qu’individu. La politique, la gestion de la polis est une affaire noble en soi, parfois dévoyée pourtant par ceux qui la portent. J’enseigne. C’est un combat quotidien pour l’avenir auprès des jeunes dont j’ai la charge un certain temps. Mais comment agir encore ? » Si les sensibilités avaient depuis longtemps réagi aux exclusions qu’un abandon politique avait précipitées, exclusions dont le vote d’extrême droite portait l’empreinte et la menace, les désirs d’engagement n’avaient pour la plupart pas encore pris ce tour, pas permis de franchir ce pas. Janine Slisse : « Au rejet de l’étranger s’est ajouté le rejet du pauvre. Certains Sainte-Mariens se sentent envahis par les assistés “qui ont tous les avantages”. C’est avec l’espoir de lutter contre ces préjugés que je me suis engagée sur la liste de Pierre. »

Le vote le dira, est ce en ce mois de mars 2008 que printemps 2008 s’installera dans la mairie, que la ville vivra à l’heure d’un pari d’une audace nouvelle, ou faudra-t-il attendre le printemps municipal suivant ?

Post-scriptum

Les résultats après le premier tour des élections municipales : Abel, le maire sortant, est élu avec 57,76% des voix ; Printemps 2008 obtient 21,90% des suffrages, soit 3 sièges au conseil municipal et Ubrich 20,33%. Rendez-vous pour un « après-coup » dans le prochain numéro de Vacarme (été 2008).