douze airs
par Pierre Alferi
Ton oreille ouvre sur un mondeinvisible comme tu esinvisible et me fais jacasserdans un bout de plastiquedepuis la chambre bassed’une voix basse aprèscette horreur d’hibernation —sur les pentes enneigéesdu quartier une jambeaprès l’autrea tracé une ligne après l’autrec’est tellement nouveau —ici je ne parle à personneet tout le monde entendl’air froid est conducteur.
Quand son chapeau pointaderrière les parpaings du jardin muréquand il les enjamba cet hommeavait fière allure je t’assureen tout cas par instantspar fragments rythmés, membres —c’est au contact du sol avec ses baskets blanchesqu’il dut s’avouer soûl, à jeun, privéde sommeil, d’équilibre et pritle temps de réfléchirson corps éthéré dans la flaque.
Un carreau changé coupe en deux les pinsles nuages parcourus d’expressions dénuéesde sens comme les états pontificaux-- combien de divisions, combien de stratespour un seul carré de verdure ? elle bombele torse la baudruche, aspirant ce qu’elle croisede fantômes non réclaméspuis, quand on ferme l’œilen fin d’après-midi, la tête calée sur ellepour mieux l’oublier, la voilàqui cède et pue — un nid de guêpesfut mis à jour lors du ravalementmais l’expert dépêché sur le site arrivetrop tard pour déplier sa carte — il fait nuitla mémoire n’est plus qu’un remblaitruffé d’obus, jonché de fûts brisés.
L’habitude prise en vivantchez les autres en partantd’effacer toute tracede gratter leur sommeil par des crisde souris papivore et d’éviter les lattesqui jouent — qu’à chaque instanton puisse franchir les portessans me remarquer sauf le corps —m’a valu ce surnom, Casperl’hôte amical, maréchal féefolle des logis — ma présencedénoncée aux voisins ou niéesignale des âmes petites.
Nous autres les rangeursayant eu connaissance intimedu chaos n’avons riencontre un dérangementet nul besoin de décimerles fragments qui bougent encorelongtemps après le séisme —chaque vestige émetimage abandonnée, chaussureou gant dépareilléson bout de chanson cruedans le noir — lui faire placeécho provisoire suffità conjurer l’angoisseà notre vice et tracerun rail entre les cadeauxjetés par terre, les vuesde la zone qui changent au murà la vitesse des paupières —entre les empreintes mobilesvite, une légendeserpentine courantdu sol au plafond.
Si petites les bulles, si viteécloses, l’eau si lisseet le monstre marinvenu fouir dans la vase au piedde notre embarcadèrecertainement si formidable —comme nous ne l’attendions plusne pas le voir nous va, le voirne nous troublerait pasmais son moteur, la queuemusclée nous bat le sang.
Repassant dans les intersticesde tes détails indiscutablesma veste à battre le pavéj’ai trouvé le vert blancqui n’est pas tout à fait le glauqued’une lumière de la villeoù un visage aspire-- avant je n’ai parlé que tropbas ou trop fortau risque de rompre le filalors sonnez dehors trompettesl’œil de l’écran fermédans le sac où j’ai plus d’un trou —voici la fraîche réellesa densité soudainen douleur, sa durabledureté de mine ébouléevoici le taxi affligé d’un tic respiratoireen mesure avec le compteuril n’y a rien d’autreil n’y a que ça.
Tout à coup tout le mondeest vieux, dans l’airun parfum déférententête, une suéeou la note du variateurquand la lumière baisse —tu te rappelles : murmurand music thin of sudden breezeà quel âge as-tu contractéla haine de l’innocence ?-- le quart d’heure public passéinaperçu sous l’avalanchedu stroboscope on se retrouveni mieux ni pire, au bar —quelque chose a enflé, quelque choses’est creusé chez toimais quoi ? — mais nonc’est la lumièreaujourd’hui mon œil s’en repaît.
Partir toujours, avoir toujoursle sac zippé résumela fortune faitepar soustractionla clé de l’appartenancepeut être au fond de ce tiroir avec les autressans serrure fixe — il n’y a rienautour de l’osdu nom de personnepas une porte de prisonun rien séparede l’élémentextrêmement respirable.
Des inconnus ont pris vos placesà la table ronde, leurs mainsdéjà tapotent le marbre —je pense à vous beaucoup-- le bras d’un chevalierde l’ordre vulgairemouline la neigetranche et trie les têtesdans le bruit vidéoon l’oubliera ce long zapping —je pense à vous beaucouppixellisés parmi les zoomsde la mémoire, vous êtes presquedans le décorvos genoux, vos mentons, vos coudestendent la toiledes pelliculespuant le ketchup et la cirevous collent à la peau —je pense à vous beaucoupmes regrettés vivantsur cette chaîne étrangèredont nous partageons les plagesfaute de vie commune.
Lavée par la nuit la ville ades airs de cour ensoleilléedéserte avec la rumeuroff de l’école —aucun adulte ne me voit-- un bancune barre à entrée multiplevolets fermés, fenêtres closessauf au deuxième deuxbulles d’intimitécrevées par l’objectif —une vieille mise en plisun jeune épingléposent la conditionêtre c’est êtrepercéà jour — un bruit d’obturateurune pauseils ont fermé ensemblesur le premier temps du matinles hublots d’un convoiqui démarre.
Comme on sait peu (comme on s’en fout)trois pièces dans la fontainetes lèvres volontiersje tiens le monde à un fil-- la musique de l’été dureles robes ont des membresautonomes ou des animauxgentiment agitésles cernent mystèrede la formule poids/volume-- les amis du jour se nommentlumière au-dessus de la toile d’araignéetaureau debout, papier dans la maindes grappes se balancentde tulle périlleux, s’il lâcheil y aura mort en coulisse-- c’est vrai, tout est vraiflotte autour de la lignequand tu n’entends plus l’on se ditce qu’on se dit quand on se parle dans le vide.