Vacarme 24 / chroniques

clone, clo, lône

par

Branche et feuille de vigne. Je suis moi, mère de toi, mère. Ta mère. Derrière et diable de la chute. Le lieu de la feuille était ce paradis. Chute dans la multiplicité. Et la division fut frappée d’un sceau qui te ressemble.

Une

Une mère

Deux toi

Trois lui, une copie de toi cloné conforme et pousse et plante.

Trois moi mère de toi.

Quatre moi et lui au monde de nous quatre en série.

Et je suis nombre de remember ma mort. N’oublie pas que nous tous les quatre nous étions là et partout au centre de nous-mêmes et au centre il y avait toi. Noyau. Et l’écorce est une forêt foresta ; aha, ah, verte et noire derrière un fleuve, qui coule vers lui-même, sens bon, et en direction du centre et des multiples dieux aux yeux noirs.

Troisième jour.

Mais les jours ne comptent pas comme des jours. Mon année n’est pas comme la tienne et mon voyage est conforme au temps d’un voyage du début à la fin de sa genèse et son apocalypse et le livre de Jean.

Clone abaissement et abat-jour des jours meilleurs bajour.

Lieu. Clinique chambre des nouveaux nés.

Un bébé a le visage d’un homme mûr. Il est dans les bras d’une jeune infirmière.

L’infirmière : L’infirmière que je suis t’amène à ta mère, moi qui donc je suis te porte à ta mère dans la chambre. Elle t’attend copie conforme de son amour pour l’homme dont tu es issu et dont tu es pousse et clone et elle t’aimera comme mère et t’aimera comme non mère, comme amant. Le bébé cria, wa wa wa et l’infirmière dit wa wa, chance mal et bien… comment, elle t’a porté dans son ventre neuf mois et elle est sans son moi parce que son œuf a été inoculé, elle est sans elle, elle a renoncé au même d’elle, à son œuf et à ses branches et à ses pousses, à son arbre et à son jardin. Elle s’est rétrécie en elle, revenue à sa finitude, elle a fait un retour sur elle, à son passé à elle, à son sexe à elle, à son lieu à elle pour lui donner lieu à lui dans son corps à elle, elle s’est esquivée, elle s’est évitée, elle s’est croisée, elle s’est ratée, elle s’est retirée pour le garder lui, ou bien toi en elle. Et toi l’amant tu ne t’aimeras point parce que toi l’amant tu seras jaloux de lui qui es toi copie conforme mais autre parce que l’expression diffère et fait du conforme non conforme et de l’un un autre. Lis à haute voix tu verras, versa recto et recta verso.

Mère : Chronos successifs et j’attends l’arrivée du jour où il sera grand et moi moins grande et lui jeune et moi moins jeune, je te fais à son image pour moi et pour lui quand il ne sera plus. Alors moi je resterai peut-être et toi aussi copie conforme et recto versa. Ainsi maintenant, je vais avec lui qui n’est pas là mais celui qui est là n’est pas lui et c’est pour ça il y a ersatz et sosie suivis par la confusion des trois cantiques ainsi seul le cœur sait et reconnaît et la reconnaissance sauve du nombre.

Tu le recréeras quand tu auras crié à partir d’une mèche de ses cheveux ou d’un morceau de sa peau. Le mélodrame te prend le visage, te prive de toi et ta vie renonce à son ombre et sais-tu qui tu es déjà trop, trop plein de lui et le sais-tu déjà beaucoup trop.

Les mots ne passent pas, pas un pas vers le néant et le verbe est au tournant de la route.

Je recommence.

Il était une fois une femme, son frère, son amour et sa mère. La femme qui n’engendre pas, quémande pourtant de l’engendrer lui. Elle se rend donc en Californie cherche à reproduire un sosie de lui, celui avec lequel elle voulait vivre, avec qui elle voulait mourir. Elle voulait le prendre à ses débuts, à l’origine de son commencement, le porter à nouveau en elle dans son ventre et le donner au monde. L’astuce est, qu’elle serait l’origine de sa naissance pour ne pas voir sa mort. Elle voudrait le refaire naître pour ne pas le voir mourir. Elle le porterait enfin dans son ventre pendant neuf mois, ou dix selon la version japonaise. Neuf mois et un petit moi qui serait finalement lui, l’homme aimé tué par un animal préhistorique et qui va être tout à fait historique, un homme de maintenant. Ou alors un petit animal, ou un insecte incestueux selon une version différenciée. Cet homme avait en effet plusieurs versions : version noble, version voyou, version saillante, version enfant, version vieille, version généreuse, version rétrécie, version ancienne, version nouvelle, version ingénue, version sournoise, version qui aime les femmes, version qui ne les aime pas, version cachée, version révélée, version ténébreuse, version hantée, version multiforme, version silhouette, version unique, version multiple, version qui court, version debout, version amoureuse, version contournée, version non versée, version qui saigne, et qui me saigne à blanc car mon sang a séché avec le dernier mot d’amour.

Alors cette femme la soixantaine passée, portant son passé dans une mèche de cheveux pleine de cellules qu’elle va faire multiplier par un médecin italien dans un pays où l’on ne plante pas l’amour dans le sol, il pousse parfois sauvagement comme ça dans les allées ou dans le désert sous une lumière orange et depuis un sol ocre côtoyant dans la croissance de sa tige quelques plantes grasses et oiseaux des sables courant devant l’eau de l’océan endauphiné. Loin et plus loin il ne poussera plus rien de bon puisque enfin elle porte son passé dans une boîte qu’un médecin va déchiffrer, déployer, défaire, et semer en elle. Elle dira oui à la multitude et non à elle.

Elle bien sûre, contrairement à notre Vierge Marie Chérie, dont l’ovule dans l’utérus s’est multiplié tout seul, elle non. Marie qui donnait néanmoins naissance à un amour plutôt virginal et génial, il faut bien le dire. Et comme seule la vérité compte, elle aurait en réalité donné naissance à elle-même, disons, à cet enfant Jésus tout court porté par de vaillants soldats à Séville de nos jours et nourri aux larmes amères en forme d’amandes et d’yeux noirs, par elle.

Bien, cette femme, la soixantaine passée, va se faire inséminer artificiellement par une cellule voire deux ou même trois jusqu’à ce que l’une d’elles survive, et qu’elle soit amoureuse de son amour qu’elle portera dans son ventre neuf mois selon la version française et dix mois selon la version japonaise et qui sait où est la vérité ?

Alors ni deuil, ni sommeil, ni mort qui mette fin au passé ni avenir qui finisse. Seulement l’avenir qui reste là qui guette et devient rond et haut et vertical et érigé, dit-elle, cette femme la soixantaine passée. Elle acheta un billet pas cher, le médecin allait faire payer gros ses services, et elle sut aussi qu’elle était illégitime et tout ça tout à fait illégal. Porter une crypte dans son ventre et qui ne vous appartient pas c’est vraiment ce qui s’appelle un gros problème.

Le frère de cette femme, qui s’appelle Robert, avait fait une tentative de suicide il fut sauvé in extremis et alors par malchance œil-de-pie œdipe (il paraît qu’il vit encore avec sa mère) il est demeuré aveugle et défiguré de face et en face de lui un miroir aveugle aussi ou plutôt un point aveugle qui le prend à témoin de lui-même seulement par l’ouïe. Salut, salut, salut. Trois saluts. Le salut donc de la femme à devenir mère la soixantaine passée qui préserve son amour à tout prix, au prix fort, le plus californien des prix, et puis le salut du frère qui lui aveugle et défiguré et œdipé sans miroir reste là, prêt avec ses semences disons son sperme non dépensé ou gâché perdu, car cette dernière dépense séminale est un gâchis pour la fécondation in vitro. Il gisait là, ce frère parmi sa semence dans sa petite ville au sud de la France en attendant des jours meilleurs. Peut-être ensemencera-t-il sa sœur et ou sa mère ou même la terre que oui, lui-même ensemencera avec sa semence réellement qui chaque jour coule sur le sol de sa fécondité aveugle.

Enfin le salut de lui amour et amour-propre et de l’autre et de lui qui ne verra jamais la mort que dans le temps de l’anesthésie générale.

Alors l’ovule, le médecin cherche l’ovule d’une autre femme bien sûre, qui elle n’a pas la soixantaine passée, développe des cellules de l’homme tant aimé qui donnerait naissance à lui-même, et puis in vitro, il faut déféminiser l’œuf de la femme la rendre ronde, et lui cerclé inoculé, récipient et utérus énucléé et ensuite verser les cellules in vitro de l’homme dans le récipient qui va forcément le contenir et puis planter tout ça dans l’utérus de la femme la soixantaine passée pour qu’elle devienne ronde et gonflée de toujours de la chose qui est lui et qu’elle gardera, ça aussi c’est certain.

Oh mon dieu donne-moi ma mort et à chacun la sienne.

Le lait de ma mort et le lait de sa mort coulent dans mes seins de la femme, la soixantaine passée. Je le donnerai au bébé, lui, une fois l’opération réussie et une fois rentrée dans mon pays, je me cache et cherche mon ventre qui grossit à l’abri des regards en attendant le jour où l’on sera séparé. Écorce et noyau. Moi l’écorce lui le noyau. Lui scindé de moi et moi morcelée de lui afin que le deuil commence. Le deuil avait déjà commencé, en vérité, quand je dis : il faut le substituer par lui-même, le mettre en moi une fois pour toutes mais, mais, mais, c’est l’œuf de l’autre femme qui le porte en premier. Une femme vraie, ovulée qui le porte en premier, et moi, je suis deuxième ou seconde après le nombre, on ne compte plus, je suis en série, et seule dans la solitude porteuse de lui et du nombre qu’il porte en lui. Il va me traverser dans le bon sens, mon amour en clone. Je connais ton nom, et l’autre nom se fait secret et l’œil qui me regarde me détient dans le noir de mon ventre. Je vais donc te porter. Te sauver de l’effacement je te recommencerai en petit et c’est moi qui veille sur ta mère, elle sera devenue moi, en somme. Je serai ta girafe au cou long qui ne fermera jamais l’œil parce que les girafes dorment l’œil ouvert sur nos cœurs et tu seras, je l’espère, de la même espèce homme ou animal, ou oiseau debout sur mon dos là où je te porte eh bien on cohabitera. Je vais trouver la mort, et je vais la porter, dès la naissance bébé, tu seras assez vieux pour mourir dit-on et toute cette affaire est une affaire d’hier. Juste pour que le monde recommence. N’est-ce pas ? Clonage c’est-à-dire pousse botanique, que la plante recommence se donne à elle-même et la mort sera enfin vaincue, retirée de lui inoculé à l’ovule. Et le frère, Robert est témoin du voyage et du scandale. Car il y a là scandale. Il y a là apocalypse, de l’avenir à venir. Vaincu le monde le sera par la mort dira le médecin en Californie.

Elle aurait mangé son pain, bu son café, elle aurait levé son talon, avant que la chose n’arrive, une fois arrivée elle, « vous croyez que moi, je suis » qui m’accueille non, c’est lui pourtant c’est lui l’accueilli dans mon ventre la soixantaine passée et pas mon œuf, mais d’une autre inoculé « et qui accueille, accueille celui qui m’a envoyé ».

C’était en vérité ma mère qui m’avait livrée. Elle, l’une, l’unique parmi toutes. C’est elle qui m’a livrée. Quand elle a cuit son pain près d’un four en terre battue, elle m’a donné une bouchée et je me suis alors livrée au monde de variables versions, ou plutôt je fus alors jetée, livrée ou versée comme une larme au monde, aussitôt versée aussitôt absorbée. C’était la nuit surtout que je le cherchais vraiment nulle part ailleurs et sans alibi. Face au crime parfait, le coupable l’était et l’était versé jusqu’au bout. Face au crime parfait et coupable jusqu’aux dents, elles qui serrent l’arme et en attendant que la grossesse avance il y eut un moment bizarre. Disons un avant et un après. Deux moments séparés par une piqûre, un poison, une présence, une voix quelque chose de piquant, un dos tourné ou une nuit noire, qui n’était pas ma nuit, la nuit de l’analogie.

Robert le frère aveugle et défiguré dit : tu réengendres l’homme qui est lui quand moi seul aveugle et défiguré je n’aurais aucune place dans ton ventre ? Fais-moi une place, après lui moi, lui sera ton enfant-amant et moi ton frère ton enfant et il y aurait là une famille comme on dit.

Reste, dit mon frère, reste témoin de toi, de toi-même, quand même. Tu ne donneras de toi clonée que ce fils de toi, crois-tu qu’il est l’unique engendré. Certes, tu réengendreras l’« unique », mais tout même un qui donnerait lieu à un autre de lui, et lui sera l’autre, ton amour ne goûtera jamais à la mort certes, il donne lieu à lui-même et toi tu le porteras dans le monde, envers le monde et vers le monde en toi. Hélas, il sera encore une fois, versé en versions, et le nom des noms. Et toi tu vas mourir ! Immaculée conception in vitro, dans une serre comme la bouture d’une plante verte de vert. Alors je dis : de mon sein, de mes deux seins de mère, amoureuse de ton double, mon enfant, couleront des fleuves d’eau qui traceront leur lit jusqu’à cette éternité. Wilderness. Et j’y serai même quand je ne serai plus. Il m’aurait donné une bouche pour parler et un nom pour mourir. Affront à la finitude.

Salam pour l’instant.