Vacarme 44 / lignes

CRA de Vincennes (2)

« fermeture des centres de rétention »

par

Depuis la mi-décembre le cra de Vincennes connaît un mouvement de révolte continu fortement relayé à l’extérieur par des rassemblements et des manifestations, des visites et des appels aux retenus, des interventions dans les aéroports pour empêcher les expulsions. Depuis le début, nous téléphonons régulièrement aux retenus et nous publions leurs témoignages sur Internet dans un bulletin intitulé Fermeture des centres de rétention  [1]. Le nous à l’initiative de ce bulletin n’est pas un collectif mais un relais continuel entre individus qui ont compris l’importance de maintenir un lien permanent avec les retenus et la résistance qu’ils mènent au jour le jour. Idéalement, ce bulletin a trois objectifs. Être en contact permanent avec les retenus de manière à se mobiliser quand une lutte commence, lors d’une répression. Maintenir une attention continue à l’extérieur sur ce qui se passe à l’intérieur du centre, rendre proche ce qui a été placé au loin. Relire la réalité de ces lieux à partir de la parole des gens qui y sont enfermés et de leurs luttes.

Sous la forme d’un glossaire provisoire, quelques témoignages recueillis tout au long de ces quatre mois.

Détails

Dans nos discussions avec les détenus du cra de Vincennes, nous portons une attention particulière aux « détails » : deux par chambre, l’eau est froide, l’alarme sonne tous les soirs entre minuit et une heure, hier la nourriture était périmée, aujourd’hui il n’y a pas de place dans le centre et deux personnes doivent dormir par terre. Notre volonté n’est pas de dénoncer les conditions de rétention pour réclamer leur amélioration. Il n’y a aucun aménagement possible de ces lieux sinon leur destruction. Les détails nous aident à en comprendre la nature.

La nourriture

« Ce midi, on nous a servi des haricots blancs périmés depuis le 5 janvier. Quand on l’a signalé, ils nous ont répondu qu’ils n’étaient pas là pour regarder les dates. Qu’ils ne voulaient rien savoir. Nous sommes partis voir les agents de la Cimade avec les barquettes périmées et nous leur avons demandé d’être des témoins. » (10/01/08)

L’eau

« Il n’y a pas d’eau chaude dans les douches. Le ballon d’eau n’est pas suffisant pour tout le monde. » (15/01/08)

Les chambres

« Hier, ils ont ramené deux gars. Il n’y avait plus de place, plus de chambre, plus de matelas.

Ils ont dû dormir par terre dans le couloir. Le centre est plein, mais ils continuent à ramener des gens. Ils envoient les nouveaux en disant : “Va voir tes collègues ! Ils te trouveront une place !” » (16/01/08)

Haut-parleur

« On ne dort pas. On est constamment réveillé par le haut-parleur. Ils appellent pour le comptage, les visites, les expulsions, quand on passe devant le juge. Cela ne s’arrête jamais. » (22/01/08)

Tableau des expulsions

« Le soir, ils inscrivent sur un tableau le nom, la destination, l’horaire de départ et l’aéroport des gens qui vont être expulsés. Il arrive que des gens soient expulsés sans que leur nom soit inscrit sur le tableau. C’est souvent le cas pour ceux qui foutent le bordel. » (24/01/08)

Papier et stylos

« On n’a pas le droit d’avoir de stylo ni de papier. » (04/02/08)

Carte

« Quand tu rentres dans le centre, on te donne une carte avec un numéro, ta photo, ton nom, ton prénom et ta nationalité. Pour manger, tu dois te pointer au guichet et présenter ta carte. C’est pareil pour la Cimade et l’infirmerie. » (31/01/02)

« Ils vérifient avec nos cartes que nous sommes tous bien présents. » (04/02/08)

Guichet

« Aux guichets, ce ne sont pas des policiers. Ils ont des blousons rouges. Certains sont gentils, mais d’autres vous humilient. Ils parlent avec leurs téléphones, ils ne vous répondent pas, ils vous font attendre une demi-heure. » (08/02/08)

Médicaments

« Certains parmi nous ne savent ni lire ni écrire le français. Quand ils vont chez le médecin pour un mal de tête ou parce qu’ils ont mal à la jambe, le médecin leur donne un cachet pour les fous qui endormirait un éléphant. » (09/04/08)

Télévision

« Aujourd’hui, je me suis pris la tête avec un flic à propos de la télé. Je lui ai demandé de changer de chaîne. La télé est en hauteur. Elle est entourée de grillage et de plexiglas. On n’y a pas accès. » (09/04/08)

Refus

Au fil de nos appels nous comprenons un peu mieux la nature de ce lieu et de la résistance qui s’y joue — ces continuels refus qui prennent selon les jours, selon les semaines, des intensités différentes. Le 31 janvier 2008, alors que rien ne semblait se passer, un détenu nous a patiemment expliqué comment la vie du centre s’organisait autour de la carte. Le lendemain, un autre nous informait qu’une quinzaine de détenus déchiraient leurs cartes et les jetaient dans le couloir. Cartes déchirées, refus d’entrer dans les chambres, refus d’être comptés, refus de manger, chambres brûlées, altercation avec la police, solidarités entre retenus. Ces actes quotidiens de révolte se construisent dans un rapport à l’organisation du centre et à tous les moments de contrôle et d’humiliation qui lui sont liés.

Refus du comptage

« Hier soir, à minuit, on a refusé d’être comptés et de rentrer dans les chambres. On a essayé de dormir dehors. Tout le monde criait L-I-B-E-R-T-É. On a essayé de parler avec le chef de la police, mais il a appelé les crs. » (23/01/08)

Refus de manger

« On a refusé de manger. On a empêché l’accès au réfectoire en bloquant les portes. La police nous a demandé de laisser passer ceux qui voulaient manger. Ils ont fini par nous dégager. Mais seulement une minorité est allée manger. » (26/01/08)

Mise à feu des chambres

« Ce soir, des gars ont mis le feu à leur chambre en brûlant des papiers. Les pompiers sont intervenus pour éteindre le feu. La police n’a pris personne. Ils veulent peut-être brûler le centre. » (23/01/08)

Déchirer les cartes

« Hier, une quinzaine de personnes ont déchiré leurs cartes et les ont jetées dans le couloir. » (04/02/08)

« Vendredi, tout le monde a déchiré sa carte. On les a mises dans un sac et on l’a balancé à l’accueil. »(16/03/08)

« Ils en ont refait des nouvelles le lendemain. Ils nous ont demandé une photo d’identité. Le capitaine a dit qu’il n’y aurait ni nourriture, ni visites, ni médecin si on ne prenait pas de carte. »(16/03/08)

Se réunir, s’organiser

« Hier soir, on a fait une réunion, on est resté longtemps, on a parlé de la grève de la faim. Ce matin, on a parlé avec les Maliens, parce qu’il faut qu’on soit tous solidaires. On essaie d’organiser les choses. On s’est mis d’accord sur quatre jours pour la grève. Après on a fait la lettre pour la Cimade. Ma chambre est devenue un bureau. Les gens viennent pour signer le texte ou quand ils ont besoin d’un renseignement, d’une information. Alors, j’ai collé ma carte sur la porte avec de la confiture pour que les gens sachent que c’est ici. Le matin, je l’ai retrouvée par terre déchirée. » (21/02/08)

Écrire

« On a décidé d’écrire une lettre au commandant. Pendant qu’on l’écrivait, un policier est passé dans le couloir pour demander ce qu’on faisait. Quelqu’un lui a répondu “Ta gueule !”. Il est parti et il est revenu avec cinq collègues. Ils ont voulu prendre le monsieur qui écrivait et récupérer la lettre. » (3/02/08)

Se solidariser

« On s’est mobilisés parce qu’une personne a dépassé les trente-deux jours et ils ne la libéraient pas. On est passés dans toutes les chambres pour expliquer la situation. On est tous descendus à l’accueil. On a tapé sur les tables, on a crié “Liberté”. Le chef du centre est descendu et il a demandé pourquoi on faisait cela. On a expliqué le cas. Il a dit qu’il allait téléphoner à la préfecture. Une heure après, il est redescendu et il a dit : “Tu peux aller chercher tes affaires, tu es libre”. » (23/02/08)

Transmettre

« Il y a un peu de calme. La plupart des anciens, les plus combattants ont été libérés. Il y a beaucoup de nouveaux. Ils ne peuvent pas tout de suite se mettre à protester. Il faut qu’ils voient et qu’ils comprennent. » (08/02/08)

Manifester

« Nous avons manifesté samedi vers 17 h, pendant que vous étiez dehors. On s’est rassemblés, on a crié L-I-B-E-R-T-É. » (09/04/08)

Répression

Nous continuons à appeler. D’autres rendent régulièrement visite aux détenus. Nous nous rassemblons devant le cra de Vincennes. Chaque fois, il s’agit de rentrer en contact avec eux. Nous devons approcher le centre au plus près. Nous faire voir, nous faire entendre. Pour les détenus, le seul lieu accessible pour voir dehors au-delà du mur est une passerelle sur laquelle ils peuvent se rassembler. Pour nous, la seule manière d’être visibles est d’accéder au milieu du parking de l’hippodrome. À chaque rassemblement, la police nous empêche d’atteindre ce point. Et souvent, la police du centre les empêche de se réunir sur cette passerelle. Quand nous y parvenons, nous échangeons des cris, des gestes. Ces échanges sont ce qui nous tient, eux et nous. Alors la répression s’accentue contre ceux qui manifestent dehors. Et la répression à l’intérieur continue.

Bâche verte

« Mais on ne pouvait pas vous voir. Ils ont mis une bâche verte depuis une vingtaine de jours pour qu’on ne puisse plus voir à l’extérieur. » (09/04/08)

Séparer

« La police filme ceux qui se révoltent. Ils les séparent et les mettent dans l’autre bâtiment. Aujourd’hui, ils ont pris deux personnes. Parmi eux, il y a un Tunisien qui n’a pas mangé depuis plus de dix jours. Il a perdu 9 kg. » (24/01/08)

CRS

« Tout a commencé vers 11h30, suite à une provocation de la police. Nous étions devant la télé. La police a éteint la télé sans rien dire, sans explication. On a demandé qu’ils la rallument. Ils n’ont pas voulu. Le ton est monté très vite. Ils ont voulu prendre une personne pour la mettre en isolement. On a empêché la police de la prendre. Ils nous ont demandé de monter dans les chambres pour le comptage, on a refusé. Alors, ils sont revenus en nombre. Ils étaient plus de cinquante. Il y avait des crs et des policiers. Ils nous ont séparés en deux groupes, puis ils nous ont tabassés dans l’escalier, dans le couloir, dans les chambres. Je dirais qu’il y a cinq personnes blessées, dont deux graves. L’une semble avoir le bras cassé, l’autre le nez cassé. Pour celui qui a le nez cassé, ils sont entrés dans sa chambre et ils l’ont tabassé. Il y a plein de sang dans sa chambre et dans le couloir. » (nuit du 11 au 12 février 2008)

Humiliation

« Entre 3h30 et 4h, ils sont venus nous fouiller. Ils nous ont tous sortis dehors. Certains n’ont pas eu le temps de s’habiller. On a attendu une demi-heure dans le froid. Pendant ce temps-là, ils ont fouillé les chambres. Puis ils nous ont fouillés dix par dix. Quand nous sommes rentrés dans les chambres, on a trouvé un Coran déchiré et piétiné. Des chargeurs de portables détruits, les fils coupés, des téléphones avaient disparu. » (12/02/08)

Identifier les meneurs

« Néanmoins on continue de se réunir, même si on n’a plus revu les gens qui avaient organisé la première lutte : les flics ont pris les fortes têtes pour les mettre dans un autre bloc. » (09/04/2008)

Isolement

« Ils ont pris deux personnes et les ont mises en isolement. » (09/04/08)

scotch et film plastique

« Un mec pour refuser d’embarquer a eu une idée incroyable. Il s’est chié dessus. Il s’est tout étalé sur lui-même. Ils n’ont pas pu l’expulser. Ils l’ont ramené au centre. Le lendemain, ils sont venus le rechercher. Ils l’ont attaché avec du scotch et ils l’ont enroulé dans du film plastique. Ils l’ont pris et ils l’ont expulsé comme ça. » (09/04/08)

« Ceux qui refusent l’embarquement sont ramenés au centre pour être ré-expulsés plus tard. Si je suis expulsé, je vais accepter : quand c’est la deuxième fois qu’ils tentent de t’expulser, ils te scotchent comme un animal et je ne veux vraiment pas partir scotché comme un animal. » (09/04/08)

Post-scriptum

fermeturetention@yahoo.fr

Notes