Vacarme 45 / cahier

Sainte-Marie-aux-Mines, épisode 8

l’avenir du printemps

par

Dernier épisode, en forme d’après-coup, de notre journal de campagne tourné vers la commune de Sainte-Marie-aux-Mines, où une initiative citoyenne contre l’extrême-droite s’était muée, lors des dernières municipales, en liste porteuse d’un projet citoyen, démocratique et écologique pour la ville. Au-delà de l’arithmétique électorale, que retenir de la défaite de cette liste lors du scrutin ? Pour ceux qui y participèrent, quelles incidences et quels nouveaux départs ?

Difficile. Quelques mois après l’élection municipale qui a vu le maire sortant remporter le scrutin de Sainte-Marie-aux-Mines dès le premier tour, et la liste Printemps 2008 conduite par Pierre Kretz arriver deuxième avec 21%, le retour aux activités quotidiennes comme la poursuite de la démarche entreprise doivent compter, pour les participants à cette initiative déçue, avec une difficulté moins psychologique que politique, au sens littéral : difficulté qui touche au simple fait d’habiter la ville, d’y circuler lorsqu’on l’a investie de projets désormais mis entre parenthèses, d’y croiser celles et ceux avec lesquels on a dialogué au long des réunions d’appartement, d’y renouer avec des concitoyens qui n’y ont pas cru lorsqu’on ne pouvait soi-même s’empêcher d’y croire (car « on est obligé d’y croire », souligne Pierre Kretz, quels que soient les obstacles et les lacunes connus d’avance). Que l’acceptation de la défaite fasse partie du jeu démocratique ne suffit pas à reléguer ces difficultés au rang de la simple bouderie : ce serait négliger le fait qu’à l’échelon municipal, s’engager dans une aventure électorale implique de mettre en jeu ses liens avec une communauté vive, la possibilité d’y adhérer et de se sentir en faire partie, l’acceptation aussi de s’affronter à son jugement. C’est pourquoi, peut-être, l’un des candidats malheureux de la liste Printemps 2008, installé depuis longtemps dans la commune, a décidé de mettre en vente sa maison et de déménager : trop difficile de côtoyer des habitants qu’on a le sentiment d’avoir invités à un avenir différent, trop déplaisant aussi de se sentir renvoyé à son statut de « prof » comme à un indice de marginalité, lorsqu’on a le sentiment d’avoir témoigné au contraire de son attachement à cette communauté du fond de la vallée.

« Une liste de profs », menée par un « intello de gauche » : lorsqu’il revient sur cette double qualification, tôt accolée au cours de la campagne à Printemps 2008, Pierre Kretz laisse percer dans le ton de sa voix la reconnaissance de ce qu’il y avait, dans cet étiquetage, quelque chose à la fois de facile, de biaisé (au regard de la diversité des parcours des candidats) et d’imparable. Quoi de mieux, en effet, que de déplacer le débat du plan des idées et des propositions, où la liste avait tenté de se porter, vers celui des identités sociales, disqualifiant le discours des adversaires en les ramenant au rôle convenu de donneurs de leçons professionnels ? Un coup simple, et dont Pierre Kretz reconnaît en souriant qu’il est aussi l’indice d’un décalage profond en matière de savoir-faire politique : « l’ancien maire nous a laissé faire campagne, en s’abstenant d’intervenir ; c’était très habile de sa part. » C’est qu’une élection municipale, précisément parce qu’elle intervient dans un espace étroit où discours et programmes ne sauraient être abstraits de l’inscription ordinaire de ceux qui les portent, se joue sur la capacité de faire verser le débat d’un côté ou de l’autre de la frontière séparant les affaires de tous et celles de chacun. Signaler, comme le fit Printemps 2008 lors d’un débat organisé à la télévision locale, le fait que l’ancien conseil municipal ait voté le classement en zone constructible de pâturages appartenant au maire, donna l’occasion à ce dernier de se plaindre d’attaques personnelles, et fut à ce titre, note Pierre Kretz, « un geste coûteux » ; d’un autre côté, l’appel à modifier les pratiques et le fonctionnement des services de la ville revint sans doute à braquer contre la liste les employés municipaux, relais d’opinion décisifs à cette échelle. Et puis, il y a des questions et des exigences qui ne se laissent pas contourner, quelle que soit l’ambition de mettre en avant le travail collectif et la participation : « la même question revenait toujours : qui sera maire ? ». Difficultés, ici, d’une aventure prise en tenaille, dans son effort même pour « re-politiser les élections locales », entre les deux pôles de la vie politique telle qu’elle est : ramenée aux contingences des pratiques quotidiennes lorsqu’elle voudrait en dégager, par un travail patient, des lignes et des principes, elle se heurte dans son désir de citoyenneté aux formes établies de la représentation.

Pour déplacer cette contradiction et y rouvrir un espace de jeu, il faudra du temps — ou peut-être vaut-il mieux dire des temps, car l’expérience de cette campagne aura, pour une grande part, été celle d’un écartèlement entre les divers rythmes où se joue une telle aventure politique. Rythme lent, patient, piétinant, de la construction de la liste et du programme, dont Vacarme a retracé les étapes ; processus où il s’agissait de se projeter, par-delà l’échéance du scrutin lui-même, dans un horizon de long terme afin d’envisager l’avenir urbain, économique et écologique de la vallée. Rythme brusquement affolé de la campagne et du compte à rebours, exigeant des candidats qu’ils adoptent soudain une posture inverse à celle du débat et de la prospective : non plus décoller des circonstances actuelles pour imaginer un futur, mais se trouver au contraire rabattu sur l’échéance, dans une course vers l’élection où flambe le désir d’y être déjà, et où (si improbable que soit objectivement la victoire) il est exclu de ne pas y jouer sa mise. « À l’approche d’une élection, la folie s’empare d’une ville », dit Pierre Kretz, qui raconte aussi combien certains membres de la liste furent saisis, à ce moment, à la fois par la peur de perdre et la peur de gagner, jusqu’à quitter le navire dans les derniers jours précédant l’élection — alors même que, par-dessous, battait au profit de l’équipe sortante le rythme très lent des traditions municipales, de l’importance donnée à la notabilité et des adhésions silencieusement reconduites, qui finirent par emporter la décision. Il faudra, pour les participants à cette aventure, à la fois revenir de cette accélération et mordre sur cette immobilité : d’un côté, surmonter l’amertume des brusques coups de frein que la défaite impose à l’enthousiasme, de l’autre, contrer cette autre amertume à laquelle s’adossent ceux qui ne tentent jamais rien et se contentent de répéter que rien n’est possible dans la vallée. Pour cette double tâche, plusieurs campagnes ne seront pas de trop.

Pour autant, lors du scrutin 2008 ont bel et bien eu lieu quelques déplacements, peut-être discrètement décisifs et auxquels la liste a œuvrés. D’une part, ce qui peut apparaître comme la poursuite d’une tradition sans accroc (le maire actuel, reconduit, est après tout l’adjoint du précédent maire) ne saurait faire oublier que celle-ci faillit bien s’interrompre, en 2001, lors d’une triangulaire où l’extrême-droite intervenait en position d’arbitre. À ce titre, la candidature de Printemps 2008 a participé à sa manière à éviter le retour de cette menace, conforme malgré sa défaite au projet de l’association Val Avenir, dont la liste émanait et qui, depuis le scrutin, gagne des adhérents. Simultanément, Printemps 2008 a mobilisé les suffrages des communautés turque et maghrébine de la commune, signant par là même une intervention inédite de celles-ci dans le jeu politique local, et portant la participation à un taux important (70%), auquel contribua aussi une implication plus importante des jeunes : l’enjeu démocratique, ici, est bel et bien atteint, pour une liste qui faisait une véritable place aux Français d’origine étrangère. Enfin, il semble que les préoccupations écologiques dont la liste s’était fait l’écho fassent désormais l’objet d’une attention plus large : une pétition circule pour limiter le flux de véhicules, lors de la réouverture prochaine d’un tunnel à la circulation routière et aux camions ; initiative vis-à-vis de laquelle Val Avenir reste volontairement en retrait, se contentant de l’encourager en ouvrant son local aux pétitionnaires (« si des gens non organisés prennent ça en charge, c’est formidable ! »). L’idée d’installer des capteurs solaires sur le toit du LEP, qui figurait au programme de Printemps 2008, serait en passe d’être reprise par la mairie.

Reste aux quelques candidats élus, pour prolonger les formes de cette avancée, à investir la participation au conseil municipal, en particulier sur les dossiers dont Printemps 2008 avait fait ses priorités, entre écologie, renouveau urbain et avenir de la commune. « Nous nous répartissons dans les commissions consacrées à l’urbanisme, aux finances, à la jeunesse et aux sports ; trois réunions se sont déjà tenues depuis les élections. Contrairement à ce que l’on dit souvent, s’ils travaillent leurs dossiers, des conseillers municipaux d’opposition peuvent obtenir des infléchissements ou des retraits », explique Pierre Kretz. Dans la vallée, comme ailleurs, sur l’agenda du jour figure la tâche d’inventer une opposition.