Vacarme 48 / Vacarme 48

un jour en Europe

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Le mercredi 22 avril, la police nationale a procédé à l’expulsion de deux cents Roms du terrain de Bobigny (Seine-Saint-Denis) où ils s’étaient établis un mois auparavant. Ceux qui ne disposaient pas sur l’heure de moyens de traction pour leur caravane les ont vues partir à la fourrière sans pouvoir y récupérer leurs affaires. Leur cas, il est vrai, était pendable : ils s’étaient installés à proximité de l’ancienne gare de la ville — d’où partirent, entre 1943 et 1944, 22 450 déportés de Drancy. Pour procéder à la dispersion du campement, les autorités pouvaient donc prétexter la cérémonie de commémoration organisée trois jours plus tard, dans le cadre de la journée nationale de la déportation : un spectacle théâtral intitulé Gare sans voix, Lignes de vie. Une fédération d’anciens déportés rappela justement que les cérémonies n’ont de sens qu’à conjurer le présent. On en parla quelques jours, puis on ferma le ban.

Le mercredi 22 avril, vingt-sept Roms roumains, dont seize enfants, ont été interpellés sur le terrain de Lomme (Nord) où ils campaient depuis leur évacuation de la Porte de Valenciennes, à Lille. Deux jours plus tard, ils ont été reconduits à Bucarest. Parmi eux, la famille Preda, dont les enfants venaient de faire l’objet d’une mesure de protection des mineurs. Des associations s’inquiétèrent de l’empressement de la préfecture du Nord à reconduire des Roms, au mépris des situations individuelles mais aussi, dans ce cas, des décisions de justice. L’affaire fit un peu de bruit, elle fut vite oubliée.

Pour les Roms récemment arrivés en France, le mercredi 22 avril n’est qu’un jour parmi d’autres. Leur existence est de fait rythmée par les dispersions manu militari de leurs campements, et par l’invitation pressante qui leur est faite de quitter le territoire. La plupart ont vécu en Roumanie ou en Bulgarie : ceux-là sont, depuis le 1er janvier 2007, citoyens européens. Libres désormais de circuler, ils ne le sont pas de séjourner. C’est qu’ils sont pauvres. Depuis 1992 en France, les étrangers en situation de dénuement peuvent être expulsés au titre d’un dispositif dit de « rapatriement humanitaire ». Derniers venus dans l’Union européenne, soumis jusqu’en 2012 à un « régime transitoire », Roumains et Bulgares n’ont le droit d’exercer que certains métiers, dont la liste est établie, au gré du marché de l’emploi, par les autorités françaises. Encore doivent-ils obtenir des préfectures une autorisation de travail, moyennant une promesse préalable d’embauche. Dans l’attente, beaucoup ne peuvent justifier de ressources suffisantes et sont passibles d’expulsion, assortie d’une compensation financière — 300€ par adulte, 100€ par enfant — délivrée par l’Agence nationale d’accueil des étrangers et des migrations (ANAEM). Ces « retours volontaires » forcés ont constitué, l’an dernier en France, près d’un cinquième du nombre total des reconduites à la frontière. La plupart reviennent, ils en ont le droit, au même titre que n’importe quel ressortissant européen. Mais très vite après leur retour, ils risquent à nouveau l’expulsion. Les Roms sont donc des Européens commodes : ils servent de variable d’ajustement à une politique d’immigration soumise à la réalisation d’objectifs chiffrés d’expulsion.

À cet égard, la façon dont on claironne, à leur propos, le refrain de l’intégration est édifiante : Roms, encore un effort si vous voulez être européens ! Depuis trois ans, le département de Seine-Saint-Denis a mis en place des « villages d’insertion », dont le concept commence à essaimer en France. Chaque structure accueille une vingtaine de familles ayant fait preuve, selon les critères préfectoraux, d’une « capacité et volonté suffisantes de s’intégrer ». Les candidats recalés sont reconduits à la frontière ; ceux qui restent bénéficient d’un accompagnement social — sans garantie d’autorisation de travail. Mais les « villages » sont des centres fermés et gardiennés ; leurs locataires ne peuvent y recevoir de visites qu’à condition d’en avoir fait la demande aux associations gestionnaires agréées par la préfecture, et s’engagent à n’héberger personne dans leur bungalow : c’est le prix de leur insertion.

De toute évidence, les étrangers extra-communautaires ne sont pas les seuls à n’être pas Européens : les Roms non plus. Eux se heurtent à une frontière qui bouge avec eux, chaque jour en Europe. Depuis l’été dernier, l’Italie procède au fichage systématique, avec photographie et relevé des empreintes digitales, des « populations nomades ». Quelques semaines après l’élection d’un nouveau Parlement, on voudrait faire, ici, de la situation faite aux Roms l’un des critères à l’aune desquels s’évalue et se juge la démocratie européenne.