la petite feuille, des zigzags
par Hubert Lucot
Dans le vieux Montreuil aux recoins pris de mousse, une éternité s’offrait sous la nudité du plâtre, d’autant plus concrète qu’elle se termine pour moi (notion de dépassement). J’éprouvais la rude douceur des choses humaines par temps gris ; les murs enfoncés dans le temps (time, non pas weather) attirent l’oeil dans des cours pavées incomplètes, le mot « rural » note tout cela avec rapidité, j’étais enclin à quitter la matière et à planer vers l’infini pour saisir l’immédiat.
Je marchais vite, presque dans le vide, une agence immobilière élégante, l’unique boutique, redressa mon chemin erroné en renversant la pente : je devais me diriger vers le sud. J’atteignis l’immeuble moderne proche de pavillons agréables à 15 h 55 non pas à 15 h 30. IL m’ouvrit, assis dans un fauteuil roulant, avec un visage RECULÉ — en ce qui concerne la grosseur (il n’a jamais été corpulent mais plein) et la couleur (blanchâtre, comme moi) ; ses yeux ont rétréci (il ne portait pas de lunettes ?). Tout de suite : « Maladie de Parkinson sans tremblement ». Voix faible de l’encore costaud, je fais un terrible effort pour entendre, il m’expliquera que le mal a diminué les muscles qui manoeuvrent ses cordes vocales, je comprends l’absence d’enthousiasme téléphonique quand j’annonçai ma visite à 15 h 30 après 39 ans que je calcule ainsi : la dernière fois que je le vis, dans Paris, il plaisantait les maoïstes, « garçons de café qui veulent servir le peuple » ; c’était peu après 1968. La chute du Mur de Berlin en 1989 m’a incité à lui téléphoner ; j’y ai renoncé.
Il semble heureux de me voir, ne cherche pas à déceler en moi l’embourgeoisement auquel il me destinait discrètement en 1960. J’étais venu poser la question : « Qu’est-ce qui s’est passé de 1945 à la crise financière de 2008 ? » (En 1989, c’eût été : « … de 1945 à la Mort du Communisme. ») 1944 : il est soldat de 22 ans dans l’armée américaine après avoir fait de la résistance dans un groupe trotskiste et fui au Maroc. Il me répond sur « l’impasse du trotskisme » ; triste à dire, Staline, bêtement sous-estimé par Trotski, avait vu juste : socialisme dans un seul pays. Je commente : « Trotski scolaire : révolution en Russie, donc dans le monde entier. Mais il oublia le livre (Marx) en avril 1917 quand il incita Lénine à transformer magiquement la révolution bourgeoise en révolution prolétarienne », et je reçois le premier des : « C’est plus compliqué que cela. »
Joseph Abraham eut une grande activité syndicale dans la presse, il travaillait la nuit. La section CGT de l’imprimerie : indépendante du PC, tradition anarcho-syndicaliste. Joseph Abraham entretient des relations avec de nombreux syndicats étrangers. Voyages en URSS. Se rendit deux fois en Chine : faibles dépenses.
Sa critique vise le bas plus que le haut : les petits sont réactionnaires ; « j’ai mis 50 ans à comprendre ce qu’ils veulent : vivre » ; il voit le monde, férocement politique, depuis l’apolitisme des gens.
À 57 ans, en 1979, il a bénéficié d’une retraite anticipée : « Quel ouvrier, dans l’histoire de l’humanité, a joui de 30 ans totalement libres ? » Il désapprouve sans violence mon pessimisme — parce que les désastres écologiques et culturels ressortissent d’un domaine qui n’est pas exactement le sien ? — et multiplie les « C’est plus compliqué » de l’expert. Sa fille Claire est née en banlieue, loin du Marais juif, en 1964, chef maquettiste à Télérama, « qui est un peu de gauche : critique Sarkozy sans ambiguïté ». Belle coïncidence, Claire téléphone, il déclare joyeusement ma visite, me passe l’appareil, elle me tutoie avec enthousiasme, je ne l’ai jamais vue.
Je cherche silencieusement le grand trait d’Abraham, le rattache à l’orgueil : il veut comprendre, contrairement aux cons ; ils lui déléguaient leurs pouvoirs, il défendait leurs intérêts, au comptoir traitaient les sujets : tiercé, cul, maison de campagne, il buvait un café sans participer à la conversation. Comme nous nous quittons, il devient soudain — j’en souris, mal à l’aise — l’aumônier auquel par bonheur mon adolescence échappa : « Est-ce que tu crois encore en la lutte des classes ? » Je l’éprouve à chaque instant, plus tendue que jamais, le poète en moi ajoute : « au travers des océans et des déserts ».
Banlieue résidentielle, sans luxe et sans pauvreté ; dans le vide, l’équilibre entre les pelouses et les bâtiments blancs (balcons plats) me donne du plaisir, un mouvement naît, lisse comme l’immobilité, cet autobus qui n’était pas avance vite, tourne à droite, encore à droite, je vois cela comme de haut… ma sensation est celle des années 1960, elle s’est maintenue pendant un demi-siècle, aujourd’hui l’après-midi tend à sa fin.
Un autre autobus m’a pris, soudain la banlieue est moins déserte, un minuscule supermarché offre à mon oeil une profondeur rouge, rouge au fond, ou bien mon intellect la perçoit telle, crépusculaire, j’imagine le soleil écarlate s’enfonçant dans l’horizon marin à 300 km du Val-de-Marne, mais je constate que des lettres rouges forment le nom de la chaîne commerciale sur le fronton, la soirée hivernale a la tiédeur du chez-soi (rouges les boulets derrière le mica) du côté de la rue Saint-Dominique où logent mes tantes et de l’épicerie-buvette Lhuilier dans la côte de Dainville, puis dans la ruelle principale de Saint-Paul-de-Vence où la porte du magasin d’alimentation infime laisse percevoir le jaune d’une ampoule allumée… ma divagation reconnaît enfin la place des Vosges de 1957, quand Joseph Abraham la fit découvrir à Crinyème et à moi ; longtemps l’une des brasseries les plus populaires de Paris, la Chope des Vosges (à la choucroute très économique mais mangeable dès qu’on a essoré le jus acide et jaunâtre), occupa le coin nord-est, j’ignorais totalement — profonde était la nuit, éclairée dans les autres quartiers — que je vivrais dans cet ultime morceau du Marais le demi-siècle à venir. Sans raison, en traversant la rue devant mon autobus arrêté à son terminus, mon esprit cadre la petite feuille jaune observée dans l’île Saint-Louis il y a plus de 4 ans. Un texte ordinaire aurait montré un fait, donné une information, explicité une émotion, j’ai su conserver à la feuille son extraordinaire présence, elle existe quand je dis : « Je la ramasse, je la colle sur cette page » ; parce que ma fiction a adopté le genre journal, j’ai fait croire que la page du livre est celle du cahier.
dans les Îles
Par beau temps froid, je marche sur le quai Bourbon de l’île Saint-Louis… je m’explique : hier soir, probablement, quand j’ai traversé une rue du Val-de-Marne qui relie vaguement un carrefour d’autobus vides à la maisonnette d’où un petit train me ramena à la gare de Lyon, mon inconscient se souvint que j’irais le lendemain à l’Hôtel-Dieu, pour le plaisir marcherais dans l’île Saint-Louis, que marqua la feuille jaune dont j’ai ramassé l’humidité caoutchouteuse liée à la Seine au printemps 2004.
Comme je longe obscurément la cathédrale Notre-Dame dans une rue dont j’aime l’étroitesse, je ressens, mêlé aux touristes, le bonheur — un peu inquiet, bien sûr — du jeune h.l. progressant à Florence dans l’ombre des pierres prestigieuses que l’histoire lui offrait avec naturel, pas seulement la Renaissance mais aussi son histoire quelques années (9) après une Guerre mondiale — et ratatinés les pots de fleur sur les bordures des façades dans Belleville crevant encore de froid et de faim ; dans la fraîcheur de l’ombre urbaine h.l. consommait la chaleur méditerranéenne de l’intérieur toscan, nom étrange, tocsin sonnant l’austère richesse de la Cité-État, il pourrait retentir au-dessus de moi parisien, scander en code l’incendie des maisons en bois, ou bien la volée de cloches traverse la Seine depuis Saint-Germain-l’Auxerrois le 24 août 1572 (Saint-Barthélemy).
M’emplit une bouffée 1953… peut-être avais-je perçu derrière moi, venant en biais, quelqu’un de jeune… l’essence 1953 ne tendait pas à femme mais plutôt au Vieux Paris, j’aime que les touristes me convertissent à leur innocent bonheur, j’aime qu’ils me consultent sur ma ville, me montrent dans une évidence monumentale un site caché : « Où sommes-nous ? Place de la Bastille ? Peut-on, à pied, atteindre la Seine ? », j’indique une pente à peine sensible et je me plais aux douceurs du langage simplifié, ne sais dire à mon interlocuteur japonais que la nature racée de sa quête restaure, un instant, la grâce française que nous avons perdue il y a des décennies.
Bloquée entre des piliers antiques, la cafétéria de l’Hôtel-Dieu m’apparaît un buffet de gare de jadis, aux pierres nues, ce serait celles de l’Anjou ou de Lutèce ; non pas elle, la « cafète » (mot peu aimé que prononcent contre moi des « blouses blanches » séduisantes), mais le moment, raccorde directement avec la profondeur rouge du petit supermarché goûtée hier sur le mode crépusculaire, aurore redevenant nocturne, un autocar pourrait promener mon menton le long d’un lac parmi les roseaux et entre les pattes écailleuses des flamants.
Rassuré sur mon bon coeur, je sors de la cathédrale hospitalière par une porte latérale, laisse à ma droite le Marché aux fleurs, j’aborde une large esplanade carrelée libre de voitures face au Palais de justice se dressant au fond, je note un net ralentissement de ma marche : j’ai « freiné », involontaire et conscient, la beauté du site m’a spontanément incité à le consommer longuement, je savoure le petit temps perdu — par ma lenteur — dans l’immensité d’un Univers enchevêtrant durées et vitesses.
Je ne peux retenir mon rêve, je n’ai aucune prise sur une impression de transparence et d’obstacle se résolvant en des anecdotes opaques, toutes évanouies. Rêve fait à 4 h ? à 7 h ? À 7 h, je cherche à retenir ce qui s’est déjà échappé, aussitôt apparaissent blancheur (non plus transparence) et glissement comme dans une bouche de métro — peut-être par un escalier mécanique invisible. Lors du réveil définitif — à 7 h et quelques —, dit tel si effectivement je me suis rendormi, j’ai retenu le blanc glissement que peu après j’ai comparé à l’allongement temporel réalisé sur l’esplanade qui délicieusement conduit aux grilles du Palais de justice.
Les réminiscences que je définis résonances (du passé dans le présent) me mènent à des choses écrites sans que je consulte les textes, notamment :
à la marcheuse — tout particulièrement à son essence jeunesse — qui survient en biais derrière moi dans le Vieux Paris, du côté de Notre-Dame. J’identifiai une Asiatique un peu forte, l’impression antérieure tendait à : Une jeune femme, ses souliers, ses bas, et plus encore à l’ère 1953 quand j’arrachais un peu de liberté au noir Quartier latin et tentais de savourer son fleuve.
à la petite auberge imprévisible sur le plateau alpin du Touvet, bistrot-avec-des-chambres installé dans une maisonnette rurale, un bienheureux hasard nous y dépose au bout de la route nocturne en octobre 1981 ; ces jours-ci, 27 ans après, j’ai constaté que jac Regrouper pré-figurait en 1967 une telle aventure : « où femme des eaux usées coiffée au fer agit en gants de caoutchouc, De l’antique brasserie quelques chambres, elles reproduisent les tables de la salle au rythme de portes communicantes… ». Au matin, brume, gel (le soleil se leva, souverain), nous connûmes dans la cuisine — parfumée du boeuf casserole rumorant sur la cuisinière — ce que jac Regrouperavait esquissé : « … l’accorte, sale du linge nocturne, s’affairant, retrouve le café et le pain d’un autre temps, bois dormant… » puis vient (dans le récit ou rêve composé en 1967) un départ en autocar, celui-ci longe un lac, ses roseaux, dans l’automne 1955 : permissionnaire d’une demi-journée, je me rends depuis mon sanatorium (le car s’arrête sur ses marches) dans la ville Grenoble… ce que jac Regrouperélève à l’avancée universelle, plus précaire (bellement matérielle) et plus métaphysique (plus surprenante) qu’une aventure.
Bientôt l’audace espiègle de la majuscule « D » (« De ») au milieu de la phrase me rappelle que depuis 40 ans je me plais à décaler les temps : la majuscule « D » montrait aux lecteurs (deux ou trois amis) que la phrase commençait peu avant son commencement. Elle rejetait dans l’antériorité l’incise qui explique et situe.
zigzags
Jour après jour — plusieurs fois dans la même journée —, j’ai perçu des points dont les zigzags montrent la baisse de la Bourse par paliers inégaux et l’écart élastique entre le jeune Obama et le chenu McCain.
4 octobre 2008 ILS agissent. ILS sont quelques-uns, non pas d’héroïques monarques mais des techniciens formés sur le tas. Nous ne pouvons rien faire — nous ne voyons même pas les catastrophes imminentes —, ILS se proposent d’injecter…
En flammes une tour infernale menace notre métropole. Sur 10 millions d’habitants quelques dizaines de cagoules attaquent le feu.
ils cherchent à injecter de l’argent — venu d’où ? — dans la machine (indéfinissable ?) pour qu’elle reparte, ou plutôt ne s’arrête pas brutalement : renflouée, la banque « aidera » notre entreprise, nous conserverons notre emploi, acquerrons des aliments avec de l’argent qui alimentera d’autres moteurs.
6 octobre Les actions Hermès ne cessent de monter ; 79 euros en avril, près de 110 euros aujourd’hui : +37 %. Le luxe n’est pas en crise, profite-t-il de celle-ci ?
Le luxe est une valeur, le luxe est un refuge.
8 octobre Ça baissait. Maintenant boum boum boum : -6 % ; Tokyo enfin touché : -9 %. En quelques semaines, le CAC 40 français est passé de 4 500+ à 3 500-. Ce n’est que la partie manifeste de l’Écroulement : nous ne visualisons les difficultés des entreprises et des « gens ». La défiance — contre-valeur suprême — serait d’abord celle des banques, de chacune à l’égard des autres, auxquelles elle ne prêtera pas d’argent ; la « chose » ainsi apprise installe en moi l’attrait-répulsion qui charge certains mots : « marché interbancaire ».
10 octobre Boum-boum. Encore : -6 %. Pour élever le niveau de vie des Français, le gouvernement projette d’aider les grandes surfaces à étrangler petits commerçants et producteurs.
Au pape fascisant (plus encore que Jean-Paul II ?) qui nous rend visite Sarkozy déclare son désir d’une laïcité positive : imprégnée de religiosité. Écologie positive : on pollue raisonnablement. Pensée positiveselon Johnny Hallyday : le peuple respecte les riches, loin de les jalouser bassement.
11 octobre Sur le petit écran, des têtes s’amassent, conviées ou cueillies dans des bureaux, sur le trottoir. L’une s’excite : « Il y a énormément de cash ! », ici, là ; des millions d’épargnes, entassées dans mille caisses, publiques, privées. Moi : « Ces caisses les ont placées. Ne vont les retirer du système pour les remettre dans le système, ainsi sauvé. »
Même chose pour le FMI, dont le directeur Dominique Strauss-Kahn déclare : « Nous allons prêter de l’argent aux États qui en ont besoin », ce que le FMI fait depuis 1944. L’argent dormait, dragon à la semence figée ? Le FMI va actionner la planche à billets : droits de tirage spéciaux ?
Argent confiance valeur… argent sale et créances douteuses… j’aime osciller vainement entre abstrait et concret sur ma planète biologique et financière, dans l’Univers qui relie entre eux tous ses objets (interactions).
Le Figaro (affichette) nous propose « une journée à la Bourse : dans la tourmente ». Ça a baissé fortement (encore, encore), remonté (nettement), baissé (un peu). L’élément extérieur souffle ; en fait, il est à l’intérieur des agents économiques, vous, moi, mille institutions. On se bat contre un souffle montant ou descendant. Se bat-on contre d’autres, vendeurs contre acheteurs, vendeurs (ou acheteurs) entre eux ? Chacun est seul, seul avec soi-même, le courtier a dit à l’ordinateur : « Vends (achète) à telle cote ! » automatiquement. La cote se présente seule, la cote se présente nue ; au soir, vendons Hermès.
15 h 40 Une pelouse fortement ombragée signe le beau temps. À terre, nombreux marrons, lisses : l’enfance ; ils sont là comme si je ne les avais jamais revus depuis mes cinq ans ; cinq est un morceau magique signant notre instinct de calcul.
17 h, à Belleville. al moukter livres vêtements parfums, tel est le nom de la boutique bleu ciel. Toute une vie de l’homme de lettres bourgeois (Pierre Loti, plutôt aimé, Paul Morand, haï ou méprisé) peut être dite Livres Vêtements Parfums. De ceux-ci s’échappe une longue bouffée de caractères arabes.
À la caisse devant moi, une belle jeune femme maintient sur son épaule, en payant, un sac colossal aux bretelles innombrables ; tout contre, le prolongeant, ou gonflant puissamment une des bretelles, un petit enfant, vertical, sur le bras de sa maman.
La Terre est l’astre de l’Eau. À Faim j’ajoute Eau, aux multiples faces. Un reportage en Éthiopie desséchée s’attarde sur une jolie femme. Elle semble réduire la tragédie au lavage, rare et parcimonieux. Ma première réaction était : boire et cuire le sorgho.
14 octobre Le souffle de la liberté m’apparaît, qu’ont produit contraintes et circonstances. Sur un terrain bouleversé que creusent de nouvelles pentes, Sarkozy affirme la liberté de décisions « socialistes » que la situation nationale et mondiale rend obligatoires. En 1984, les socialistes élus en 1981 pour augmenter les salaires qui relanceraient la croissance durent renoncer à cette politique pour éviter la faillite.
Il est dit que Grande-Bretagne, Allemagne, France et quelques autres Européens se placeront à la droite de l’ancien seigneur américain et trôneront (dans les difficultés). Puis je lis : « Chômage en France jusqu’en 2010 » et, au-dessous : « perte d’influence des partis sociaux-démocrates, resserrés entre une droite recentrée et une gauche radicale », le journal s’excite enfin sur un pistolet électrique, le Taser, dont cette gauche ne veut pas qu’il équipe notre police. Dans un magazine voisin : « La Terre comptera bientôt deux ou trois milliards d’affamés » ; c’est un scoop, je souligne le ou, puis j’obtiens l’information objective : 960 millions d’affamés ; +7 % par rapport à 2007, qui déjà battait un record. Je lis aussi que le gouvernement (en fait : Sarkozy) abandonne le projet de ficher les Français, fichier Edvige, « mal compris ». Du projet je passe à une projection : ficher les 960 millions d’affamés, terroristes en puissance.
À Pézenas (Hérault), dans son double classicisme (les pierres du xvie siècle, le souvenir de Molière), une mère a brutalisé l’institutrice de son fils, à laquelle la médecine du travail a accordé 4 jours d’indisponibilité. La classe et le classicisme, Molière parcourant le Languedoc sans écriture personnelle restaurent mes 10 ans. L’explication de tel Acte II, scène 3, la sonnerie électrique un peu angoissante nous rappelant après l’entracte dans la Comédie-Française scolarisée apportent un charmant contrepoint à la « crise de la société » actuelle dont se gargarisent les médias.
15 octobre H.L. : « La crise est normale. Normaux le calcul de la rentabilité, la recherche du profit. La crise accroît — c’est tout— le nombre des exclus, la fadeur de la soupe. » Romanesques et romanciers, considérons la route, la soupe, mon pays dans la guerre, deux cadavres dans le fossé (l’eau entre dans les narines), la miraculeuse découverte d’un camembert intègre dans un placard quand on a enfoncé la porte de la maison abandonnée avec la crosse de son fusil.
H.L. : « Sarko, mon lapin, mon poussin, pauvre gamin. Quand il applique, féroce justicier, le dogme libéral, mon coeur se soulève. Quand l’histoire le contraint à incarner l’État républicain condamnant les excès individuels, ses mines de gamin se forçant au sérieux, son rictus censé resserrer l’énergie me touchent, poussin, par leur naïveté populaire. »
Le capitalisme a détruit le climat plus encore que l’archaïque « communisme » oriental. L’Union européenne, après des décennies, a adopté des mesures pour « tenter de sauver la planète ». Ces jours-ci, la Pologne, l’Italie et l’Allemagne veulent réduire ces mesures pour sauver le système meurtrier. Un sage français se présente à nous, le baron Seillière, héritier de la célèbre famille Wendel qui dominait le Comité des Forges, d’odieuse mémoire. De 1998 à 2005, il occupa le siège de la Petite Sotte Parisot, superpatron méprisant. Récemment, il a gagné « des milliards » dans un achat-vente de quelques mois, ultime rebondissement de l’épopée Moriendo-Le Messie (= Vivendi-Messier). Le sage déclare : « La crise nous incite à repousser la protection de l’environnement, onéreuse : persécutées, les entreprises délocaliseraient, il est interdit de le leur interdire. » D’autres sources s’alarment : « Des entreprises veulent profiter de la crise pour « en faire moins » : faire moins d’efforts écologiques. » Soit : « La crise, quelle aubaine ! » Le dictionnaire m’apprend qu’aubain et aubaine dérivent de alibi.
Post-scriptum
Hubert Lucot est écrivain. Ce texte est extrait d’un livre en cours qui prolonge Allégement (P.O.L, 2009).