Actualités

Du meurtre par voie d’amendement

Pour toute la gauche issue des mouvements de sans-papiers et de lutte contre le sida, le droit au séjour pour raison médicale était une exigence fondatrice de la possibilité de libérer un espace politique avec la gauche gouvernementale. C’est ainsi que fut inscrit dans le marbre de la loi la protection garantie par l’Etat français, au travers du droit au séjour, de tout étranger gravement malade ne pouvant "effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire".

"Effectivement bénéficier"... Insistons posément sur cette étrange formulation. La loi n’aime pas, d’ordinaire, qu’on lui rappelle la réalité de son application. La loi dit, et le réel se plie. C’est la grandeur de la loi. Mais le propre de la gauche non-gouvernementale (le propre de la gauche, devrait-on écrire), c’est de questionner la portée de la loi depuis la réalité concrète de sa mise en oeuvre. Voilà pourquoi ce texte de 1998 est fondamental pour toutes les gauches : la gauche gouvernementale accueillit dans la loi le souci de la réalité de l’accès au traitement dans les pays d’origine. Peu importe que la gauche non-gouvernementale y vît la conquête d’un droit nouveau (le "droit au séjour pour raisons médicales") et la gauche de gouvernement l’outil juridique visant à résoudre un problème technique (empêcher des situations d’étrangers ni expulsables, ni régularisables, la droite ayant elle-même créé en 1997 l’inexpulsabilité des malades les plus graves).

La droite ne s’y est pas trompée. Plus encore que le soin d’équarisseur qu’elle porte à racler, jusqu’au sang, les moindres faveurs des électeurs du Front national, c’est bien ce souci de la loi pour la vie réelle des gens qu’il lui faut abroger. Cela faisait quelques années que les préfectures rognaient la réalité de l’accès aux soins. Les textes préfectoraux (ces terribles textes préfectoraux...) établissaient de simples fiches-pays : lorsque quelque part un médecin est disponible, un dispensaire ouvert, une pharmacie achalandée, alors il y a accès au traitement dans le pays en question. Qu’il n’y ait qu’un seul médecin dans tout le pays, que le dispensaire soit inaccessible par les routes de campagne dans un pays rural, que la pharmacie soit achalandée une fois par an... peu importait aux préfectures. Le Conseil d’Etat, toutefois, a récemment (le 7 avril 2010) rappelé le texte de la loi et l’irrégularité conséquente des procédures en cours : "effectivement bénéficier".

Nulle surprise à lire aujourd’hui, sous la nomenclature CL381, cet amendement criminel : en lieu et place de "sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier", "sous réserve de l’inexistence". Qu’un seul médecin, qu’un seul dispensaire, qu’une seule pharmacie... et l’étranger malade ne bénéficiera plus d’une carte de séjour pour raison médicale. Il sera alors reconduit "chez lui" pour aller, sous l’oeil bienveillant de la loi, à la mort.