Nos ruines

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Cataclysmes de films hollywoodiens, images de catastrophes récentes, cités industrielles désertées : la ruine est un motif de notre époque, son décor, la forme dans laquelle elle se pense et se rêve. Loin de la colonne antique dont les romantiques ont pu faire leur modèle, la ruine contemporaine est le miroir d’un présent qui contemple, non sans frissons, son propre espace déserté, rendu à la vie des choses. Invitation à se promener parmi quelques ruines qui sont les nôtres, le texte qui suit dessine à son tour les contours de leur étrange présent, interrègne temporel entre un après de l’événement et une relance utopique de l’histoire.

1.

La ruine est un motif contemporain. Si jamais ce que notre époque emporte de rapport à l’histoire autorise quelque chose comme un Zeitgeist [1], la ruine est une de ses images. Plus exactement, la ville sinistrée, abandonnée ou détruite. De l’objet touristique aux jeux vidéo, en passant par le cinéma post-apocalyptique et toute une série de travaux photographiques, la ville détruite aimante nos images, comme une chair. Rocades explosées, immeubles à l’abandon, voitures renversées, effondrements de ces symboles de la modernité industrielle que sont le building et l’automobile, ces clichés sont une sorte de fond d’écran collectif devant lequel se jouent, comme indifféremment, nombre de nos fictions. Un appétit des ruines traverse ainsi l’image : d’Alien à World Invasion Los Angeles Battle, de Mad Max à 2012, mais aussi La Route, I Am a Legend, les jeux Metro 2033, Crysis II, Singularity ou Bionic Commando, les séries télévisées Walking dead, Flashforward, les travaux récents sur la fantastique ville fantôme qu’est devenue Detroit, la passion grandissante pour des îles japonaises abandonnées par l’industrie ou pour les abords de Tchernobyl… La ruine contemporaine est moins monument ou paysage qu’une sorte de contexte persistant. Des narrations qui a priori ne nécessitent aucune ruine en passent par là. Il est symptomatique que les grands blocs d’immeubles à l’abandon, dans une ruine discrète mais nette, soient le paysage du troisième et dernier degré du rêve d’Inception (Christopher Nolan, 2010), ce que l’époque donne à voir comme son reste le plus désemparé, son fond de représentation le plus dense. Il y a une volupté de la ruine, une obsession ou un amour. Si le paysage a pu être le fond naturel de l’image moderne, la ville détruite semble devenir progressivement le fond de l’image contemporaine, « postmoderne ».

Il serait en effet intéressant de qualifier ces ruines de postmodernes. Moins au nom d’une périodisation dont on aurait pris acte une fois pour toutes, que pour qualifier ce phénomène de la ruine actuelle, qui trouverait en cette appellation une détermination substantielle. L’intuition d’un nouveau cycle dans l’imagerie de la ruine, si typique de la modernité et de son rapport à l’antique, appelle une césure. Et ce d’autant plus que cette répétition de la ruine sous d’autres espèces énonce quelque chose du rapport à l’histoire. La ruine est une image curseur et elle indique un changement de climat. La qualifier de postmoderne enfin peut servir de relance théorique.

La première chose qui se joue là est la question de la catastrophe, que la ruine suppose ou qui la précède. Le blockbuster actuel déploie des trésors de délires climatiques pour s’offrir quelques plans improbables qui, mis bout à bout, couvrent moins de trois minutes sur l’ensemble d’un film, mais qui en constituent l’objet même. La catastrophe est goûteuse, elle est la réjouissance de ces films. On regarde 2012 (Roland Emmerich, 2009) pour voir Los Angeles engloutie dans une faille de la surface terrestre. Ou Cloverfield (Matt Reeves, 2008) pour revivre ce qui est devenu effectivement une expérience collective, les nuages de poussière et la panique sur les trottoirs. L’effondrement des buildings qui ne cesse d’être donné à voir répète en effet avec une gourmandise ambiguë les images constituées en traumatisme collectif du 11 septembre 2001. Comme si le genre post-apocalyptique avait trouvé dans cet événement historique une nouvelle relance libidinale, que l’épuisement de la menace nucléaire liée à la guerre froide avait tassée. Et assurément cette portée d’images de fiction que l’attentat a générée contribue à mondialiser quelque chose de l’événement. Le paradoxe ou la combinaison sont les suivants : s’il se joue des affects spécifiquement américains dans cette appétence pour l’effondrement, ce goût est relayé hors des États-Unis par un tissu culturel où se mêlent à la fois la catastrophe constituée en événement global et les scènes à foison des ravages climatiques et nucléaires récents. Comme si la catastrophe était une des scènes où se lissait, se coordonnait une culture globalisée, où le tropisme états-unien et sa réception produisaient à leur tour une sauce mainstream. Travail de la culture donc, qui pose l’effondrement comme notre dénominateur mondial commun.

La seconde dimension qui traverse ces images est celle du destin de la machine dans la représentation moderne. On a, à un siècle d’écart, de part et d’autre de l’histoire du cinéma et de la photographie, l’entrée du train dans la gare de La Ciotat en 1897 et les photographies de Shinichiro Kobayashi, Deathtopia publié en 1998, série de ruines industrielles de l’archipel japonais. Entre-temps c’est tout le déploiement des images de cette nouvelle civilisation du fer, et une même fascination afférente pour tout ce qui fait appareil. La machine a été le comble de la représentation moderniste, son point d’euphorie : des locomotives filmées à l’envi à la naissance du cinéma, du futurisme italien à Berlin, symphonie d’une grande ville (Walter Ruttmann, 1927) jusqu’aux complexes militaro-industriels chez James Bond, la machine est l’objet aimé de la modernité. Or la troisième révolution industrielle, et le nouveau stade de développement du capitalisme qui lui est associé, n’est plus l’âge de la vapeur ni de l’électrique, mais de formes technologiques bien moins ou autrement représentables. Circuits informatiques et électroniques signent non seulement un nouvel âge du capitalisme, mais également une nouvelle ère de l’image, de nouvelles formes de représentabilité. Avènement concomitant de la ruine industrielle, qui dit la fin de cette modernité, mais aussi la fin du modernisme esthétique. C’est un des sens extrapolés avec lequel entendre cette phrase des photographes de Detroit : « Ces magnifiques monuments en décomposition sont, tout autant que les pyramides d’Égypte, le Colisée de Rome, ou l’Acropolis d’Athènes, les vestiges d’un empire disparu. »

2.

Shinichiro Kobayashi a photographié des ruines industrielles à travers le Japon : « Superb book of photographies taken in disused factories and other waste lands in Japan » (« Splendide livre de photographies prises dans des usines en friche et d’autres terres à l’abandon du Japon »), dit un site de son album Deathtopia. Il s’agit principalement de l’intérieur d’usines désaffectées - fascination pour les éboulis de pierres, le travail de la rouille, les énormes machines et tuyaux, les cuves, établis, les sols couverts de gravats, cet équilibre de la destruction où l’intérieur des bâtiments est au bord d’être déjà un extérieur. Objet moderniste par excellence que cette variation sur le déchet monumental qui évoque Joseph Beuys ou Anselm Kiefer par moments, n’était le jeu de colorisation qu’a appliqué le photographe et qui, par cette pellicule de kitsch, fait basculer l’image du côté d’un artifice que d’aucuns rangeraient dans le postmodernisme. Aplats de couleurs de bonbons qui ressemblent aux procédés de Warhol et qui interdisent l’accès à l’âpreté des lieux pour en faire des vignettes apprêtées. Ces couleurs un peu alimentaires sont une façon de geler l’affect et peut-être ces images vacillent-elles entre la beauté tragique et moderniste des restes d’un progrès ambigu et le kitsch de bonbonnière des simulacres de la postmodernité. Les photos de Kobayashi témoignent de la désindustrialisation, de ce double fait que les révolutions industrielles, du moteur à vapeur, puis du moteur électrique, auront laissé des vestiges énormes et se seront succédé à une vitesse exceptionnelle, rarement connue dans l’histoire. Le caractère exponentiel du développement du capitalisme produit de la ruine, du fait du raccourcissement des cycles et de la nature des appareils productifs en jeu. La ruine industrielle du XXIe siècle partage avec la ruine antique du XIXe siècle une forme de fascination pour la grandeur passée, - à cette différence importante que son objet nous est en fait contemporain.

Detroit tout entière est une ruine postindustrielle. Yves Marchand et Romain Meffre ont photographié la ville dans les années 2000 [2]. Ils montrent l’appareil industriel et social de la société fordiste aujourd’hui dans un délabrement sans âge, infrastructures automobiles, maisons croulant sous leur propre poids, bibliothèques, salles de bal, hôtels et théâtres à l’abandon. « Pour beaucoup d’Américains, Detroit c’est Ground Zero », dit un des habitants. Berceau de l’automobile américaine pendant la première moitié du XXe siècle, modèle de la croissance industrielle sauvage faite de ségrégations raciales, sociales et de destructions naturelles, la ville a décliné avec la désindustrialisation, après les émeutes sanglantes de 1967, et encore récemment avec la crise des subprimes. Aujourd’hui Detroit est une juxtaposition de ghettos désertés aux densités rurales et à la mortalité infantile du Sri Lanka [3]. Au milieu des quartiers déserts et des maisons incendiées pour toucher les primes d’assurance, on entend les coqs et les sauterelles. La ruine vient de la catastrophe et tend vers la nature. Les bêtes sauvages repeuplent, dit-on, la zone de Tchernobyl, des loups orange à la fourrure radioactive. Des films racontent aussi cela : un ours et un lion rugissent dans le Baltimore post-apocalyptique de L’Armée des douze singes (Terry Gilliam, 1996). Et dans Les Fils de l’homme (Alfonso Cuaron, 2006), on voit une biche dans une école désaffectée, des poules et des moutons dans les couloirs des immeubles, comme une remontée du rural à travers les failles de zones urbaines en morceaux. Présence qui n’a pourtant rien d’un retour à un état antérieur, ces bêtes sont elles-mêmes tout à fait bizarres : lapins proliférants de l’île japonaise de Okunoshima, où était installée, contre les accords de Genève, une usine militaire de gaz toxiques, chats à la reproduction exponentielle de l’ancienne île minière d’Ikeshima, qui peuplent les abords des écoles en voie d’abandon et la décharge de frigidaires à ciel ouvert de l’île [4].

Tchernobyl fascine aussi, avec ce plus-de-jouir qu’on y risque sa vie. L’Ukraine reprend en main actuellement un « tourisme de la catastrophe » qui s’était déjà déployé clandestinement depuis longtemps. À voir ces ruines installées dans leur éternité sans humains, on se demande quelle place elles nous proposent — que faire de nos ruines ? - or de fait elles semblent d’ores et déjà toutes requalifiées en sites touristiques. Il y a ainsi un spectateur des ruines, bateaux de touristes, explorateurs urbains, adorateurs de ruines qui viennent prendre, en photo ou réellement, des objets abandonnés. L’urbex ou urban exploration en a d’ailleurs fait son monde de prédilection. La jeune Ukrainienne Elena Filatova parcourt en moto les 30 000 kilomètres carrés désertés de la zone de Tchernobyl et fait régulièrement des reportages qu’elle met en ligne. Rüdiger Lubricht a présenté en 2011 à Berlin une exposition de photos, Tschernobyl, Verlorene Orte, gebrochene Biografie [5] (Tchernobyl, lieux perdus, biographie brisée), qui comprenait deux parties, une sur les villages et villes abandonnés, l’autre sur les rescapés, malades. On y voit des salles de classes, des balcons, des places gagnées par les herbes — on évalue le temps de la dégradation —, et quelques paysannes isolées, qui entassent des choux dans leurs chambres à coucher pour l’hiver.

L’île de Hashima fait aussi l’objet d’une passion. Ville du sud du Japon, en face de l’île de Kyushu, relevant de la préfecture de Nagasaki, elle a été une mine de houille, de 1840, date de son achat par Mitsubishi, jusqu’au milieu du XXe siècle, où le remplacement du charbon par le pétrole a fait rapidement revenir l’endroit à son statut antérieur d’île inhabitée. De peuplement ouvrier, en partie coréen, elle était si dense que toute sa surface fut urbanisée, et qu’elle fut même agrandie, d’où son second nom, Gunkanjima, « navire de guerre », parce qu’elle ressemblerait au vaisseau de guerre Tosa. Elle atteignit le taux de densité le plus élevé du monde. D’un peu plus de six hectares, elle compta plus de 5000 habitants, et atteignit dans le quartier des habitations jusqu’à—9 000 habitants/km2 à la fin des années 1950. Devenue inutile, l’île a été abandonnée, avec une précision brutale. La houillère a été fermée le 15 janvier 1974, la ville a été évacuée et la liaison maritime avec l’île principale a été arrêtée le 20 avril 1974. L’île retourna à son silence d’avant l’exploitation houillère, chargée cette fois de tout ce qu’on y avait laissé. La revue japonaise Wonder Japan a consacré un reportage à cette île fascinante dont les typhons ont accéléré la dégradation et où les touristes peuvent aller officiellement depuis 2009 [6]. On y voit les immeubles, en brique ou en béton, les cours étroites aux escaliers effondrés, gagnés par la végétation, les allées serrées entre les blocs parsemées de poutres, du bois des balcons détruits, de gravats épais. Quelques plans sur des matelas éventrés, des cuisines comme interrompues au milieu d’une préparation. Il y a quelque chose du régime du trompe-l’œil dans ces ruines, on ne cesse de mesurer l’écart avec la vie d’avant, de faire l’aller-retour entre l’objet utilisé et l’objet suspendu. La suspension est une illusion et c’est là le paradoxe de ces ruines domestiques qui nous donnent le sentiment de la vie plus que ne le ferait peut-être une maison habitée. Et en effet ces ruines n’ont rien de morbide. L’Ange de l’histoire de Benjamin est arraché aux décombres où il voudrait secourir les blessés et ressusciter les morts, mais nos ruines sont définitivement désertes et le rapport auquel leur pauvreté et leur superbe nous condamnent est celui d’une extériorité définitive. Elles ne sont plus du même tissu temporel. Le rapport touristique est finalement ce à quoi nous acculent ces ruines qui sont à la fois séparées de nous et nos absolues contemporaines. Elles sont un trou dans le temps historique du présent, temps qui de fait n’a rien d’homogène.

Ces ruines de Hashima, de Detroit, de Pripjat — plus exactement, ce que nous allons prendre d’elles — ont ainsi trois caractéristiques, elles sont nos contemporaines, elles sont domestiques ou intérieures et elles sont catastrophiques, post-catastrophiques, « post-apo » dirait Hollywood. C’est ce qui les distingue de leurs deux parentes, la ruine antique, socle à la fois réel et fantasmé de toute la modernité européenne, et la ruine de guerre, contemporaine de la photographie, qui, depuis la Commune, témoigne de ce qui a eu lieu. Ce que Chateaubriand recherche pendant son voyage en Asie Mineure, en Grèce et en Égypte en 1806, ce sont des monuments qui le replongent dans ce que son érudition lui permet d’imaginer. C’est un appel au passé. Se rappelant Carthage, il écrit à la fin de son Itinéraire de Paris à Jérusalem : « Environné des plus grands et des plus touchants souvenirs, je pensais à Didon, à Sophonisbe, à la noble épouse d’Asdrubal ; je contemplais les vastes plaines où sont ensevelies les légions d’Annibal, de Scipion et de César […]. Enfin, les terribles Vandales, les légers Maures passaient tour à tour devant ma mémoire, qui m’offrait pour dernier tableau Saint Louis expirant sur les ruines de Carthage. Que le récit de la mort de ce prince termine cet Itinéraire. » La ruine antique moderne — si cette combinaison tient — est prise dans la dynamique de l’imitation dont Lacoue-Labarthe a montré qu’elle était le procès de la modernité, son travail même. L’usage des ruines antiques est une métonymie. « Au départ, et pour le dire de manière abrupte, il y a ceci : depuis l’effondrement de la chrétienté, un spectre a hanté l’Europe, le spectre de l’imitation. Ce qui signifie tout d’abord : l’imitation des Anciens. On sait quel rôle le modèle antique (Sparte, Athènes ou Rome) a joué dans la fondation des États-nations modernes, et dans la construction de leur culture. Du classicisme de l’âge de Louis XIV à la pose à l’antique de 89 ou au néo-classicisme de l’Empire se déploie tout un travail de structuration politique, où se réalisent à la fois une identification nationale et une organisation technique de gouvernement, d’administration, de hiérarchisation, de domination, etc. C’est en ce sens qu’il faudrait faire entrer l’imitation historique, comme Marx y a d’ailleurs songé, au nombre des concepts politiques [7]. » Nos ruines actuelles sont prises dans un tout autre procès. Là où la ruine moderne est antique, loin des villes, monumentale, nostalgique, la ruine postmoderne est le produit de notre propre civilisation, elle est la ville moderne elle-même, elle est promenade à l’intérieur des bâtiments. Les ruines de Detroit, de Tchernobyl ou du Japon ont ceci de particulier qu’elles s’attachent à l’intérieur, qu’il soit public ou privé. Le plus souvent ce sont des bâtiments publics, des boutiques, des usines. Les photos de Detroit sont une collection de salles de bal, de banques et d’hôtels. Une photographie du United Artist Theater est proprement fantastique : le théâtre s’écroule sur lui-même, le jour perce à travers les échancrures des murs et du plafond et les différentes couches de la construction affleurent, les décors de bois sculpté en morceaux laissent voir les murs de brique rouge par-dessous. On dirait que l’architecture est un paquet de tissus déchirés. La question n’est plus du tout de se sentir emporté par la monumentalité des empires passés et de travailler avec l’élan que cette identification aura suscité. Le rapport à la ruine n’est plus d’exaltation, et si notre ruine ne saurait être nostalgique, peut-être est-elle mélancolique. Dans tous les cas le rapport à la perte n’est pas le même. La ruine antique qualifie la perte, la ruine postmoderne la sature. Elle est l’objet plus quelque chose, et l’effondrement n’est pas vécu sur le mode du manque mais de l’excès. Ici la ruine fascine parce que la photo n’a pas d’âge. La ruine antique ne cesse d’être datée, de servir de métrage au présent de la modernité : la distance et la référence à l’antique sont éprouvées dans le contact avec les ruines syriennes que Max von Oppenheim, par exemple, photographie à la toute fin du XIXe siècle [8]. En revanche nos ruines actuelles n’ont pas d’âge, elles nous situent dans un futur indéterminé, comme infini. Quel savoir aurions-nous pour évaluer le moment où nous sommes par rapport à ces ruines, quelle mesure pour le travail du temps ? Leurs objets sont nos contemporains exacts, les enfants qui étaient assis dans ces salles de classe de Pripjat sont en vie, ils ont même mon âge, ces salles de concert ont été fréquentées par la génération de mes parents, pour autant je suis bien dans un après par rapport à elles, mais un après sans date. Les bâtiments de Hishima ont été rendus à la nature en 1974, mais à quelle date les regardé-je ? C’est ce vacillement (de l’assise) du présent qu’offre la ruine postmoderne, elle ouvre une zone temporelle incertaine, une période sans âge qui n’a pour seule détermination que de se savoir après. Après la catastrophe, certes, mais pas seulement, après l’histoire en réalité. Seule la catastrophe est datée, précisément même parfois, émeutes de Detroit, cessations des activités fordistes, explosion du réacteur 4, fin d’une liaison maritime, début de la catastrophe de Fukushima. Le départ de la catastrophe est arrimé, le régime de la ruine, qui serait finalement le régime de notre présent, ne l’est pas, il flotte dans cet après de l’accident que la ruine énonce. La ruine est une sorte d’entre-deux éternel, de limbes terrestres, qui seraient cette métaphore de l’époque, post-quelque chose mais dans l’incapacité à se déterminer historialement. D’où peut-être son caractère domestique. On peut dire que le tourisme de Tchernobyl procède du désir de « voir le monde après l’humanité » [9], à condition de qualifier ce tissu mou du présent que le regard sur la ruine constitue.

3.

Se dessinent alors les formes du temps qui constituent l’historicité contemporaine. Car si le temps est sécable en passé, présent et futur, selon une logique linéaire et mécanique, comme des dominos, l’histoire serait constituée des formes que chaque époque donne au temps. Ainsi les catégories de passé, présent et futur qui nous servent à découper notre expérience du temps, sont d’emblée prises dans des catégories plus déterminées, plus substantielles ou qualitatives. Catégories qui ne seraient pas des formes neutres et vides, ces catégories pures de passé, présent et futur, ce temps des horloges, mais les formes idéologico-temporelles qui sont les produits du rapport à l’histoire de notre époque, la façon dont la période à laquelle nous appartenons donne corps à ces termes et structure notre rapport au temps. Le temps est découpé en formes vides que nous redéployons après-coup, mais l’histoire est déjà structure. Le temps n’y est plus le temps, il est déjà forme de l’expérience. Aussi peut-on concevoir que les catégories de passé, présent et futur soient organisées, pensées par l’histoire d’une façon qui non seulement les colore ou les informe a priori, leur donne une valeur ou une disposition historiale, mais aussi les désoriente, les tuile, les décale, autant de torsions et de déterminations qui constitueraient en propre les régimes d’historicité. Ainsi les régimes d’historicité ne seraient-ils pas seulement la façon dont une époque se situe elle-même dans la représentation qu’elle se fait de l’histoire, mais elle serait cette combinaison, cette constellation de perceptions du temps comme structures a priori.

Mon hypothèse est que notre histoire est ordonnée au régime de la ruine, et plus largement à la triple structure de la catastrophe, de la ruine et de l’utopie. Ruines, catastrophes, utopie seraient les trois signifiants métonymiques des formes idéologico-temporelles de nos vies contemporaines. La ruine est la temporalité longue, celle qui connote moins le passé que ce qui ne passe pas, ce qui traverse et se prolonge, venant du passé dans un état d’éternité lente. La catastrophe est le régime du présent. Paul Virilio montre que la modernité a été organisée par l’attente, triple attente, de la révolution pendant le XVIIIe siècle, puis de la guerre au XXe siècle, enfin de la catastrophe au XXIe siècle. La catastrophe comme régime de fait est le paradigme qui préside aux « informations » télévisuelles. En quoi ce catastrophisme, qui est une forme de millénarisme, est-il différent des autres époques ? Le futur ne cesse de se signaler sous le régime de l’impossible, ce qui est le pendant du présent catastrophique, aussi ce serait sous le régime de l’utopie comme impossible que le futur se signalerait d’emblée. Utopie qui se donne aussi, dans le langage de la gauche et dans une volonté de valoriser la catégorie, comme le nom de code de la transformation sociale. Puisqu’il est évident que la « ruine » connote la chute du Mur de Berlin, l’effondrement du bloc soviétique, et toute la question de la relance d’une pensée historiquement socialiste.

La ruine postmoderne est celle où il n’y a personne, à la différence de la ruine de guerre du XXe siècle, qu’a accompagnée la naissance de la photographie, qui de la Commune à la Seconde Guerre mondiale, saisit la ruine dans un contexte qui la prolonge. On pose volontiers dans les mois qui suivent la Commune de Paris devant tel café, restaurant, bâtiment à la façade arrachée ou à moitié détruit. Il s’agit alors de témoigner de l’événement. Les photographes des ruines parisiennes de la Commune montrent la mort propagée par la guerre, et la ruine est montrée comme un dommage — c’est même le point de départ de cette couverture photographique alors exceptionnelle, commanditée par l’Empire : montrer l’ampleur coupable des destructions que le désordre politique a entraînées, quitte à forcer le trait [10]. Tradition de la ruine de guerre que perpétuent aujourd’hui les cartes postales du Reichstag bombardé, pris sous tous les angles en 1945, qui peuplent les présentoirs pour touristes à Berlin. La ruine postmoderne ne témoigne pas tant de la catastrophe que du temps qui s’est écoulé depuis, et qui, par définition, n’est pas évaluable. Seule la ruine a le savoir du travail du temps, il n’est pas mesurable, on ne peut que le constater dans l’après-coup. Les ruines actuelles de Meffre et Marchand ou de Kobayashi ne montrent nulle mort, au contraire, les objets sont en vie, dans une vie intense, non-végétative, mais il n’y a pas de mot pour désigner le règne des objets et la vie qui leur est attachée. On parle de règnes animal ou minéral, nos ruines inventent le règne des choses. C’est pourquoi il n’y a personne dans ces ruines, parce que la vie a tout entière basculé du côté des objets, et qu’il n’y a aucune nécessité de contrepoint ou d’effet de contraste. Tanizaki, dans L’Éloge de l’ombre : « Toujours est-il que dans la beauté raffinée où nous nous complaisons, il entre indéniablement des éléments sales, antihygiéniques. Les Orientaux (…) aiment sur les objets “le reflet de la macule des doigts”. » Ici, non : la ruine actuelle fait monde à part entière, dans une sorte de présent absolu. On n’a même plus besoin de parler de fantôme, dont les ruines de la Commune sont peuplées, et que les temps de pause des appareils donnent même à voir sous forme de silhouettes tremblées. Les ruines d’aujourd’hui sont animées, non de la vie d’avant dont elles résonneraient encore et dont on saisirait les traces avec nostalgie, mais de leur vie propre, d’une sauvagerie lente et autonome. Les cuves respirent, les couloirs déserts, les salles immenses de Detroit sont intensément en vie, et si le mouvement dont elles sont animées ne nous est pas perceptible, il ne fait pas de doute. Tout y est trace de mouvement, mais d’un mouvement d’après la présence humaine. On ne saurait dire souvent comment les objets en sont venus à certaines distributions dans l’espace.

4.

À Berlin, à l’endroit de l’ancien Checkpoint Charlie, outre les faux soldats, faux sacs de sable et poste de contrôle, un ancien drapeau rouge déchiré est exposé. Sous le titre Die Letzte Kremlfahne, The last Kremlin flag (Le dernier drapeau du Kremlin). Il y est ensuite écrit, en allemand, anglais, français et russe, les langues des quatre derniers occupants de la ville : « Promeneur — arrête-toi et médite : à cet endroit se terminait le ‘Monde Occidental’ et commençait le pouvoir du Kremlin de Moscou, d’ici à Vladiwostock. Et maintenant l’un des derniers drapeaux rouges du Kremlin est à voir dans ce musée. Il était suspendu à cet endroit d’octobre 1992 à mai 1994. Pour le protéger de toute dégradation, it (sic) fut remplacé par cette copie.  » Pourtant, le drapeau rouge au-dessus de la tête des visiteurs est bien usé et déchiré. Il me semble que ce dédoublement de l’objet, le vrai destiné à la conservation, le faux apprêté, destiné à la consommation, est propre au devenir des objets « consacrés par l’histoire », plus exactement que nous consacrons à l’histoire : la double ruine, protection d’un côté, simulacre de l’autre, ou le destin clivé de l’objet historique postmoderne. (Si ce n’est pas l’explication du « it », dont on imagine bien la raison du lapsus, ce trouble dans l’objet en pourrait être la vérité.) Pour bien sentir la bizarrerie de ce fait, qui a pourtant toutes les allures d’un bon sens de la conservation auquel nous sommes habitués, imaginons que Créon ait exposé un faux corps de Polynice, conservant le vrai dans un bocal de formol ou dans une mandorle cryogénisée, pour que l’événement de la victoire lui-même fût conservé. Sa victoire aurait été signifiée par l’exposition d’un postiche de Polynice, mais il aurait préservé, « pour l’histoire », « pour la mémoire de l’événement », le vrai, tant bien que mal. Exposer et dans le même temps conserver le drapeau rouge, c’est donc procéder à une double opération, affirmer la victoire du camp de l’Ouest — « arrête-toi et médite », le pouvoir qui a fait trembler le monde a été réduit à un objet de musée — mais c’est aussi dire qu’il y a plus important que cette scène de la guerre froide, il y a cette autre scène pour laquelle il faut préserver les objets. Et cette autre scène, finalement, ne connaît pas la mort.

On trouve un phénomène similaire dans le film 2012 : l’humanité est menacée par l’émission solaire de neutrinos qui détruisent le noyau de la terre et rendent les plaques tectoniques flottantes, provoquant la destruction d’une notion qui ne valait qu’à l’époque où la terre était encore à connaître et conquérir, l’œkoumène. Selon le schéma habituel du complot, seuls les puissants de la terre connaissent la fin imminente du monde et entreprennent de sauver, discrètement, la civilisation : hommes triés sur le volet, espèces animales et œuvres d’art. Une fausse Joconde est ainsi substituée à la vraie, enfermée pour plus de sureté dans un tunnel de protection en Suisse (d’où l’on déduira une théorie du tunnel, qui serait un peu l’envers de la théorie de la caverne, l’essence des choses étant cette fois au fond dudit tunnel). En fait l’opération est une duperie, puisqu’il s’agit de sauver quelques œuvres de la fin du monde sans inquiéter la valetaille qui n’aura pas sa place dans les arches de Noé et qui ignore qu’elle va mourir bientôt. Pour autant l’opération est donc d’autant plus vraisemblable qu’elle est un leurre : on met à la place de la vraie Joconde un faux tableau en tous points identiques, réservant l’authentique tableau au tunnel suisse, c’est-à-dire au grand Autre. Le concept psychanalytique peut servir à comprendre cette autre scène garante de la vérité de l’histoire et à laquelle on adresserait le cœur de l’événement. Quelle est la fonction de ce « tunnel suisse » pour lequel l’essence historique des objets est réservée, cette autre scène qui vaut mieux que la scène « positive » où se jouent les actes mais d’où les objets sont soustraits pour être posés ailleurs, adressés à quelqu’un d’autre, un autre qui le vaut bien, ou qui vaut mieux ?

En 1999 la constitution du « Grenier du siècle » à Nantes a eu des allures identiques. Les gens étaient invités à déposer un objet pour peupler un « grenier » qui ne serait redécouvert que cent ans plus tard, en 2100. Wikipédia explique : « À l’occasion du passage à l’an 2000, une expérience de capsule temporelle a été menée : du 1er octobre au 31 décembre 1999, toute personne qui le désirait pouvait déposer un objet personnel représentatif de son existence. Les 16 000 objets déposés ont été répertoriés, conditionnés chacun dans une boîte en fer blanc et installés dans un lieu créé à cet effet, une double paroi translucide conçue par l’artiste plasticien Patrick Raynaud dans un mur du grenier de l’usine LU. Ce témoignage aux générations suivantes sera révélé le 1er janvier 2100 (soit 100 ans après la fin de l’opération de collecte), à 17 heures précisément. » Le changement de siècle rendant plus sensible la perception du présent comme appartenant à l’histoire, cette idée sentimentale un peu ridicule avait été trouvée. Cet objet historique comme fétiche masquant quelque chose de l’histoire, est à l’envers de la façon dont Gérard Wajcman a posé précisément la même question, de « l’objet du siècle » [11]. Car il y a bien une valeur fétiche à l’objet historicisé, c’est ce qui se joue dans la brocante notamment, et dont l’interprétation postmoderne des ruines témoigne aussi, en ce que la ruine n’est pas l’objet amoindri mais l’objet dans un état de saturation, l’objet porté à une certaine intensité de lui-même. Une certaine modalité fétiche de la ruine se défend de l’histoire. « La ruine fait objet des restes d’un objet. L’objet ruiné, c’est l’objet plongé dans le temps, marchant avec les jours. (…) L’objet dévoré par le temps. La Passion de l’Objet. D’abord déglingué, et puis après, éventuellement grandi, orné par le temps (ce qui donne sa raison au goût des ruines). La ruine, c’est l’objet plus la mémoire de l’objet. (…) La ruine, c’est l’objet devenu trace commune, l’objet entré dans l’histoire [12]. » La ruine n’est en effet pas un moindre objet, elle n’est pas perçue aujourd’hui, ni appropriée, comme une perte mais comme un comble de l’objet.

L’ancien camp de concentration de Sachsenhausen, au nord de Berlin, comprend plusieurs corps de bâtiments, l’accueil, les anciennes infirmeries, la morgue, dite aussi « Pathologie », quelques baraques sur la quarantaine qui existait, la zone des exécutions et des fours crématoires — Sachsenhausen n’était pas un camp d’extermination à proprement parler mais utilisait la crémation — et d’autres bâtiments plus récents — le camp fut utilisé par la RDA en toute continuité comme lieu de détention. Sachsenhausen cumule aujourd’hui les fonctions de site historique, de musée et de mémorial. Les longs et étroits bâtiments de l’ancienne infirmerie, sur deux étages, qui accueillent aussi une grande partie du musée du camp, ont été protégés de l’usure liée aux visites : des dalles de verre surélevées couvrent les marches des escaliers, le sol des couloirs et certains murs, de sorte que nous sommes, visiteurs, séparés du sol du camp non seulement par le verre, assez épais, mais par l’espace vide, entre le ciment du sol et les plaques de verre. Nous sommes isolés, flottants, séparés du lieu. Après avoir parcouru les différents étages et pièces de l’infirmerie, visiter le petit bâtiment de la morgue qui se tient à proximité produit sur le visiteur un effet considérable. Cette fois, le sol n’a fait l’objet d’aucune mesure de protection, nous marchons à même le camp. Plus rien ne nous protège de ce qui soudain s’impose comme présence, contact avec le fantôme, contamination. On se dit que les dalles de verre protégeaient moins le lieu que ses visiteurs, d’une puissance de l’histoire qui fait effet, et qui est ici d’autant plus sensible qu’elle a lieu en contrecoup. Le dispositif des dalles de verre est un autre exemple de la double destination de l’objet historique, protégé pour les générations futures, ce qui revient à dire que l’histoire a acquis ce statut de scène seconde, dépositaire d’une vérité séparée, c’est-à-dire ici désamorcée. (Georges Didi-Huberman raconte que l’on cache les os qui remontent de la terre de Birkenau : « Dans la zone qui entoure les crématoires IV et V, à l’orée du bois de bouleaux, la terre elle-même fait constamment ressurgir les traces des massacres de masse. Le lessivage des pluies, en particulier, a fait remonter d’innombrables esquilles et fragments d’os à la surface du sol, en sorte que les responsables du site se sont vus obligés de mettre de la terre pour recouvrir cette surface qui reçoit encore la sollicitation du fond, qui vit encore du grand travail de la mort [13]. »)

« L’histoire, n’est-ce pas simplement ce temps où nous n’étions pas nés ? [14] » écrit Barthes. L’envers — ou la continuité — de cet usage du mot serait précisément la définition d’une force active, dans un sens benjaminien, ce serait ce qui ne cesse de se manifester au présent. Il y a une activité de l’histoire, une radioactivité. Aussi une réutilisation de la ruine relève-t-elle du déminage historique. L’histoire n’est pas quelque chose qu’il faudrait entretenir, cultiver (la mémoire, le devoir de), mais d’abord quelque chose qui fait l’objet de dispositifs de désamorçages, de neutralisations continues. Le devenir clivé de l’objet désigné comme historique est une de ces façons de sortir le noyau du fruit, d’isoler les charges, de composer un présent immunisé, dont on proclame ensuite la neutralité idéologique.

La visite à Sachsenhausen est éprouvante, c’est la moindre des choses. Les distances à pied, le froid éventuel de la saison, la culpabilité, l’émoustillement et la fascination, le sentiment du malheur, la saturation et l’écœurement, liés aux effets de redite des archives des différents bâtiments d’époques successives. Les fours crématoires ont été eux-mêmes brûlés par des skinheads quelques jours après une visite d’Izthak Rabin au camp en septembre 1992 [15]. Les restes explosés des fours ont été disposés comme des stèles. À l’extérieur du camp, devant l’entrée, se trouvent les anciens logements du personnel nazi. Clôturées, murées par des planches, les baraques font face au camp, dans un mutisme étrange, et une patine qui ne ressemble en rien aux autres éléments du camp. C’est encore un autre état d’histoire, peut-être avant que la ruine n’entame visiblement son travail. On aurait ainsi quatre rapports au camp, l’infirmerie, la morgue, le four, la baraque nazie, c’est-à-dire 1) le lieu immunisé — immunisant, le bâtiment soigné et savant, saturé du savoir objectif du camp, de ses archives, où informations et conservation font masse et barrage, sorte d’anti-ruine, 2) le lieu nu, presque sans accompagnement, qui en retour crée un vide à la fois vertigineux et important, 3) le four détruit mais requalifié en œuvre, l’endroit du camp où dans la matière même se battent toujours les éléments de l’histoire mais que cette idéologie du musée tente de lisser à chaque événement, de faire taire par la reterritorialisation en Autre scène, 4) la baraque nazie, opaque, presque en trop, pas encore « travaillée », comme un grumeau ou un point aveugle dans le rapport au camp. Quatre modalités de la ruine, quatre imaginaires de l’histoire. La morgue et la baraque nazie seraient les deux espaces les moins éloignés d’un principe-ruine, même si apparemment trop simples ou trop pauvres, si l’on devait définir ainsi une vérité politique, ou une justesse du rapport à l’histoire. Un rapport qui ne fait ainsi fi ni de l’énigme ni du peu.

Post-scriptum

Ce texte a été écrit dans le cadre d’une résidence hors-les-murs de l’Institut français, à Berlin, en 2011. Il est « la première pierre » d’un travail plus long.

Diane Scott est metteure en scène et critique.

Notes

[1« Il est difficile de discuter de façon générale de la « théorie du postmodernisme » sans avoir recours au thème de la surdité à l’histoire, condition exaspérante (si tant est que l’on en ait conscience) qui entraîne une série de tentatives de récupérations spasmodiques et intermittentes, néanmoins désespérées. La théorie du postmodernisme fait partie de ces tentatives : un effort pour prendre, sans instrument, la température de l’époque, et cela dans une situation où l’on n’est même pas sûr qu’existe encore quelque chose d’aussi cohérent qu’une « époque », un Zeitgeist, un « système » ou une « situation actuelle ». » F. Jameson, Le Postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif, Beaux arts de Paris, 2007, p.17.

[2Y. Marchand et R. Meffre, The Ruins of Detroit, Steidl, 2010.

[3A. Popelard et P. Vannier, « Detroit, la ville afro-américaine qui rétrécit », Le Monde diplomatique, janvier 2010.

[4Merci à Julien Morello pour sa communication sur les îles japonaises et les ruines dans le cadre du séminaire de Mary Picone (EHESS, mars 2012).

[5Willy-Brandt Haus Berlin, 14 avril — 29 mai 2011.

[6« Gunkan-Jima, la ville désertée sur la mer », in Wonder Japan 3, vol. 141, Sansai Mook, janvier 2007. Les dates données ici sont celles des légendes (elles diffèrent de celles de certains sites). Merci à M. Picone qui m’a montré cette revue, et à Yuri Harada pour ses traductions.

[7P. Lacoue-Labarthe & J.-L. Nancy, Le Mythe nazi, Éditions de l’Aube, 1998, p. 37-38.

[8« Von Kairo zum Tell Halaf, die Fotosammlung Max von Oppenheims », Berlin, Museum für Fotografie, 17 février — 15 mai 2011.

[9C. Bergé, « Tourisme de catastrophe : à Tchernobyl, la fascination du désastre », blog du Monde diplomatique, 24 avril 2011.

[10E. Fournier, « Les Photographies des ruines de Paris en 1871 ou les faux-semblants de l’image », Revue d’histoire du XIXe siècle, 32, 2006, ainsi que sur rh19.revues.org.

[11G. Wajcman, L’Objet du siècle, Verdier, 1998.

[12Op. cit., p.—.

[13G. Didi-Huberman, Écorces, Les Éditions de Minuit, 2011, p. 62.

[14R. Barthes, La Chambre claire, Cahiers du cinéma, Gallimard, Le Seuil, 1980, p. 100.

[15P. Reichel, L’Allemagne et sa mémoire, Éditions Odile Jacob, 1998, p. 126.