Vacarme 64 / Cahier

préhistoire 11

Le juste prix

Des femmes de Lyon, l’automne 1792, décident des prix et ainsi de la valeur du travail, du papier monnaie, de la vie. Décider de la valeur, c’est affirmer son pouvoir souverain. Ces femmes citoyennes de Lyon se présentent comme « partie » pour le tout, démos face aux « Aristocrates Monopoleurs », le peuple souverain de Lyon. Elles jonglent alors avec le féminin qu’elles déclarent — ce sont bien des citoyennes — et le masculin qui est bien encore le genre du souverain et du Peuple. Elles réalisent ainsi une circulation de ces valences-valeurs, féminin et masculin, dans la capacité à affirmer la puissance du souverain.

Cette puissance prend ici les habits de la critique libérale du libéralisme : il ne s’agit pas de s’approprier les biens d’autrui, mais de protéger l’équité de la propriété, des prix, et ainsi l’égalité devant la vie, un droit souverain à l’existence individuelle et commune. Le juste prix n’est pas alors une affaire de femmes nourricières, mais de droits inaliénables qui supposent que la liberté illimitée du commerce soit bornée par la puissance souveraine du peuple. Une démocratie où l’économie doit se mettre au service du projet politique, une démocratie où l’économie ne doit pas acculer à devoir user de moyens violents.

Puissance du féminin à tenter de maintenir dans l’impuissance un certain désir d’en découdre. Retenez-moi ou je fais un malheur. Retenez-les ou ils vont faire un malheur. Retenez-nous ou nous allons faire un malheur. La circulation du féminin et du masculin passe par ces femmes puissantes. [S.W]

Les citoyennes de Lyon, le peuple souverain de la ville de lyon, lassé depuis longtemps de la tyrannie des Aristocrates Monopoleurs, fatigué depuis quatre ans des pertes qu’éprouve surtout le Papier Monnaie, ce peuple n’ayant que ce Papier Monnaie pour se procurer tout ce dont il a besoin pour les choses de première nécessité et éprouvant de la part des monopoleurs les injustices les plus atroces, étant obligé de payer avec ce Papier Monnaie qu’il reçoit pour prix de son travail et de sa sueur, comme s’il recevait du numéraire, étant obligé de payer ce qu’il achète presque une fois plus cher qu’auparavant, a arrêté pour mettre fin à l’oppression des Monopoleurs, pour déjouer tous les Traîtres qui ont si bien opéré le discrédit du Papier Monnaie, tous ces Traîtres de la Liste Civile qui sont encore dans l’enceinte de cette Ville, pour pouvoir en un mot se procurer sa subsistance sans être dans le cas d’employer de ces moyens violents que nécessitent les calamités publiques rendues à leur période,

A arrêté qu’il ne payerait les marchandises servant à ses besoins journaliers qu’aux prix suivants [1]

  • Fromage de Geix bleu 10 sous pour le premier, 8 pour les suivants
  • Vermicelle 12 sous
  • Fromage de chèvre 3 sous
  • Fromage de vache 2 sous
  • Fromage blanc 1 sou
  • Betterave 1 sou
  • Pommes de terre rouge 5 sous
  • Dites blanches 15 sous
  • Raisin 1 sou
  • Pêches fines 8 sous
  • Dites communes 4 sous
  • Les belles poires beurrées et bons chrétiens 8 sous
  • Poires et pommes communes4 sous
  • Belles pommes reinettes 6 sous
  • Gros marrons 3 sous
  • Châtaignes 2 sous
  • Noix 2 sous
  • Poivrons 2 sous
  • Sucre fin 1 sou
  • Dit commun 1 sou
  • Cassonade 16 sous
  • Café moka 10 sous
  • Dit commun 4 sous 6 deniers
  • Balai de jonc double 1 sou
  • Dix balais simples 12 sous
  • Jambon en petit salé 16 sous
  • Lard et graisse blanche 12 sous
  • Graisse à la daube 10 sous

Citoyens des Campagnes, cette convention ne doit pas vous alarmer. Le Patriotisme qui nous anime ne peut que vous engager à vous prêter de toutes vos forces à l’avantage du Peuple, avantage qui n’est qu’une juste proportion entre ce qu’il gagne et dépense journellement. Tous ceux qui se conformeront à la volonté de ce Peuple qui n’est fondée que sur les bases de la Justice, de l’Équité et de l’Égalité, mériteront bien de leurs Concitoyens et trouveront dans eux de fidèles gardiens de leur propriété, et ceux au contraire qui ne voudront pas entendre cette même voix, ou qui oseraient s’y opposer en quelque manière que ce soit, seront voués au mépris public, regardés comme Traîtres à la Patrie, Fauteurs et Adhérents de la liste civile et poursuivis comme tels.

Tous les Négociants et Marchands de quoi que ce soit, sont invités de se conformer au voeu du présent arrêté, en ne vendant leurs marchandises qu’au même prix qu’elles se payaient ci-devant en argent, l’argent d’aujourd’hui n’étant qu’un papier monnaie qui doit avoir la même valeur.

Le présent arrêté est fait provisoirement, le Peuple se réservant le droit de statuer suivant les récoltes.

Notes

[1Nous ne donnons ici qu’un large extrait de la liste de marchandises.