Comment, dans un espace où les mémoires et les représentations se juxtaposent de manière surdéterminée, où s’entremêlent filiations et attaches, où la diversité des trajectoires et l’étanchéité des analyses sur la violence alimentent les retranchements, des individus de tous bords peuvent-ils se conjoindre et se réunir, afin que les biens soient aussi publics et partagés que les bancs de chaque village ?

Il y a la Corse, un lieu commun aux yeux de tous, ceux du dehors et ceux du dedans, et pour qui 2013 sera la dernière étape avant d’importantes échéances. Après les élections municipales en 2014 en effet, ce seront les territoriales l’année suivante. Il reste donc (un) peu de temps pour définir les devenirs nécessaires d’une île qui a réussi à préserver comme peu d’endroits en Méditerranée son milieu tout en connaissant des mutations radicales — urbanisation, vieillissement de la population, installations nombreuses d’« héliotropes », tourisme de masse… Or après des décennies de projets d’aménagement pensés par l’État, l’île, devenue collectivité territoriale dès 1982, aux compétences élargies depuis 2002, travaille à gouverner son insularité, à décider de quoi la Corse peut être la figure. À décider du Y de son « il y a ».

De ce point de vue, la mise au point du Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse constitue pour 2013 l’enjeu décisif auquel s’arriment les débats sur l’évolution du statut institutionnel de la Corse. Et l’on voit resurgir pour l’occasion le pas de deux sans grâce de la conservation et de la modernisation, entre fantasmes et obsessions, quand il ne devrait s’agir que de chercher ce qui peut faire société, de ménager les possibilités d’une île. Si le développement durable est devenu le nouveau cliché le mieux partagé, c’est en congédiant ce que l’écologie a de politique, ce qu’elle reconfigure en matière de souveraineté et d’engagements, d’être et d’agir. En choisissant la Corse comme laboratoire et en traquant obstinément l’ombre portée des clichés, les pages qui suivent veulent rappeler ce principe minimal : il ne peut y avoir abondance pour tous que s’il n’y a pas trop pour quelques-uns. Il s’est agi ainsi de se demander de quel commun la Corse peut être le lieu, tout en comptant ferme sur la prophétie rousseauiste : « un jour, cette île étonnera l’Europe ». Car, comme partout, il en va comme nulle part ailleurs.

Post-scriptum

Dans son édition papier, le texte ci-dessus est introduit par une bande dessinée d’Anaïs Vaugelade. Pour des raisons de mise en page, celle-ci n’est pas accessible en ligne.