Vacarme 66 / Joan W. Scott

Comment peut-on être américaine ?

Depuis plus de 30 ans, Joan Scott est un peu notre nouvel Usbek auscultant avec un juste regard éloigné l’histoire et l’actualité des luttes politiques françaises, des mouvements ouvriers du XIXe siècle aux récents débats sur le voile ou l’affaire DSK, en passant par les combats féministes. Ses ouvrages comme ses diverses interventions sont toujours troublants, nous obligeant sans cesse à repenser nos catégories et à déplacer notre regard sur la France et sur l’Amérique, sur les hommes et les femmes, sur la lutte de classes et la lutte des races. Elle est historienne et ne cesse de nous parler de notre présent. On attend un regard étranger, proprement américain ? Il est nourri, au moins à partir des années 1980, par la French theory. Féministe, on attend d’elle une critique à la serpe de la psychanalyse et de la différence des sexes ? Elle s’en inspire pour remettre en cause, jusque dans son propre camp, toutes les réponses trop simplistes. On la voit comme celle qui a introduit en histoire la « théorie du genre » ? Elle nous dit qu’une telle théorie n’existe pas sinon dans la rhétorique du Vatican. Au XVIIIe siècle, on l’aurait nommée un « esprit libre », sauf qu’aujourd’hui de tels esprits ont un corps, un genre, une nationalité et une histoire compliquée. On dira donc plutôt une amie, quelqu’un qui effectivement vous trouble avec bienveillance et remet la pensée en mouvement au lieu de vous confirmer dans vos certitudes.