Vacarme 17 / Arsenal

Travail-écran (sur « L’emploi du temps » de Laurent Cantet)

par

On retrouve dans le dernier film de Laurent Cantet, l’Emploi du temps, un certain nombre des éléments du précédent, Ressources humaines  : un titre à entendre au pied de la lettre, un mélange de comédiens professionnels (Aurélien Recoing, Karine Viard) et non-professionnels (notamment Serge Livrozet, fondateur, au début des années 70, du Comité d’Action des Prisonniers), une exploration des rapports au travail et à la famille, un cinéma à la fois sobre et romantique qui n’a pas peur d’être «  politique et social  », puisqu’il sait la puissance de fiction du réel, fût-il – surtout quand il est – politique et social. Plusieurs choses ont bougé, néanmoins, entre les deux films. Pour la première fois, de la musique. Une organisation du travail inédite, où le monteur, Robin Campillo, est également co-scénariste. Et un scénario qui est comme l’autre versant de Ressources Humaines : ici, non plus l’origine ouvrière, mais une misère de cadre ; non plus l’enchaînement à l’atelier, mais une errance hors l’emploi – entre deux emplois, Vincent, le personnage principal, cherche à faire durer la fiction d’une activité, avec toute l’activité que requiert la fiction. Critique radicale du salariat  : loin d’être l’envers de la vérité pure du labeur, les mensonges de Vincent à sa famille trahissent au contraire ce qu’il y a de mensonger dans toute forme de travail captif. Mais ce film nous saisit d’une manière plus trouble, et plus troublante, en ce qu’il déploie jusqu’à la nausée les aménagements techniques et affectifs d’une fuite. Non seulement « comment fuir ? », donc, mais « comment aimer quand on fuit ? ».

« Lion de l’année » à la Mostra de Venise. Sortie le 14 11 2001.

Post-scriptum

Nous apprenons que Lionel Jospin a adressé ses félicitations à Laurent Cantet, dont le film illustre « la vitalité et le renouveau du cinéma français à travers l’examen de thèmes importants  : l’identité et le lien social. » Visiblement convaincu par la fiction là où la revendication, trop réelle sans doute, d’une augmentation massive des minimas sociaux n’avait pas su se faire entendre, le Premier ministre semble avoir renoncé à un certain nombre d’inepties (société du travail, plein emploi, prime à l’emploi, etc.), et nous nous en réjouissons. À moins bien sûr, mais l’hypothèse est trop triste pour être retenue, qu’il n’ait pas vu le film.