Vacarme 27 / Cahier

décontraction sociale, aide-mémoire

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Plus de 600 000 personnes exclues du régime d’assurance-chômage, au moins 25 % des artistes et techniciens du spectacle éjectés de l’intermittence, les sans-papiers laissés sans soins aux portes des hôpitaux, les droits des salariés affaiblis : la droite, soutenue par le patronat et dans certains cas par la CFDT, estime avoir les mains libres pour mener à bien son projet de déconstruction sociale.

La rentrée sociale n’a pas eu lieu. Le gouvernement Raffarin est convaincu que ni les organisations syndicales ni la gauche n’ont les moyens de s’opposer à sa politique de rigueur sociale. Au nom des restrictions budgétaires, de la « nécessaire » simplification du Code du travail et d’une « politique active de retour à l’emploi », il s’attaque au droit du travail et au système de protection sociale déjà ébranlé par les évolutions structurelles du marché du travail (précarisation des emplois). Point par point, détail d’un effritement méthodique.

chômeurs en trop

Entre 2004 et 2005, plus de 600 000 personnes indemnisées par le régime d’assurance- chômage (Unedic) vont perdre, plus tôt que prévu, leurs allocations, conséquence d’une refonte du régime orchestrée par les partenaires sociaux (à l’exception de la CGT et de FO). Pour les éjectés du système qui ne retrouvent pas d’emploi, trois cas se présentent : 1/ basculer vers le régime de solidarité géré par l’État (ASS), auquel le gouvernement, pour ne pas subir le désengagement de l’Unedic, vient de donner un fort coup de vis, 2/ être transférés dans le revenu minimum d’insertion (RMI), dont le financement vient d’être décentralisé aux conseils généraux, 3/ se retrouver sans rien.

Retour sur un coup à trois bandes :
UNEDIC. En janvier dernier, 250 000 chômeurs indemnisés par l’Unedic ont perdu leurs allocations. Ils seront plus de 600 000 fin 2005 à avoir été radiés prématurément du régime d’assurance-chômage. Cette éviction massive fait suite à l’entrée en vigueur d’un accord signé le 20 décembre 2002 par le patronat (Medef, CGPME, UPA), la CFDT, la CGC et la CFTC, qui co-gèrent avec la CGT et FO l’Unedic. Cet accord, obtenu par le Medef en plein ralentissement économique (montée du chômage = moins de cotisations et plus d’indemnités = déficit), vise à réduire le « trou » du régime qui a atteint près de 4,3 milliards d’euros en 2003. Il cherche aussi à accroître la pression sur les chômeurs pour qu’ils retrouvent un emploi, quel qu’il soit, avec en filigrane l’idée qu’il y a les « bons » et les « mauvais », ceux qui se démènent et les fainéants, dans la logique développée conjointement par le patronat et la CFDT du « retour rapide à l’emploi ». Conséquence : l’accord a durci les conditions d’accès au régime et a réduit la durée d’indemnisation sans remettre en cause la non-dégressivité. Par exemple, pour les chômeurs de moins de 50 ans ayant cotisé 14 mois dans les 24 derniers mois, la durée maximale d’indemnisation est passée de 30 à 23 mois. Pour les chômeurs de 50 à 55 ans, elle a été réduite de 45 à 36 mois. Les salariés les plus précaires, qui n’ont travaillé que 4 mois dans les 18 derniers mois, n’ont plus aucun droit. Dans sa note de conjoncture de décembre 2003, l’Insee estimait que le nombre d’allocataires allait chuter de 13 % dès janvier et que la proportion de chômeurs indemnisés par l’Unedic passerait de 53 % à 45 %.

ASS. Une partie de ces exclus – environ un tiers selon le ministère des Affaires sociales, beaucoup moins selon l’association de défense des chômeurs AC ! – ont ou vont donc être transférés vers l’allocation de solidarité spécifique (ASS). Mais le gouvernement, soucieux lui aussi de faire des économies, n’a pas souhaité que cet excédent de chômeurs grève le budget de l’État. Et a décidé de réduire à deux ans le versement de cette allocation, qui était jusqu’à présent attribuée sans condition de durée. Cette « réforme », comme celle de l’Unedic, est entrée en vigueur le 1erjanvier 2004. Les personnes qui touchaient cette allocation avant cette date (400 000 personnes environ) en bénéficieront un peu plus longtemps, la mesure ne s’appliquant à eux qu’au 1erjuillet 2004. L’économie réalisée est estimée par le ministère des Affaires sociales à environ 150 millions d’euros en 2004 et à un demi-milliard en 2005. D’un montant maximum de 412,80 euros mensuel, l’ASS est un minimum social – et non un droit attaché à la personne – qui s’attribue en fonction des ressources (qui doivent être inférieures à 963,20 euros par mois pour une personne seule et à 1513,60 euros pour un couple). À ce titre, nombre d’allocataires éjectés de l’Unedic n’y ont ou n’y auront pas droit parce que leurs revenus dépassent le plafond. D’autres ne pourront pas non plus en bénéficier, car pour la percevoir il faut aussi pouvoir se prévaloir de cinq années de travail au cours des dix années précédentes.

RMA. Exclues soit du régime d’assurance-chômage soit de l’ASS (soit des deux), plusieurs dizaines de milliers de personnes vont se retrouver au RMI, lui aussi remodelé pour l’occasion : le gouvernement vient de transférer son financement aux conseils généraux (pour en rapprocher la gestion du terrain mais surtout pour réduire les dépenses de l’État). Il est à prévoir que les nouveaux gestionnaires renforcent les contrôles et que des inégalités de traitement apparaissent d’un département à l’autre. Le ministère des Affaires sociales estime qu’un tiers des exclus de l’Unedic se retrouveront au RMI ; AC ! est, là encore, moins optimiste. Par ailleurs, toujours dans la logique de « retour rapide à l’emploi », le gouvernement vient d’assortir le RMI d’un revenu minimum d’activité (RMA). Ce nouveau contrat de travail, rémunéré au taux horaire du Smic, est ouvert aux personnes touchant le RMI depuis au moins 18 mois. Pour inciter les employeurs à le signer, le gouvernement propose de leur verser une subvention égale au montant du RMI moins le forfait logement et de les exonérer des cotisations maladie et d’une partie des cotisations retraite et chômage. Les cotisations versées étant si faibles, il est probable que le salarié n’a pas droit aux allocations chômage de l’Unedic et se trouve enfermé dans le dispositif.

Sans-Rien. De nombreuses personnes – un tiers des éjectés de l’Unedic selon le ministère, au moins deux fois plus selon AC ! – n’auront donc droit à aucune aide. Comme l’ASS, le RMI est versé à certaines conditions, les revenus du foyer ne devant pas être supérieurs à 411,70 euros par mois pour une personne seule (c’est-à-dire le montant du RMI) ou 617,55 euros pour un couple sans enfant, ce qui exclut de facto les personnes dont le conjoint touche un salaire plus élevé. Les jeunes de moins de 25 ans, qui n’ont pas droit au RMI sauf s’ils sont parents, et rarement à l’ASS, parce qu’ils n’ont pas travaillé assez longtemps, se retrouvent sans rien.

intermittents marginalisés

La refonte des annexes 8 et 10 du régime d’assurance-chômage s’appliquant aux intermittents du spectacle suit exactement la même logique que celle de l’ensemble du régime. Elle est le résultat d’un accord signé une première fois le 27 juin 2003 par le patronat, la CFDT, la CGC et la CFTC puis une seconde fois le 13 novembre 2003 par les mêmes. Elle durcit les conditions d’accès à l’indemnisation et réduit la durée des allocations sans s’attaquer aux abus reconnus par la profession. Près de 25 % des personnes jusque-là indemnisées pourraient être exclues du régime selon l’Unedic, 35 % selon la CGT.

sans-papiers sans soins

De nouvelles barrières viennent d’être érigées par le gouvernement autour de l’aide médicale d’État (AME) pour rendre son accès plus difficile, voire impossible. Cette aide, qui permettait jusqu’à présent aux personnes en situation irrégulière et sans ressources d’être soignées gratuitement, a été victime des restrictions budgétaires et des soupçons que la droite fait peser sur une population qui la gêne. La loi de finances rectificative pour 2003 a instauré un délai de résidence en France de trois mois (qui n’existait pas auparavant), ce qui signifie que pendant les trois premiers mois les sans-papiers ne bénéficient plus d’aucune protection maladie ; pour se faire soigner, ils doivent ensuite produire des justificatifs de leur identité, de leur domicile et de leurs ressources, ce qui relève de la perversité administrative vu leur situation ; enfin, en cas de soins urgents, la possibilité d’être admis immédiatement a été supprimée. Selon la commission des finances du Sénat, les crédits affectés par l’État à l’AME se sont depuis sa rénovation en 1999 fortement accrus : environ 61 millions d’euros en 2001, 506 en 2002 et 442 en 2003. Cette hausse n’est pas étonnante puisque le projet du gouvernement précédent était justement de faciliter l’accès aux soins à des personnes qui, traditionnellement, hésitent à consulter des médecins et se présentent en catastrophe aux urgences des hôpitaux. Le gouvernement actuel préfère voir dans les bénéficiaires de l’AME des fraudeurs potentiels et nourrit le fantasme du « tourisme médical », en référence aux rares étrangers venus en France pour être soignés gratuitement (souvent pour des maladies comme le sida, le cancer ou les cardiopathies qui sont mal ou pas du tout traitées dans leurs pays) .

droit du travail écorné

Le Code du travail vise à protéger le salarié de la relation de dépendance qui le lie à l’employeur à travers le contrat de travail. Sous couvert de simplification du droit du travail, le gouvernement s’apprête à fragiliser un peu plus le salarié. Dans le sillage des conclusions du rapport que lui a remis Michel de Virville, secrétaire général et DRH de Renault, le ministre des Affaires sociales vient d’évoquer la création d’un contrat de mission, à mi-chemin entre le contrat à durée indéterminée (CDI) et le contrat à durée déterminé (CDD). François Fillon propose de limiter cette mesure aux cadres et aux personnels qualifiés, mais le patronat entend bien la faire étendre à l’ensemble des salariés. La logique est celle d’une fragmentation des emplois déjà à l’œuvre avec le développement des CDD, du temps partiel, de l’intérim et des contrats de chantiers (qui sévissent, entre autres, dans le bâtiment).

Dans la loi sur le dialogue social, définitivement adoptée par le Sénat le 11 février 2004, le gouvernement ouvre une autre brèche : il donne une place plus importante aux accords d’entreprise, qui pourront déroger aux accords de branche (par secteurs professionnels), c’est-à-dire être moins favorables aux salariés. Le gouvernement s’attaque ainsi au principe de faveur sur lequel repose le statut salarial depuis 1945 : selon cette règle, tout accord d’entreprise devait être au moins aussi favorable aux salariés que l’accord de branche, qui lui-même ne pouvait pas être moins avantageux que l’accord national interprofessionnel. Les acquis sociaux se diffusaient ainsi d’un niveau à l’autre, du haut de la pyramide jusqu’aux entreprises. Celles-ci pourront désormais agir plus librement, au risque d’un nivellement par le bas pour les salariés.