Vacarme 22 / Chroniques

Le phasme / du temps ou du bonnet

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Les phasmes sont des insectes exotiques, certains vivent ici, dans la haie. On dirait de simples petites brindilles de bois clair, immobiles. Je ne sais plus combien de temps dure leur vie, mais je sais que pour grandir ils risquent de mourir. Comme d’autres insectes, ils muent. Leur squelette les contient – Chaque semaine, nous avions la permission de regarder Belle et Sébastien. Vous souvenez-vous de la chanson ? Dans le texte il manquait des passages – Au moment de la mue l’enveloppe du phasme s’ouvre ; il s’accroche à une branche par les pelotes adhésives qu’il a aux pieds ; il s’accroche la tête en bas et se fend comme une cosse. En jaillit sa pulpe vivante qui se gonfle d’air. Il grandit d’une fois et demie sa taille, d’un seul coup. Puis il durcit lentement et reprend ses déplacements – Oui bien sûr parmi nous quelque chose avait éclaté et s’était mis à durcir sans que les adultes le voient, ou bien était-ce en nous ? Chacun a sa petite voie banale, avec des plantes banales qui poussent au bord. Depuis le début, j’aimais t’accompagner. Chacun a sa petite voie banale qu’il arpente en prenant son pas pour le pas d’un seigneur. Elle a disparu en mai. Du puits ouvert dans la beauté du monde [1] remontaient les hurlements d’un chien – Savez-vous ce qui compte ? Que ce soit dedans ou dehors, l’obscurité vous mange – Le jour, les phasmes sont introuvables, mais la nuit ils quittent les épaisseurs et remontent à la surface des plantes pour se nourrir, comme de minuscules fantômes – La route était coupée, et les hommes repartis. Tu es resté en plan du côté des vivants. Avec une drôle de grammaire – dans la chanson de Belle tu avais changé un vers, du temps ou du bonnet/il y manquait un pied, la phrase était boiteuse. C’était ton invention – Le phasme pris au piège se sépare d’une ou plusieurs pattes qui se régénèrent, comme la queue des lézards, mais restent plus petites ; ça s’appelle l’autotomie – On te le répétait sans fin : le couplet ne voulait plus rien dire. « Du bonnet » ça n’avait aucun sens. Tu nous jetais des yeux sombres. C’est quoi le rapport ? – Nous allions récolter les escargots pour enlever leur opercule. Puis les déposer sur les mousses en attendant qu’ils dressent leurs yeux pour toucher la salade. C’est toi qui attendais le plus longtemps – Toutes les nuits m’as tu dit bien plus tard, toutes les nuits après sa mort tu te mettais la tête en bas pour que le sang afflue et que la vie te quitte comme une mue. Toutes les nuits, au bord des Champs en pleurs, sans fleuve à traverser, sans rameau d’or pour renaître – Dans la haie de troènes les phasmes dansaient à l’heure de leur pendule.

Foutez-vous-en du sens.

Le bonnet c’est vous qui l’avez enfoncé sur les yeux !

Notes

[1Cf le film d’Antoine Comon, La Beauté du monde