Espoirs et inquiétudes

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Après l’expropriation et la prise de possession officielle par l’Etat, son représentant, l’INCRA, est chargé du contrôle de l’assentamento. Les bénéficiaires d’une parcelle doivent faire l’apprentissage des contraintes d’un nouvel univers. L’INCRA impose la création d’une association des bénéficiaires dirigée par un bureau, forme juridique nouvelle. Il faut apprendre les règles de la discussion collective, et le vote des décisions. La plupart des démarches sont bureaucratisées, notamment pour obtenir des crédits : il faut remplir des dossiers, alors que beaucoup maîtrisent mal l’écrit. Pour y remédier, des cours d’alphabétisation sont mis en place.

Au lieu de l’interlocuteur unique qu’était le patron, ou son administrateur, les parceleirosdoivent désormais faire face à des interlocuteurs nouveaux, techniciens agricoles, employés d’organismes et de programmes d’aide aux sigles énigmatiques, représentants d’ONG, dont les règles et les procédures bureaucratiques sont difficilement compréhensibles. Ce nouvel univers, confus, favorise l’émergence de médiateurs (notamment les présidents d’association), souvent plus scolarisés que les anciens leaders syndicaux, et capables d’agir comme traducteursentre mondes séparés, ce qui leur donne de nouvelles ressources dans un jeu de pouvoir modifié. Pour la plupart des parceleiros, la forme collective imposée par l’INCRA ou le MST est une contrainte insupportable, parce qu’elle limite l’autonomie qu’ils pensaient avoir conquise. Certains expriment leur désarroi en disant : « nous sommes ici des employés du gouvernement », indiquant ainsi qu’à leurs yeux l’Etat (avec qui les mouvements qui ont organisé l’occupation sont paradoxalement souvent identifiés dans l’esprit des non-militants) a pris la place du patron.

Les transformations économiques et sociales laissent leur marque sur les paysages. Dans nombre d’anciennes plantations, la canne a cédé la place à de nouvelles cultures. Pour beaucoup de travailleurs agricoles, qui rêvaient d’avoir leur petit lopin, l’accèsà une parcelle signifie la possibilité de planter des arbres fruitiers ou des cultures vivrières (manioc, haricot, igname), pour nourrir la famille et vendre ; ils espèrent aussi élever un peu de bétail, ou un cheval pour porter leurs produits au marché.

S’ils reçoivent volontiers l’argent que la banque leur avance dans le cadre de crédits pour la réalisation de ces projets, ce qui représente une somme d’argent qu’ils n’ont jamais eue entre leur mains, et leur donne accès à des biens de consommation jusque là inaccessibles, ils sont inquiets devant la perspective de s’endetter (« la banque ne pardonne pas »).

Les marchés de la région ont connu dans les dernières années une forte croissance, en raison des produits des assentamentos. Cependant, faute d’organisation de la commercialisation, une trop forte production aboutit à la chute des cours : en 2000, la récolte de manioc (macaxeira), stimulée par les projets agricoles, a été telle que son prix est tombé à 0,1 euro le kilo sur les marchés de la région. Les parceleiros ont préféré laisser pourrir sur pied ce qu’ils ne consommaient pas directement. Depuis, un certain nombre ont replanté de la canne, les cours du sucre étant actuellement très élevés.

Tous ne vivent pas de la même façon le processus de distribution des terres, et l’incertitude qui l’accompagne : la signification que la transformation des règles du jeu prend pour eux dépend notamment de leur trajectoire antérieure. Ceux qui avaient un contrat de travail, même s’ils se réjouissent d’être désormais autonomes, regrettent la disparition d’un salaire régulier. S’ils bénéficiaient d’un patron bienveillant, assurant une forme de protection sociale, ils sont souvent inquiets d’être livrés à eux-mêmes, sans avoir quelqu’un vers qui se tourner en cas de problème d’argent ou de santé.

D’autres, qui n’avaient pas accès à un lopin, se réjouissent de pouvoir « travailler pour eux-mêmes », et disent leur espoir dans l’avenir, pour eux et leurs enfants.