7 jours bruitistes aux Buttes Chaumont

Premier jour au sommet du belvédère des Buttes-Chaumont : lundi

par

Un souffle continu couvre toute la bande. Une note grave qui ne varie presque pas. Le son semble passer lentement. Je me demande d’où vient cette impression de lenteur à l’intérieur d’un son qui semble égal près d’une heure durant. Quelque chose de l’ordre d’un tempo doit se faire sentir par-dessous les fréquences enregistrées pêle-mêle sur la bande, comme une pulsation indistincte, inaudible mais sensible, qui émergerait de sous le bruit. Par brefs instants, comme des îlots dans le courant sonore, la texture varie, devient comme un glouglou volatile, une matière grenue mal définie – mais le souffle réabsorbe tout ça bien vite. Par moment, quelque chose de lointain vrombit sourdement ; il y avait de l’orage ce soir-là. J’ai l’impression d’observer une photographie de Paris enduite de peinture blanche ; je ne distingue rien dans l’espace sonore capturé sur la bande, sinon la sensation très nette d’une durée pure, presque égale en chacun de ses moments. À l’issue de cette première heure d’écoute, je conçois l’espoir que les six autres ne soient pas du même acabit : je ne parviens pas à y discerner différentes entités sonores, différentes strates, je n’arrive pas à opérer des distinctions. C’est une matière insécable qui ne me donne rien à comprendre.

J’ai alors une intuition très nette. Pour trouver un usage possible de l’espace sonore, autrement dit pour habiter l’espace, je dois y creuser un régime d’intelligibilité. De façon très concrète, cela passe par des manières de découper l’espace pour l’appréhender. Le Discours de la méthode ne le dit pas autrement : « diviser chacune des difficultés que j’examinerois, en autant de parcelles qu’il se pourroit, et qu’il seroit requis pour les mieux résoudre. » Il en va de l’espace ordinaire comme des labyrinthes de la raison. Le découpage de l’espace ne va pourtant pas de soi. Ma première heure d’enregistrement met spectaculairement en évidence le caractère a priori indivisible de l’espace sonore et de ma perception du son. Seth Kim-Cohen l’écrit : « Un clignement d’œil dure trois cent millisecondes. Un clignement d’oreille dure considérablement plus longtemps. De la naissance à la mort, l’oreille ne se ferme jamais. L’ouverture permanente de l’oreille, voilà ce dont traite ce livre. » Je vais devoir inventer, au fil de mon écoute, des manières de découper l’espace sonore et ma perception du son.