Un bon pays.

1. voir Ithaque (juillet 2014)

par

En Grèce, avant les élections de janvier 2015 : un reportage de Marie Cosnay en 3 parties.

voir Ithaque, de l’avion. Très vite, les itinéraires pour les plages d’Athènes, pour Tinos, qu’on évoque en s’exclamant. Entendre toujours s’exclamer quand on évoque Tinos

Cyparissus horizontalis et dedans et par dessus les perruches en liberté

le jouet leur a échappé, le jouet leur a complètement échappé, le jouet Aube dorée leur a complètement échappé

il n’y a pas un noir en ville, ce sont les quartiers dans lesquels on passe mais tu ne trouves pas ça bizarre, il n’y a pas un noir en ville, station Larissa, Maurice dit que c’est vrai, les noirs se cachent, ils ne sortent que le soir, même pour prier ils ne viennent plus, ceux qui venaient ne viennent plus, Maurice nous donne le numéro de téléphone de Trésor, du Congo, il est enfermé au Centre de rétention de Corinthe, Cécile va lui dire qu’on l’appellera, on l’appellera pour faire passer le temps puisque le temps ne passe pas là-bas et qu’il ne risque plus maintenant de passer : une loi a été votée il y a peu qui remplace le maximum de dix-mois mois de rétention administrative par une rétention prolongeable à perpétuité, c’est anticonstitutionnel bien sûr, le prix à payer à Aube dorée, ils font profil un peu bas depuis que des membres importants ont été écroués, profil un peu bas mais à côté de ça

en même temps ils veulent tous quitter la Grèce, c’est le prix à payer à l’Europe sans doute, une loi anticonstitutionnelle, l’Europe qui donne l’argent des centres-prisons, alors tu en fais des prisons pour toujours

10 juillet, un nouveau responsable d’Aube dorée a été arrêté.

les drapeaux (orange), les autres (MAPE), le sitting dans une place commerçante qui fait face au parlement, à l’époque on est resté là des mois, on peut pas imaginer, à l’époque combien on était là, c’est ici dans la rue la convergence des luttes : enseignants, femmes de ménage renvoyées de l’ambassade, demain grosse manif contre l’exploitation de mines d’or dans le nord de la Grèce par des multinationales

ces nuits sont à toi, Alexis. Ecrit sur le mur de la rue de Chypre. Alexis, Alexis Grigoropoulos, 16 ans, premier mort des premières émeutes 2008. À toi, Alexis

des banderoles anti fascistes à Kypseli, devant le parc où, assis par terre, on roule des cigarettes et discute

slogans et tags anti-racistes partout, même autour de l’Acropole, quand on monte à Anafiotica des fumeurs de joints pas trop rasés sont assis sur les escaliers peints à la chaux. Dégringolent, dégringolent et les volets bleus et les portes dans l’ombre

J’ai le numéro de Trésor, du Congo Kinshasa, l’appeler au centre de rétention de Corinthe

cette loi qui a quelques mois et aucune pub : une loi anticonstitutionnelle certes, mais le gouvernement l’est, anticonstitutionnel, dis-moi ce qui ne l’est pas

ma mère de toute petite retraite souffre d’une sorte d’Alzheimer, paye plus de 250 euros par mois à une clinique privée

il y a Tinos, il faut que tu ailles à Tinos, il y a là un musée ceci et un sculpteur de génie cela auprès de qui je prends des cours, regarde mon petit Hermès

ce qu’a dit B : les dieux grecs vont se venger

tu devrais t’intéresser au nombre de suicides aujourd’hui en Grèce

la tombe en marbre dans le Péloponnèse, sur laquelle on a pas pu faire inscrire le nom de mon père mort, trop cher d’ailleurs demain j’ai RV aux impôts, et tu verrais ça, un laurier a poussé dans le marbre, là, dans le marbre de mon père, un laurier, c’est Daphni, la patte d’Apollon

les gens se sont retrouvés au chômage brusquement : que faire de nos savoir-faire ? Les mettre à l’œuvre, pas rentable mais en attendant

B raconte son stage pour apprendre à fabriquer des maisons à l’ancienne à Salonique et à préparer les semences, qu’on nous prenne tout, tout, et on reviendra aux fondamentaux, c’est ça l’espérance

les prisons de Haute sécurité. Pour bandes organisées, opinions politiques. Le tout terrorisme, quoi

Trésor B, du Congo Kinshasa, est enfermé au Centre de rétention de Corinthe. L’Europe a débloqué des fonds pour la construction de centres modernes et grecs. Il n’y a rien, rien à faire dans les centres. Pas une pièce commune, dit Trésor, pour regarder la télé. Pas de journaux. Pas d’activités. La seule activité, dit Trésor, ce sont nos portables, on a facebook, les mails, chacun sur son téléphone. L’isolement total

maintenant quand tu demandes l’asile on te retient dans le centre jusqu’à la réponse - si ça peut être long ? Trésor rit

les policiers c’est comme toujours, il y a ceux qui sont pleins de respect et qui ont un peu honte. Et il y a ceux qui, aux gens qui viennent de loin pour te voir, ne permettent de ne te parler qu’une minute, deux minutes

une bande de jeunes gens, tour de tête rasé, touffe jaunie en haut, certains portent casquette, descendent à la station Kallithea en chantant très fort sur le quai. Un centre commercial annonce Samsung, Coca Cola

station du Pirée, un homme chante à tue tête une chanson orientale, il se tient sur le bord du quai du métro, comme s’il s’élançait, une offrande

cet autre, maigre, très maigre, courbé, porte dans la main deux paquets de kleenex. Main tendue il récite ou psalmodie une plainte que personne n’écoute

le mail de Trésor, hier soir. Sarah, de la Cimade : elle n’a pas entendu parler de la loi grecque de prolongation à perpétuité de la rétention administrative. Si je trouve des infos auprès de Caritas, elle est preneuse. C’est la grande force de la politique d’immigration : personne ne sait. En 2008 on pouvait, à Hendaye vivre auprès du CRA [1] sans le connaître

le haut des immeubles installés dans le ciel sans nuance. Et soudain, ces arbres qui souffrent, pleurent, verts pourtant

la dame à la casquette verte, assise à califourchon sur le banc devant les bateaux de croisière, le rouge des marques, le bleu d’une compagnie de téléphone, protège d’un parapluie qu’elle tient bien haut la tête d’un homme allongé sur le ventre. Son fils, j’ai pensé

au marché tu peux acheter des bricoles en plastique, des chaussettes et des slips Calvin Klein, des billets de loterie à l’unité, des Marlboro, des DVD porno

un monsieur porte dans chaque main un sac plastique bleu, il fouille dans les poubelles à l’entrée. Un autre vend des pastèques, barbu, jeune, sa camionnette est pleine, à l’étage il y a un matelas, le haut est cerclé de grillage et sur le matelas sont quelques jouets de plastique, deux enfants tout petits

la robe trop grande, beaucoup trop grande que le monsieur te fourre dans le sac et tu payes ce que tu as, 10 euros

rue Ermou la police se prépare, boucliers et jambières spéciales. Devant Marks and Spencers les jeunes aussi se préparent, vêtus de noir

every sunday that shops open will be an act of war

la fille me dit qu’ils vont être vite délogés. Ils installent les banderoles, ils sont vêtus de noir, tous. Leur site : syntonistiko_drasis@espiv.net

allez-y, donnez votre sang entre Grecs, vous allez en avoir besoin

à l’attention des fascistes, encore, et ailleurs : vas-y doucement, des fois que j’aurais peur

ailleurs encore : je ne te fuis pas, fasciste, je te cherche

Omonia, au matin. Le monsieur taillé maigre maigre, encore, assis sur le rebord d’un grand magasin, endormi on en jurerait mais dans une position impossible, le corps raide, aucun naturel, main tendue, tête ployée

dans le métro l’homme au visage vitriolé, les yeux agrandis, rouges, la peau grumeleuse, psalmodie, puis il avance de wagon en wagon, ne reçoit pas un euro

la rue Kapodistriou. Les sex-shop vieillots. Devant l’entrée : deux chevaliers en amures, cerclés de chaînes en suggestion de pratiques sado-maso

Iliana parle français, elle était enseignante chez les Ursulines, voit sa retraite réduite, ses deux filles ont fait polytechnique, l’aînée va partir dans la recherche à l’étranger, la plupart des amis de ses filles sont en Australie, aux Etats-Unis, citoyens du monde, nos enfants

partir à l’étranger quand tu fais de la recherche et partir à l’étranger pour trouver du boulot quand il n’y a pas de boulot, dit Iliana ; quand je me suis engagée à Caritas mes amis disaient c’est courageux, il faut le faire, moi je ne pourrais pas, mais, dit Iliana, moi non plus je ne peux pas, je ne peux pas, tous les soirs je pleure

des adolescentes venues d’Italie aident le matin à distribuer jouets et vêtements

les filles vident les grands sacs poubelles pleins de robes et de petites chaussettes, installent sur des cintres pour qu’on puisse choisir, c’est des couleurs et des fleurs

il y a des Grecs parmi nos hôtes, mais ils ont un peu honte alors ils préfèrent aller dans la rue Pireos, il y a un centre social municipal, ici quand ils viennent il n’y a pas de problèmes avec les étrangers, si ce n’est qu’ils veulent emporter deux sacs au lieu d’un

il y a un discours, un discours facile comme celui d’Aube dorée ou de votre Front national, il n’y a pas de travail et les étrangers te le prennent et il y a les actes, et ce n’est pas pareil, dans les actes c’est la solidarité

les mineurs je ne peux pas les recevoir, pourquoi ton père n’est pas là ? Mon père est à l’hôpital - mais non, arrête, il n’est pas toujours à l’hôpital, ton père

que les gens se cachent en journée ? si Maurice le dit. Moi je préfère ne pas voir ça

la rencontre avec Saghir, depuis six ans en Grèce, deux fois en prison, une fois deux mois, l’autre trois, on vit à vingt dans de petits appartements, la police t’attrape, tu te caches en journée, c’est trop dangereux, et il n’y a pas de boulot ici, pas de boulot

on a les cours d’anglais et de grec, il n’y a personne en cours de grec, les gens sont de passage, enfin c’est ce qu’ils veulent, passer, et ils restent

personne, je n’ai vu personne qui veuille aller en France. En Angleterre non plus, d’ailleurs, ils veulent aller en Allemagne, en Suède, en Norvège. En Belgique peut-être

Saghir me dit que lui, il veut aller en France, il y a des amis. Six ans qu’il attend. Qu’il se cache

cette loi sur la prolongation indéfinie de la rétention ? je ne vois pas, dit Iliana, je ne sais pas. Quel intérêt pour la Grèce une loi comme ça si on suit leur logique, je ne vois pas

Saghir : ici tu peux rester trois ans enfermé. Trois ans, dit-il, dix-huit mois renouvelable, donc ?

et de retour rue Bassileos Georgiou , le mail de Trésor.

Bonjour Marie,
Si je pouvais t’expliquer tout ce qui m’est arrivé au Congo et les raisons qui m’ont poussé à quitter le pays et la façon dont je suis arrivé ici en Grèce en passant par la Turquie, mais je te le dis le plus sérieusement du monde, je ne peux pas t’expliquer par mail.

Bien, notre détention ici en Grèce : la durée de détention maximale est de 18 mois, bref, personne ne sait le jour de sa libération, et maintenant il y une prolongation de la détention, entre temps nous avons accès à une mauvaise alimentation et parmi nous il y a des détenus qui ont de problèmes de santé mentale, la plupart souffrent de stress, de frustration, de dépression ou de troubles psychosomatiques... Nous sommes vraiment dans le tunnel ici aux centres de détention en Grèce.

Bien amicalement
Trésor.

le discours d’un côté et la solidarité de l’autre, disait Iliana. Le geste qui ne tient pas compte du discours : jamais on ne se réduit à un discours, surtout quand il est aussi emprunté. Günther Anders explique en 1950 que ’l’inaptitude à la double vie fut sans doute la raison d’un phénomène qu’on dit énigmatique : la mise au pas des années 1933-1938. Celui qui n’acceptait pas la mise au pas ne devait pas rendre perceptible son refus du conformisme. Mais qu’est-ce qu’un non conformisme qui n’a jamais de raisons de s’exprimer en actes ou en paroles ?’ [2]

notre non-conformisme 2014 refuse le discours médiatique et xénophobe. Mais que devient-il, notre non-conformisme, quand aucun acte insurrectionnel ne fait bouger la moindre chose et bien au contraire : on apprend qu’en Grèce une loi ou décret [3] tord le droit européen et prévoit d’enfermer sans limite de temps les plus pauvres d’entre nous, les plus mobiles. Nous finissons par vivre sur deux plans et comme nous n’y avons pas d’aptitude, quelque chose du discours dominant nous rattrape

C, rencontrée récemment, aide les migrants venus d’Afrique sub-saharienne et se désole de voir les municipalités impuissantes face à ce qu’elle appelle ’le problème rom’

le geste, qui rompt avec le discours, tient encore. Il est, comme le dit Iliana, de solidarité. Combien de temps ce dédoublement intérieur va-t-il nous garder sains d’esprit ? « À la fin, écrit Günther Anders, on croyait au "Sieg heil" qu’on était contraint de crier simplement parce qu’il était trop fatigant de crier sans y croire ». Personne n’est aujourd’hui contraint de crier. Cependant les lois européennes criminalisent ou essaient de le faire les marins qui sauvent des migrants en Méditerranée ou ceux qui hébergent des clandestins

tu vois, le bon côté de cette crise, ce sont les gens sur les bancs. Les jeunes qui ne travaillent pas discutent, les vieux jouent à une sorte de jeu de l’oie, dit K qui aime les oiseaux et les connaît

une huppe

la promenade autour de l’Acropole : les lumières rosées, le noir des cyprès, le blanc du temple, les martinets qui annoncent l’orage, l’ocre partout et la découpe des crêtes et des caroubiers

il n’y a pas de graffitis fascistes sur les murs ? Ces gens-là ne sont pas éduqués. A l’époque faste, celle des jeux olympiques, ils n’avaient rien fait, rien appris et croyaient tout posséder. Ils avaient fait de petits emprunts. Ils sont furieux. V dira : je ne pense pas qu’ils soient si crétins. Ils ne croient pas aux murs de la ville, c’est tout. Ni à l’écrit

K raconte qu’administrativement elle n’était pas en règle. Elle n’avait pas payé quelque chose qu’elle devait payer. Elle se rend au bureau concerné : qu’est-ce que tu viens nous emmerder avec tes conneries ? Personne ne fait ça. C’est vrai, personne ne fait ça. K insiste et on finit par régler le problème, elle paye ce qu’elle doit. Les types de l’administration sont méfiants : ils soupçonnent une ruse. Une ruse quand tu veux être en règle ? Notre rapport à la loi. Le plaisir de la transgression ? Non puisqu’il n’y a de transgression que par rapport à une loi. Ici, tricher n’est pas transgressif, c’est la règle. C’est donc que la loi n’est pas vécue nôtre mais ennemie. La loi de la cité est celle des ennemis. C’est comme ça dans les pays qui ont été sous domination étrangère, dit K. Quatre siècles, ça laisse des traces. Quand un Grec gérait une petite communauté sous autorité turque, il avait ses stratégies. Laxisme avec les Turcs et pour compenser, attitude stricte avec les siens. A son compatriote, on ne laisse rien passer. Elle est dure pour toi et les tiens, la loi, et douce aux autres. Tu dois survivre et uses de stratégies. Bientôt c’est ton mode de vie. La loi protège l’autre, toujours

tu dois ruser, dit K, tu ruses

tu as remarqué qu’on n’a pas de passages piétons ? Effacés. Oui parce qu’on efface ton intégrité, le corps ça n’existe pas

Exharchia, notre futur petit pays indépendant, dit B

M enseigne le français. Elle ne souhaite pas me parler. Elle est désolée, elle est trop en colère, ce serait, ce serait, comment dire, non, elle ne peut vraiment pas parler en ce moment

on te contractualise à partir de 20 heures de cours par semaine. Prestataire, nombre limité d’heures, salaire bas, payé en retard. Prestataire, M donne quinze heures de cours par semaine. L’heure de cours, on vient de l’apprendre, tombe à 12 euros. Compte, dit-elle. Imagine, on annonce qu’en plus des charges sociales sur ces 12 euros, le fisc t’en prendra le double à partir de la rentrée. En bref et en gros les prestataires vont toucher 400 euros par mois et en verser plus de 300 au fisc. En bref, tu travailles pour la gloire, tu travailles pour garder un travail, pas pour gagner ta vie. On n’aura plus de prestataires car qui va poursuivre comme ça ? M est désolée, mais là elle ne peut pas, elle ne peut pas parler

la jeune fille, institutrice, au pied de l’Acropole, travaille l’été à vendre des bibelots aux touristes pour payer son mariage et ça semble l’étonner que ça m’étonne

Iliana, de Caritas, ça semble l’étonner que ça m’étonne

B rit : ça n’étonne personne

partout, de Pangrati à l’Acropole à Exharchia jusqu’au Pirée, partout : enoikazetai, à louer. Appartements à louer.

de retour d’Exarchia, le mail de Trésor :

Chère Marie,
J’aimerais d’abord que tu me poses la question pour savoir pourquoi certains détenus souffrent des maladies psy. C’est suite à la durée de la rétention surtout, manque de distractions ( jeux, TV etc…), la façon dont nous sommes enfermés, vous savez lorsqu’on vous arrête pour un motif que vous jugez normal et que pour ce motif que vous trouvez normal on vous enferme pendant 12 mois ou 18 mois, je vous assure que ça fait mal et ça rend beaucoup d’entre nous dépressifs. Le motif normal dont je parle est le fait d’être arrêté pour ne pas avoir de papiers, nous sommes d’accord de faire 3 ou 6 mois d’enfermement pour le papier mais pas 12 ou18 mois, c’est cela qui en rend d’autres violents, agressifs, c’est cela qui pousse à des choses dangereuses, entre autres : se pendre, avaler le shampoo, monter sur le toit et se jeter dans le vide, se faire blesser sur tout le corps avec des lames.

Marie, je ne t’impressionne pas ou je ne veux te faire peur mais c’est pure réalité que nous avons vécue et nous vivons ici. La cuisine que tu fais à Caritas c’est bien ! Mais cétait devant la porte de Caritas que jétais arrêté le 15 février de l’année dernière à 8 heures souvent j’ai mangé là bas.

Je vous embrasse,
Trésor

le porte-parole d’Aube dorée a été arrêté. N’oublie pas que le ministre de la santé et de l’éducation nationale sont d’extrême-droite, de l’ancien parti Laos. Et celui qui a signé le décret violant la loi européenne, le ministre de l’ordre public, Nikolaos Dendias rit aux éclats quand ses copains lui font un cadeau de départ : une fausse carte de demandeur d’asile. L’humour de Nikolaos Dendias et de ses copains n’a rien à envier à celui de Jean-Marie Le Pen qui fera une bonne fournée des artistes anti FN à la prochaine occasion. Ou à cette ex-tête de liste aux municipales françaises qui montait et montrait côte à côte deux photos, une guenon et Christiane Taubira — à dix-huit mois et aujourd’hui, commentait-elle

l’ex tête de liste a été inculpée de neuf mois de prison ferme

Nikolaos Dendias a donc signé un décret [4] permettant la prolongation sans limite de la détention pour les étrangers enfermés en centres qui ne collaborent pas activement à leur départ. Trésor, qui ne voulait pas demander l’asile en Grèce, le demande pourtant. Trésor ne tenait pas à demander l’asile : ici, on est maintenu en centre tant que l’asile n’est pas étudié. Mais voilà que la rétention peut être plus courte si on demande que si on ne demande pas l’asile - dans les deux cas on connaîtra les conditions terribles des centres grecs, aidés à 75% par l’Europe, mais où, comme dira B, un jour tu manges un jour tu manges pas

tu es là jusqu’à acceptation : comment sont organisés les départs quand ils sont demandés ? Celui qui n’a pas son passeport, son consulat le reconnaît-il ? Quant à celui qui ne peut retourner au Congo Kinshasa parce que c’est la mort assurée ? C’est la mort d’un côté, l’attente interminable, sans jour et sans terme, de l’autre

alors se pendre, sauter du haut du toit, avaler les objets contondants

fabriquer des décrets illégaux qui ont pour effet de retenir sans limite ceux qui ne veulent absolument pas rester, les désespérer, les voir sauter du toit du centre et avaler des rasoirs

en 2012, on voyait retenus à Hendaye, afin qu’ils soient expulsés au frais de l’Etat français, grossissant le chiffre des expulsions sur lequel alors communiquer, ceux qui s’apprêtaient à quitter la France ou l’avaient déjà quittée, arrêtés à vingt kilomètres après la frontière

à quelle opération de communication sacrifie la Grèce de Nikolaos Dendias et de ses copains ? Vous resterez enfermés sans occupation dans un espace et un temps qui n’existent pas

il y a ce que Trésor dit trouver normal. Six mois de rétention, dit Trésor, c’est normal. Ce n’est pas que Trésor trouve normal d’être arrêté trois ou six mois. C’est que c’était à peu près attendu. Quand tu as traversé des mondes, des déserts, des guerres, quand tu as usé de toutes les stratégies et ne peux plus user d’aucune. La norme change sans prévenir, le décret trahit la loi. Dix-huit mois et le lendemain on te dit le double, le toujours, on te dit le rien puisqu’on ne fixe, justement, rien. Alors tu deviens fou

quand l’hôpital se révèle le meilleur des asiles

s’il y avait des psy dans les centres de rétention, ils ne pourraient pas travailler, dit Argyris, psychiatre à l’hôpital de Daphni

la voie sacrée, qui va jusqu’à Eleusis est empruntée surtout par des camions, si bien qu’il faut attendre un quart d’heure avant de pouvoir traverser

les rouge-gorge fuient l’été dans les montagnes, penser que la montagne c’est ici, à cette proximité

coca-cola, camions camions, bus en retard, Maria coiffeuse à Monastiraki nous dit qu’elle a de la chance, elle travaille depuis longtemps dans un coin à touristes, elle se lève à 5 heures du matin, elle vit à Eleusis. Cinq-cents euros par mois

Argyris, psychiatre, huit-cents euros par mois, explique que l’hôpital fermera en 2015. On avait prévu des centres de soins ambulatoires, on a fait 30% du chemin, ici on travaille en lien avec le social, les centres de soins ambulatoires n’ouvriront pas

le calme et la propreté du parc, portes fermées à clef et à l’intérieur, sobre et propre, sont assis les malades ou allongés jambes au mur, ce monsieur la télécommande à la main, celle-là se promène, ici on n’attache pas, on remplace le lien par le lien de parole — ce qu’ils vont devenir ? Ils iront dans les unités psychiatriques des hôpitaux, où il y a très peu de places, et à la rue, sous les ponts

ce sont les flics qui nous les amènent ou les familles et même si les familles sont souvent le problème tu travailles avec les familles

en consultation au centre social Argyris a des patients aussi - je prends cinq euros et parfois rien : déjà tu viens, ça te coûte un effort

ce n’est pas le problème économique, ce n’est pas le seul problème économique, c’est ce que tu vis comme un tremblement de terre, une catastrophe

la nuit il n’y a qu’un seul infirmier de garde pour le service. Avec l’équipe ça se passe bien, les réunions sont fréquentes, il y a aussi les réunions avec les patients, tous les jeudi, ça se passe bien, avant infirmier psy tu faisais ça sans étude, il te suffisait d’être là, les gens étaient drogués, attachés, maintenant ces premiers sont partis, ou bien ils ont compris, aujourd’hui ils travaillent autrement, s’ils viennent aux séminaires sur Lacan que je fais à l’IUT ? non, ils ne viennent pas

sourire

les flics changent aussi, les jeunes flics sont très différents, on l’a remarqué, il y a plein de jeunes filles parmi les flics, c’est une nouvelle mentalité

16 juillet, on apprend que la Cour d’appel de Paris ordonne qu’une enquête soit ouverte sur les manquements de l’armée française à son obligation de porter secours en mer dans l’affaire du “bateau-cercueil” qui a coûté la vie à soixante-trois personnes en mer Méditerranée en mars 2011. C’était du temps où l’armée française portait la guerre en Lybie

Evangelismos, 11 heures du matin, 17 juillet. Un pakistanais qui vend des coques de téléphone portable se fait contrôler. Le policier, protégé d’un gilet de sécurité, est debout face à lui. Une fille jeune, au téléphone, en uniforme. Un troisième policier porte un pantalon aux poches latérales et militaires. Un quatrième homme est assis sur un banc. Tee-shirt noir, pantalon kaki comme celui du policier qui debout contrôle le passeport du vendeur de coques de téléphones portables. L’homme assis sur le banc regarde un plan d’Athènes. Tous les cinq, contrôleurs, contrôlé et homme en semi-civil me regardent écrire. Puis s’éloignent. Les trois policiers d’uniformes différents entourent le monsieur pakistanais. Le semi-civil les suit à distance, il se retourne, une fois, une autre

G raconte que cinquante enfants sont venus d’Egypte, avec passeurs. Les familles avaient payé cher pour qu’ils aient accès à une bonne école. Le bateau a fait naufrage : les passeurs avaient en tête le trafic d’organes, dit G. On a récupéré les enfants en mauvais état, il fallait pour qu’ils rentrent chez eux que les parents signent des papiers de reconnaissance mais certains ne voulaient pas, ne croyaient ni au naufrage ni aux intentions des passeurs. Un petit a été menotté par la police, crise de nerfs, on a insisté, les parents ont compris puis signé

cette politique qui vise à prolonger la détention de gens qui ne veulent en aucun cas rester ici ? C’était juste avant les élections, dit B, tu comprends, d’un côté on arrête les types de l’Aube dorée, de l’autre on vide la ville des migrants, on cherche à récupérer les voix des types qui sont pas des nazis et votent Aube dorée

cela dit si tu réfléchis bien ils sont combien à être enfermés ? 15 000 ? C’est terrible oui mais

oui mais il fallait voir, avant, en ville. Quand je venais travailler je ne faisais pas un pas sans qu’on me demande quelque chose, ça faisait mal au cœur

si tu veux faire du tourisme, tu peux aller dans le parc Alexandras, tu verras alors, prostitution et trafics, tu verras ; non pas à Exarchia, à Exarchia c’est civilisé, va voir de l’autre côté. Il y a des types qui louent des apparts minuscules à 15 ou 20 personnes, et les autres, les autres c’est dehors

il y a deux ans, on a fait une enquête, 60% dormaient dehors, a dit G. Ici on fait des réunions, des groupes de paroles, il y a les moments de jeux et de dessins pour les enfants, on donne des conseils d’hygiène et de quoi manger, c’est toujours calme ici, la police n’a pas le droit d’entrer, ah mais à la porte oui qu’est-ce qu’on peut faire à la porte, parfois la police rôde à la porte, une fois je l’ai appelée moi-même, un Irakien avait sorti un couteau, qu’est-ce qu’on pouvait faire

si tu veux mon avis il y a ça, les élections et le tourisme, on débarrasse la ville pendant l’été, ça ne durera pas, tu verras à l’automne, ça ne durera pas, ce décret

si quelqu’un a fait un recours contre ce décret de Nikolaos Dendias ? Pour ça il faut demander au Conseil des réfugiés

Nikos nous apprend qu’au large de Samos, vendredi dernier, plus de vingt personnes ont été portées disparues. Bien traitées par la police ou maltraitées ? A Caritas on a reçu des témoignages différents

c’est très simple, dit Nikos, on prolonge le temps de la rétention pour essayer de les faire partir ; mais puisqu’ils veulent partir ? Oui, ils veulent partir en Allemagne, en Suède, où c’est le paradis, tu sais bien

on les renvoie dans le premier pays d’arrivée, alors

alors

et Saghir, Saghir

le dialogue avec Saghir : les mois et les mois de marche, d’Afghanistan au Nord de la Grèce, forget, dit-il, forget, very very difficult, fini, fini

Saghir

les projets d’Europe, indicibles

Saghir, la fatigue, encore

une famille syrienne, raconte Nikos, a payé 32.000 euros pour faire le trajet de Damas à la frontière turque. La suite à la marche. Les soldats les ont arrêtés, ils ont payé encore 17.000 euros pour s’embarquer pour l’Italie. La barque, au milieu de la mer et rien, pas de réseau. Pour finir un téléphone cellulaire a fonctionné, la croix-rouge les a secourus et conduits à Kallamata. Le mari a payé un autre passeur pour sa femme et ses enfants, vers la Suède