l’Amanar une constellation de caractères pour les claviers touareg

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La culture touareg est orale, et pourtant l’écriture touareg existe depuis plus de 2500 ans, même si seule une petite fraction des Touaregs est lettrée. Entre 1995 et 2003, Pierre di Sciullo a créé quatre polices de caractères qui ont permis aux Touaregs d’accéder à l’imprimé et à l’écran.

« Il arrive aux Touaregs d’inscrire sur les rochers des mots doux destinés à la personne qu’ils courtisent. »

L’aventure se noue à plusieurs brins. Le premier, c’est le travail sur un palindrome inédit de Georges Perec, qui éveille l’intérêt de Pierre di Sciullo pour la culture touareg : en effet, ce système d’écriture, dérivé du lointain alphabet phénicien, est le seul à s’affranchir de la pesanteur, car il est composé de signes presque symétriques sur les deux axes. Le deuxième est la trouvaille fortuite d’un exemplaire de l’édition originale du dictionnaire de la langue touareg publié par le Père de Foucauld en 1919. Le troisième vient du désir de Maman Abou, éditeur et imprimeur du Républicain à Niamey (Niger), de publier son journal non seulement en français, mais aussi en tamashek (la langue touareg) avec les tifinagh (lettres de l’alphabet touareg). Le nouage se fait lors de la rencontre avec Marie Begel, trésorière de l’association « Touaregs », qui recherchait quelqu’un pour mener à bien ce projet de journal, imprimer un manuel médical et impulser la création d’écoles itinérantes tenues par les Touaregs eux-mêmes. Pierre di Sciullo relève le défi.

Livret bilingue imprimé au Niger en 1999. Un des premiers exemples d’utilisation de l’Amanar.

« Il existait un système d’écriture mais avec des variantes régionales : j’ai pensé qu’il serait utile de faire un système de caractères qui serve non seulement pour les Touaregs de l’Aïr (au nord du Niger), mais aussi pour ceux des autres régions. Pendant un an, j’ai noté sur une feuille toutes les variantes graphiques des caractères. Mes interlocuteurs touareg, envoyés par Marie, sont venus à mon atelier, ils étaient délicats et tolérants, ils m’écoutaient sans jamais remettre en cause le bien-fondé de mon travail, alors que je ne parlais pas leur langue ! Dans cette écriture, il y a plusieurs manières d’écrire le même phonème, mais aussi plusieurs phonèmes qui correspondent à la même graphie. C’est une écriture peu utilisée : les Touaregs s’en servent pour des lettres, des messages importants, et il leur arrive d’inscrire sur les rochers des mots doux destinés à la personne qu’ils courtisent. Au fil du temps, les relations entre langue et écriture ont tellement évolué que, devant certaines inscriptions anciennes, ils reconnaissent les lettres sans pouvoir déchiffrer le sens.

Plusieurs Touaregs avaient déjà essayé de résoudre la question du manque de voyelles dans leur alphabet. Cette écriture n’est pas consonantique, comme l’est l’arabe, elle en possède deux, le a et le i. D’autres voyelles (ou, e, è) étaient nécessaires pour distinguer les mots homographes et non homophones. Par exemple, le signe z peut signifier ouziz, aziz, azouz, azaz, izaz, azouzi, etc. Ouziz veut dire trouver insuffisant, aziz veut dire tarentule ! C’est polysémique et polygraphique, ce qui permet aux Touaregs de bien s’amuser en traçant des signes dans le sable pour jouer à deviner.

Plutôt que d’ajouter des voyelles, j’ai choisi de garder les voyelles existantes et d’ajouter des accents. J’ai aussi proposé des signes de ponctuation dont ils n’ont pas voulu. Pour les voyelles, ça a très bien marché et j’ai pu ajuster en discutant avec eux de l’avantage de mettre un accent circonflexe normal ou inversé sur telle ou telle voyelle. J’ai aussi proposé de distinguer les trois signes qui s’écrivent avec des points, le a s’écrit avec un point, le k avec trois et le we avec deux. J’avais fait un point plus gros pour le a, deux points ovales pour le we et trois points qui se rejoignent pour le k. Ils n’ont pas pu m’expliquer pourquoi, mais cela leur était insupportable ! Ils ont été d’une grande ouverture pour tout ce que j’ai proposé, mais là, non. Ont été gardés les accents sur le a, sur le i et sur le we, qui est une semi-voyelle.

Maintenant, sur un clavier d’ordinateur, on accède par les touches elles-mêmes aux tifinagh de l’Aïr, et par des raccourcis à d’autres variantes. Quatre polices ont été créées. Ainsi est né le caractère Amanar (la lumière). C’est le nom de la constellation d’Orion qui sert de repère dans le désert. »