Istanbul, 8 mars 2016 les femmes et leurs droits dans la rue
par Çağla Aykac & Ulaş Yunus Tosun
Interdiction des manifestations, violences policières et militaires, assassinat : c’est dans ce contexte que les femmes se sont préparées à sortir dans les rue d’Istanbul et partout en Turquie, le 8 mars 2016. Deux jours plus tôt, les femmes qui étaient sorties dans les rues avaient été frappées, insultées, poursuivies, et arrêtées. Le matin même, de la journée des droits des femmes, une jeune femme avait été assassinée. Dans plusieurs villes, les autorités ont interdit les célébrations pour des raisons de « sécurité ».
Le 8 mars, les dirigeants politiques, au premier chef le Président et son épouse, ont affirmé que la fonction première des femmes était d’enfanter, si possible trois enfants ; que la pilule était le résultat d’une politique visant à affaiblir la « race » turque, que l’avortement était un crime, le harem une bonne éducation, le rire interdit, le voile fortement encouragé, l’égalité une absurdité occidentale qui détruirait la société turque, la demande de liberté une fantaisie féministe qui enchaînerait les femmes. Non, l’égalité entre hommes et femmes n’existe pas dans « notre culture » ont-ils dit cachés dans leur palais, et derrière leurs armes.
Rien de tout cela n’a empêché les femmes de braver tous les interdits une fois de plus le 8 mars. Cette année c’est le thème de la guerre qui domine. Sur les pancartes on lit les noms des villes kurdes Sur, Silvan, Cizre, Silopi, détruites et laissant sous leurs décombres des corps mutilés. Toute l’année, les femmes ont essayé d’empêcher la guerre. Les femmes kurdes, les femmes turques, les femmes pour la paix ont fait des campagnes publiques d’information, écrit des rapports sur la condition des femmes en situation de guerre, sur la violence, la précarité, la souffrance. Ces femmes se sont rencontrées dans leur lutte commune contre la guerre, brisant des dizaines d’années de tabou. Elles se sont touchées, elles ont partagé leurs histoires, et elles ont pleuré. Puis, elles ont repris la lutte, fatiguées mais déterminées.
Le 8 mars, nous avons lu des lettres écrites, pour nous les femmes, par des femmes emprisonnées pour avoir tué leurs maris et violeurs. Des femmes ont délicatement préparé des pancartes en turc, en arménien, en kurde, avec des photos et des noms de femmes tuées et violées, pour les honorer et pour ne pas oublier. Les femmes guerillas ont été saluées ; alors que l’image indélébile d’un corps de femme combattante torturé et abandonné nu dans la rue continue de nous hanter, tout comme la réalité des femmes-enfants mariées. On commence par le respect et ensuite la solidarité.
Et de la joie, à outrance, à être dans la rue le soir du 8 mars. La joie d’être si nombreuses malgré les menaces et les insultes, la joie de nous voir les unes les autres si belles dans ce monde de brutes, et sur les pancartes et dans les slogans, la joie d’avoir des nichons, de baiser, de vouloir trois orgasmes plutôt que trois enfants, de s’aimer ; courageuses, et déterminées, le 8 mars et tous les autres jours de l’année.