Vacarme 19 / chroniques

le gerris / ai-je assez de courtoisie ?

par

À la surface de l’étang un être d’eau glisse sans s’enfoncer. Ce n’est pas le notonecte qui fait la planche et remonte comme liège, l’air prisonnier de sa toison - une certaine façon de remettre son manteau. Celui-ci a des pattes longues qui le soulèvent à faible hauteur : assez pour qu’un reflet se profile, appliqué en tout point à son ombre vivante. - Comme tu lui ressembles. L’eau et l’air se meuvent séparément, l’une réfléchit l’autre. Seul le ciel se penche. Comme tu lui ressembles. Encore et encore je puisais pour ramener ses traits avec l’eau du seau, vers la surface, pour les reconnaître en m’y reconnaissant. Là, son visage/le mien. Tu te rappelles ? À la rive, le fond est déchiffrable, tapissé de poussières mobiles et duveteuses, de larves et d’insectes luisants. Avec une épuisette, petite, et une besace, on capture des trésors. Son visage/le mien. Les tiges aux feuilles convolutées emprisonnent des bulles, et c’est là qu’il restait. Pourtant la dernière fois je l’avais vu penché au bord d’une portière rouge, pour nous dire une chose devenue indiscernable. Au revoir ? Et puis je l’ai retrouvé, au bord. Posé à plat sous l’eau qui tremble, ou bien ? Faites attention lance une femme, c’est empoisonné. Puis, elle va s’asseoir deux mètres en arrière. Qu’est-ce qui est empoisonné ? Les yeux ne se sont plus jamais ouverts, ni le sourire. La chair est morte, les traits sont restés. Les patineurs d’eau les redessinent en vibration. Ils déplacent des rides minuscules. Ça ne sert à rien d’attendre et d’attendre encore, n’est-ce pas. Ai-je assez de courtoisie pour m’incliner devant ta disparition ? Je suis les patineurs. Ce sont eux, les gerris. Ils avancent, deux pattes courtes en pagaies, les longues en pas chassés. Ils aiment les eaux dormantes qu’ils caressent de leurs pieds couverts de poils fins. Ils dansent, font des sauts, s’élèvent d’un coup d’aile s’ils en ont. Je veux m’en aller. À vos pieds l’amande de terre et le papyrus dressent leurs tiges. Le vernis d’un oignon se fend, germe une pousse. Pousse à autre chose. Partons, voulez-vous ? Prêtez-moi votre main, sans hâte. Un peu plus loin l’eau prend de l’altitude et le fond s’efface. C’est la piste des êtres d’eau, là la valse étourdissante des gerris, des hydromètres et des vélines, effleurement en ciseau du film tendu sur l’étang sans le briser. Une libellule s’en va, elle porte une paire d’ailes en moins. Les mots écrits se détachent. Je m’y suis reprise à maintes et maintes fois. Mais je n’y reviendrai plus. Une nappe incandescente remonte de l’intérieur, une lave orange traversant la terre et l’herbe des chemins, brûlant tout. À l’entrée du souterrain, le lapin blanc m’attend. Eh bien voilà, c’est non, de cette ressemblance faites autre chose, qu’elle pénètre votre pensée comme une étrangère, ce visage ne me regarde pas.