avant-propos

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On va pas se mentir, travailler sur la joie, c’est pas toujours gai. Déjà, il faut partir à sa recherche. Et là, on rencontre le bon vieux problème de Socrate (pas le footballeur, l’autre) : pour trouver ce qu’on cherche, il faut déjà en avoir une petite idée. Pas très claire, pas trop précise, mais quand même. Au moins un vague souvenir, un peu flou. Sur le chemin, on en rencontre, des souvenirs. Mais à chaque fois, une question traîne, qui nous regarde avec un air moqueur : c’était de la joie, ça ? Ou du plaisir ? Ou de la jouissance ? Ou de la béatitude ? (ça non, avec toute notre bonne volonté, faut pas déconner quand même). Peut-être même qu’on rencontre des trucs moins réjouissants que ça en chemin. Quelle idée on a eu de vouloir chercher ce que c’était… Faut faire marche arrière. Pragmatiques. Pourquoi la joie alors ?

Pour le polisseur de verre d’Amsterdam, la joie, c’est « le passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection ». Laissons la femme de côté pour l’instant (vieille habitude spinoziste) et intéressons-nous à l’augmentation de la puissance. La joie naît de l’affirmation de la puissance d’agir, de la capacité à persévérer dans son être. C’est l’agency qui se réalise. Bon, chez Spinoza on a les coordonnées d’une éthique de la joie libérée des fantasmagories par lesquelles la joie n’advient que dans l’ignorance. Ce qui nous intéresse dans la joie c’est l’augmentation de la puissance d’agir. Plus que l’éthique, c’est la politique. Parce qu’elle implique l’accord des corps et des esprits, qui désirent pour les autres ce qu’ils désirent pour eux-mêmes, elle suppose « la production du sujet constituant » comme dit Negri. Non pas de l’institution d’un pouvoir, mais de sa subversion pour libérer les puissances agissantes. Alors la joie n’est plus à la mesure du temps. Elle le distend, le déforme. Sa grande mesure sociale, comme dirait l’autre, c’est son existence. Quand la joie est là, le temps ne compte plus. Elle fait place nette. Elle prend de la place. Occuper des espaces et subvertir le pouvoir, ça produit une joie qui ne s’interroge pas sur le temps de sa durée. Pour autant, on va pas se leurrer, les joies politiques, celles des mobilisations, des libérations et des victoires sont pas les plus fréquentes. Loin s’en faut. Il y en a d’autres des joies, des moins romantiques, des moins révolutionnaires. Avec lesquels pourtant il faut composer, les vertus de la joie au pays des passions tristes. Et si la joie est subversion, alors elle invite à relire. À relire joyeusement des tragédies comme à s’opposer à Tina Thatcher : il y a toujours d’autres voies et d’autres issues. Suffit de lire. Et d’écouter. Écouter ces comédies musicales, par exemple. Parce que la fête et la musique ont une vertu révolutionnaire. Comme le dit Marat en 1792 après une manifestation contre la loi travail : « L’union fraternelle des citoyens amis de la liberté a tenu lieu de tout frein et a très bien fait voir la parfaite inutilité de ces moyens répressifs, imaginés par la police pour étouffer tout mouvement populaire et tenir la nation sous le joug. »