migrants : violences policières quotidiennes

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Parmi les pratiques violentes de l’État et de sa police, il en est une particulièrement invisible, bien qu’elle soit permanente et toujours plus aigüe : celle commise sur les migrants. Cette invisibilité, on la doit au déni du pouvoir, à l’impunité de ses agents mais aussi à l’insoutenable banalité que semblent revêtir ces violences. Nan Suel propose ici de revenir, dans un bref portrait de la situation du littoral nord de la France, sur cette brutalité qui s’exerce et s’exacerbe au quotidien à l’égard de ces femmes, ces hommes et ces enfants, sans sembler rencontrer de limite.

On se souvient de la vidéo montrant, en 2011, des policiers approchant leur fourgon d’un squat calaisien au petit matin et mettant à plein volume de la musique africaine pour humilier les exilés.

On se souvient aussi de la vidéo plus récente (2015) où l’on voit clairement un policier qui, après l’avoir fait descendre d’un camion, frappe une personne qui ne cherche qu’à se protéger des coups, la bascule par-dessus la barrière de sécurité de l’autoroute, la poursuit et la gaze.

Peu d’images, beaucoup de témoignages qui ne représentent sans doute pas la moitié des violences commises par des agents de police sur les femmes, les hommes et les enfants en transit sur le littoral nord de la France.

Le défenseur des droits a été saisi à deux reprises spécifiquement à propos des violences policières commises à Calais contre les personnes migrantes. Toutes les autres saisines concernant les exilé.e.s présent.e.s à Calais font état de violences policières.

À chaque fois, après plusieurs mois d’enquête auprès de toutes les parties, le défenseur des droits a demandé des explications aux autorités en exigeant que cessent ces pratiques.

À chaque fois, quelques jours après la publication de l’avis du défenseur des droits, le ministre de l’Intérieur remet l’enquête en cause, affirme que les faits sont anciens, que la réalité n’est plus la même ou qu’une enquête interne a été menée par l’IGPN, qui n’a pas rendu les mêmes conclusions.

Très peu d’agents ont été identifiés et retrouvés. Ils ont rarement été inquiétés. Et lorsqu’ils ont dû s’expliquer, ils s’en sont toujours sortis, comme le CRS filmé dans la vidéo de 2015 sur la rocade calaisienne, jugé et relaxé un an après les faits, « l’usage de la force semblant proportionné à la situation ».

Membres cassés ou nuages de gaz lacrymogène au dessus du ghetto, à en faire dangereusement pleurer les automobilistes qui prennent l’autoroute, les exemples de violences physiques et visibles ne manquent pas à Calais.

Récits tellement violents qu’ils restent dans les mémoires. On les retient, on les compile, on les ressort dans les conversations pour montrer ce que subissent les migrants.

Calais, 22 septembre 2016.
La police bombarde la jungle de grenades lacrymogènes depuis la rocade portuaire. Cette photo a été prise par des militant.e.s.
Calais, 22 septembre 2016.
La police bombarde la jungle de grenades lacrymogènes depuis la rocade portuaire. Cette photo a été prise par des militant.e.s.

La rocade de Calais la nuit ressemble à une discothèque en plein air, tant il y a de gyrophares et de fumées de gaz lacrymogène. C’est assez fascinant. On déchante, quand on sait les migrant.e.s aveuglé.e.s et poursuivie.s. par des matraques. On se sent en danger. Même en plein jour, sans les lumières policières et avec moins de gaz, la rocade de Calais, entourée de grillages et de barbelés, est très anxiogène avec ses fourgons de CRS à chaque sortie. C’est cette violence là que l’on retient.

À en occulter la violence quotidienne, invisible et silencieuse à l’encontre des exilé.e.s en transit.

Le gaz, encore, utilisé chaque jour et chaque nuit pour vérifier que personne n’est monté dans un camion vers la Grande-Bretagne.

Il faut parfois insister pour qu’une personne lâche que oui, la nuit passée, elle a été bousculée, qu’un policier lui a donné un coup de pied quand elle est descendue du camion.

Les « dégage ! » jetés par les forces de l’ordre, au point que c’est souvent le premier mot que les migrant.e.s apprennent de la langue française… Et on voudrait faire croire qu’elles et ils sont les bienvenu.e.s et qu’ils et elles sont invité.e.s à demander l’asile en France ?

Parce que cette violence-là est moins évidemment choquante que ce qu’on a pu voir sur les vidéos et les photos prises par les militants, parce que les soutiens, les personnes qui sont le plus en contact avec les exilé.e.s, sont trop occupé.e.s par l’urgence vitale, on l’oublie, cette violence, ou pire : on s’y habitue.

On ne pense pas à demander aux gens, quand on les croise, s’ils ont eu des problèmes avec la police. Ou, si on y pense, on évite la question par peur des réponses qui pourraient être données.

Si les coups sont moins fréquents et restent dans les mémoires, le gaz, les insultes, le délit de faciès font partie de la vie quotidienne des migrant.e.s en transit dans le quart nord-ouest de la France. Même elles et eux, qui ont trop souvent connu plus de violence physique au long de leur parcours, ne relèvent plus. Il faut parfois insister pour qu’une personne lâche que oui, la nuit passée, elle a été bousculée, qu’un policier lui a donné un coup de pied quand elle est descendue du camion, etc…

Dernièrement, la police aux frontières a innové en gare d’Hazebrouck, dans le Nord : interdiction aux exilé.e.s muni.e.s d’un ticket de prendre le train ou même de pénétrer dans la gare. Laisser les personnes plusieurs heures sans boire ni manger, dans l’attente d’un moment d’inattention policière ou d’un manque de relève, pour pouvoir monter dans un train.

C’est que les personnes en transit arrivant par l’Italie, l’Espagne ou la Hongrie traversent souvent la France en train. Notamment entre Paris et les campements du littoral nord, où elles tentent de monter ensuite dans les camions et les bateaux qui vont vers la Grande-Bretagne. Beaucoup d’exilés arrivent à Calais en train.

Celles et ceux qui vivent dans les campements situés près des aires de services des autoroutes qui mènent à Calais prennent le train quasi quotidiennement.

Ils et elles montent dans les camions garés sur les aires de repos et, si la gendarmerie ne les fait pas descendre là, le camion démarre, un peu plus lourd, vers Calais. C’est très souvent à Calais que les personnes sont repérées et descendues du camion.

Malgré les chiens et les capteurs de toutes sortes, les forces de l’ordre préfèrent souvent envoyer du gaz dans les camions. Ça fait gagner du temps, ça évite de devoir entrer dans le camion pour vérifier que personne ne s’y est caché. Les exilé.e.s sont bien obligé.e.s de tousser, de sortir, les yeux et la gorge brûlés.

Ensuite, quand ça se passe au mieux, ces gens, qui ont passé une nuit blanche accroupis entre deux palettes, doivent aller jusqu’à la gare, pour prendre un premier train, puis un second pour celles et ceux qui rejoignent des campements et des aires de repos plus au Sud. Le passage étant de plus en plus difficile, rares sont les exilé.e.s qui après un mois ont encore assez d’argent pour payer les billets de train.

À la gare de Calais, déjà, les billets sont contrôlés avant l’accès au train. Et les personnes racisées et « portant baluchon » qui prennent un billet pour quelques stations sont accompagnées par des policiers qui leur indiquent gentiment quand elles sont arrivées à destination qu’il est hors de question qu’elles poursuivent leur voyage jusqu’à Hazebrouck.

Celles qui parviennent à Hazebrouck, où il faut changer de train, ont désormais le bonheur de se voir interdire l’accès à l’intérieur de la gare, ne serait-ce que pour acheter leurs billets.

Et lorsque, par chance, quelques-unes réussissent à accéder à un guichetier qui refuse de suivre les consignes données par la police de « ne pas vendre de billets aux migrants », quand enfin elles ont un billet pour Isbergues ou pour Lens (les gares les plus proches des campements), les agent.e.s de la police aux frontières les obligent à sortir de la gare, réclamant un passeport ou un titre de séjour pour pouvoir prendre le train et ce de manière parfaitement discriminatoire, affirmant reconnaître les exilé.e.s à leur couleur de peau et « à leur baluchon ».

Désormais, après les nuits blanches passées dans les remorques des camions, après les gaz et les bousculades pour sortir de ces remorques qui ne les emmèneront finalement pas en Grande-Bretagne, les exilé.e.s en transit sont empêché.e.s de repartir vers les lieux de passage. Une manière comme une autre de tenter, une fois de plus de faire disparaître ces camps et les personnes qui s’y trouvent.

Post-scriptum

Nan Suel est membre de Terre d’Errance, association de soutien aux exilé.e.s, crée en 2008 à Norrent-Fontes (Hauts-de-France), https://terreerrance.wordpress.com.