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Répétition, rébellion, répression 100 ans d’histoire d’images en Iran

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Répétition, rébellion, répression

« The Silent Majority Speaks » de Bani Khoushnoudi, Iran/Hollande, 94 min, 2010-2014, monté par Bani Khoshnoudi, produit par Pensée Sauvage Films avec le soutien du fonds Jan Vrijman – IDFA. Présenté au Forum des Images le jeudi 24 novembre 2016 à 17h30, en présence de la réalisatrice.

Prise dans le Mouvement vert de Juin 2009 en Iran, la réalisatrice du film The Silent Majority Speaks aurait pu montrer ce que dit l’image au moment où le silence est brisé. C’est ce que j’ai cru d’abord. L’image serait la mémoire immédiate, la future archive, de la rébellion de 2009 ; mais en choisissant de remonter 100 ans d’histoire des images pour comprendre celles de 2009, elle dit tout autre chose.

En 1906, ayant créé le premier Parlement, le mouvement des constitutionnalistes est réprimé dans le sang. Un an plus tard, ils reprennent le pouvoir, marquant une étape majeure — dont les images hantent encore le Mouvement vert, le jour des élections, le 13 Juin 2009. 13 Juin 2009, ce jour-là en effet, le mouvement est immobilisé : c’est un embouteillage traversé de klaxons. Entre les foules en liesse disputant des mérites et démérites de Moussavi et du système avant le jour des élections, et le soulèvement post-électoral réprimé violemment suite à la victoire contestée d’Amardinejad, il y a cette foule réduite à l’arrêt et au silence. Reprennent les images de poings levés, de bannières, de foule et de cris, puis dès le 15 juin 2009, celles de la foule qui manifeste silencieusement. Commence alors une histoire tendue et inquiète des rébellions en Iran, doublée de celle des images qui la ponctuent. Révolution constitutionnelle de 1906, réprimée, annoncée par l’assassinat du roi Qadjar Nasseredin Shah par Mirza Reza Kermani, pendu trois mois après, en 1896. Les régimes autoritaires incarnés par leur leaders se succèdent. La main agitée devant leur peuple (Reza Shah, l’ayatollah Khomeiny), alterne avec les foules en rébellion en 1906, 1951, 1979 et longuement les mots et les gestes de 2009. 100 ans ont passé et les revendications populaires sont inchangées.

Bani Khoshnoudi relit l’histoire de l’Iran dans les images de rébellion et de répression en même temps qu’elle lit dans la répétition des formes les motifs d’une inquiétude. Les images inspirent les foules contestatrices en 2009. Il est possible aussi que les images les abusent.

Le film est en excès de son titre, il immortalise un point de fixation où l’image de l’histoire immédiate est immédiatement hantée par celles qui l’ont précédée. Ce film est à la croisée d’une histoire des images et des images de l’histoire. C’est aussi un film en excès des images qu’il propose. The Silent Majority Speaks est traversé par le mouvement au point où le doute interdit de faire parler ni le mouvement, ni les images. « Au début, je voulais me débarrasser du matériel, le donner à quelqu’un d’autre, à qui voudrait faire un film, car c’était trop pour moi » [1] En excès car la charge en est trop lourde et les images trop en deçà de ce qui s’y joue. En excès, parce qu’il est au delà de l’outrance à laquelle il faut se prêter pour le construire. À la transe des foules manifestant pour Moussavi, suivent le risque de filmer alors que la violence monte, et celui de diffuser un film qui lui interdirait de retourner en Iran. Mais, ayant quitté le pays, la réalisatrice s’oblige à lire tous les livres et à voir tous les documents. Elle choisit de faire une histoire des images, qu’elle tisse à partir d’une question posée par l’angoisse même : « Where is this place where every door is closed ? » Entendre où chaque image s’est fermée, comme si elles avaient cessé un moment pour la cinéaste de livrer leur quota d’associations et de correspondances : les formes se répètent au point où elles se confondent ou se perdent, au point où le son et la voix se brisent, où le doute s’immisce, et au delà, au point où la question renaît : que faire de notre engouement pour ces images ? que faire de nos désirs de révolution ?

Notes

[1Voir Sessions de cris nocturnes, entretien avec Nicole Brenez.