« mon histoire est celle d’une société » entretien avec Majd al-Dik

Majd al-Dick a écrit, avec le concours de Nathalie Bontemps, un récit de la révolution syrienne à la première personne. Un livre qui donne à comprendre un pays sous État policier, une famille et une enfance dans la banlieue de Damas, le travail dès l’âge de 10 ans, l’adolescence sans perspective, puis à 23 ans l’exaltation des premières manifestations, l’emprisonnement et la torture, les checkpoints, le siège, les bombes, la survie et la solitude des héros, un livre qui donne le vertige de vivre à notre époque. Aujourd’hui, la population syrienne est toujours sous les bombes, Majd est ici, en France, et il ne décolère pas.

Paris, janvier 2017. Il est 21 heures. Je reborde mon garçon endormi, la porte sonne, c’est Vanessa, empaquetée de manteaux et d’écharpes, besace en bandoulière et bouteille de vin rouge à la main : « Des munitions », plaisante-t-elle. La porte sonne à nouveau, c’est Majd. Nous nous installons. Une timidité circule entre nous comme un courant d’air, les plaisanteries s’éteignent. Majd al-Dik a trente ans peut-être, un sweat à capuche avec des écritures dessus, des yeux noirs, mats, du genre qui n’incitent pas à aller regarder à l’intérieur. Majd parle le français, mais pas assez pour s’exprimer avec la précision qu’il voudrait. Vanessa parle l’arabe, juste assez pour traduire la parole nerveuse et rapide de Majd. Elle prendra en note ses réponses, que je lirai au fur et à mesure sur l’écran de son ordinateur.

Comment le livre s’est-il écrit ?

Nathalie Bontemps me connaissait, et connaissait également un journaliste de Médiapart, Pierre Puchot, qui a souhaité m’interviewer, et c’est suite à cet article que les éditions Don Quichotte nous ont proposé, à Nathalie et à moi, d’écrire ce livre.

Je venais de sortir du pays, de quitter la Syrie, j’étais seul ici, désœuvré, impuissant, dans un pays et dans une langue inconnue. Dans ces moments-là, tous les souvenirs et tous les sentiments reviennent. C’était comme être envahi par des voix intérieures. Je n’avais jamais imaginé que je quitterais un jour la Syrie, l’arrivée en France a été vraiment dure. Je ne suis pas seul dans ce cas. Nombreux sont ceux qui ont joué un rôle majeur dans la révolution, qui ont tout donné pour leur pays, et qui se trouvent aujourd’hui en exil, ou réfugiés à Idlib — une ville du nord de la Syrie, sous contrôle de diverses forces armées d’opposition où sont regroupés les opposants exfiltrés des zones reconquises par le régime. La proposition des éditions Don Quichotte m’a paru une occasion unique, impossible à refuser. L’occasion de raconter l’histoire des gens, des gens morts, des gens restés là-bas.

Pour ce livre, on a travaillé par étapes. J’écrivais des textes que j’envoyais à Nathalie. On les assemblait. Puis nous revenions dessus ensemble. Nathalie me questionnait. Elle m’amenait à formuler plus de détails, à mener plus loin l’introspection, au cours d’entretiens qui duraient parfois six heures et que nous enregistrions. La rédaction du texte final en français — par Nathalie — est le résultat d’un montage de mes textes et de ces entretiens enregistrés.

Ici, les médias se font l’écho d’une actualité dite géopolitique qui ne s’intéresse ni aux gens, ni à ce qu’ils vivent au quotidien. Aujourd’hui, on n’entend plus parler de soulèvement. On a l’air de considérer que si la société se tait, c’est donc que tout va bien, que tout est arrangé. Il faut comprendre pourtant, même si c’est difficile depuis la France, que l’expression personnelle des gens en Syrie est soumise à d’énormes pressions. Elle l’était déjà avant la révolution. Un régime policier, tel celui de la Syrie des Assad, a usé et use encore de toute sortes de dispositifs pour museler l’expression. Pourtant, si on n’interroge pas les sentiments qui parcourent la société, les sentiments d’injustice, d’oppression, on ne comprend rien.

Mon histoire est l’histoire d’une société. Je raconte une torture collective, qui ne s’achève pas avec la fin de mes souffrances. Dans ce type de circonstances, on ne se focalise pas trop sur son cas individuel. Ce récit est écrit à la première personne mais mon affaire n’était pas d’écrire une histoire « personnelle ».

Je désigne à Majd ce passage extrait de son récit dans lequel il raconte comment, adolescent, il est devenu stagiaire dans l’organisation humanitaire du Croissant rouge syrien tout en travaillant en usine. [Le Croissant rouge est l’équivalent de la Croix rouge dans les pays musulmans] :

« Les douleurs lombaires ne me quittaient plus ni les crampes aux épaules. Je n’avais même plus la force de me masturber avant de dormir. L’huile me maculait les mains, me tachait les bras et les jambes à travers les vêtements. J’avais l’impression que je n’arriverais jamais à la faire partir. Abou Khaled nous gardait jusque huit heures du soir.

Mon oncle Bachir qui était encore célibataire à cette époque, passait ses soirées chez nous. Il était avocat, et président du Croissant rouge de Douma. Pour me changer de l’atmosphère de l’atelier, il m’a proposé de me porter volontaire. C’était deux univers radicalement différents. À passer de l’un à l’autre, une sorte de schizophrénie s’est emparée de moi. [...] C’était des étudiants. Leur allure, leur parole était différente. J’en percevais la douceur, mais sans oser m’en approcher. Devant eux, j’avais l’impression d’être Khaled. Du stage, je retiens d’abord le sandwich baptisé “suprême”, découvert lors d’une pause déjeuner. »

Est-ce que cet épisode est pour vous le moment d’une prise de conscience de ce que la sociologie imprime sur les individus ?

C’est surtout le moment de l’adolescence, non ? Le moment des prises de conscience et des choix pour n’importe quel jeune. D’autant que l’adolescence signifie, en Syrie, l’approche du service militaire, soit deux ans ou deux ans et demi passés plongé dans un monde sans règle, soumis au bon vouloir d’officiers tout puissants. Avant la révolution, bien des jeunes se faisaient enrôler dans les organisations qui dépendaient du parti Baath [1]. C’était juste pour avoir des espoirs d’avenir, trouver un travail par exemple. Dans certaines de ces organisations, on trouvait d’ailleurs un état d’esprit assez éloigné de celui du parti unique... tant qu’on évitait les questions politiques. Car la seule politique possible se résumait à un nom : Assad.

Les organisations qui étaient orientées vers le travail humanitaire offraient des possibilités un peu différentes. J’ai pu y rencontrer des Irakiens, des Libanais, lors des événements de 2006. Mais là aussi, la pression sur les individus restait forte. Du temps où j’étais bénévole, la photo de Bachar était présente et obligatoire dans tous les bureaux du Croissant rouge. Elle l’est toujours, d’ailleurs.

Pour revenir à la question de la sociologie : différentes communautés existaient en Syrie et elles n’étaient pas en guerre les unes contre les autres. Rien n’empêchait catégoriquement les relations sociales entre les unes et les autres, et rien ne l’empêche toujours maintenant. Non, la vraie question qui nous taraudait était : quelles possibilités existent, pour un jeune ?

La jeunesse de Majd coïncide avec les printemps arabes. Je lui cite un autre passage du livre :

« Cette année là, c’est sur le téléviseur familial, un Syronics offert par mon oncle Bachir, que j’ai vu pour la première fois les images de la révolution égyptienne. À Damas, ces images défilaient sur l’écran de téléviseurs suspendus dans les magasins et les lieux publics. La rue était muette. Le contraste entre l’ébullition de la foule égyptienne et notre silence était assourdissant.

J’ai croisé Adnan Wahbeh. On disait de lui que c’était un opposant socialiste, qui avait longtemps été détenu dans les sous-sols de la sûreté. « Vivement notre tour ! » s’est-il écrié, me laissant abasourdi par une telle réplique. Puis il m’a pris un peu de côté pour m’informer qu’une manifestation aurait lieu à Douma le vendredi suivant. La peur m’a envahi tout entier rien qu’à entendre ces mots. Je l’ai quitté sans dire si j’en serai, ou non. Les cinq jours qui nous séparaient de cette fameuse journée, le vendredi 25 mars 2011, ne m’ont pas suffi pour prendre une décision. J’ai écouté le sermon du vendredi diffusé sur les hauts parleurs de la mosquée, puis, à la fin, j’ai observé les gens se rassembler devant l’édifice et crier : “Allah Akbar !”. Puis quelqu’un a lancé : “Horiyeh !” (liberté) et les autres ont repris derrière lui. J’ai eu la chair de poule. »

« Le concept de liberté vient juste d’arriver. Pour les Occidentaux, la liberté, c’est le concubinage, c’est d’enlever le voile. Pour un Syrien, c’est autre chose, manifester par exemple. »

Les traditions, les habitudes, sont fortes en Syrie. Le concept de liberté vient juste d’arriver. Pour les médias occidentaux, la liberté, c’est le concubinage, c’est d’enlever le voile. Pour un Syrien, c’est autre chose, manifester par exemple, c’est déjà beaucoup. Les rassemblements étaient interdits, en raison de l’état d’urgence instauré en Syrie depuis 1970, donc c’est dans l’attroupement habituel du vendredi, au sortir de la mosquée, que les premières manifestations se sont formées. Mais elles n’avaient rien de confessionnel. C’était avant tout une contestation de l’État policier, du joug de la peur et de la délation. Mon premier slogan a été : « UN UN UN, le peuple syrien ne fait qu’UN ».

« La manifestation se dirigeait en direction de la place de la mairie. Beaucoup de gens surgissaient des rues adjacentes. Certains nous rejoignaient sans hésiter, d’autres détournaient le regard et empruntaient immédiatement la direction inverse. Certains nous observaient de loin. Ils avaient peur d’être avec nous, mais ils voulaient voir. Selon moi, c’était déjà participer. »

Mais l’État a répondu avec son armée, des matraquages, des tirs à balles réelles, une violence disproportionnée qui ne visait pas uniquement les activistes, mais tout le monde, y compris des femmes et des enfants rentrant chez eux. Le régime a pour stratégie d’anéantir les populations civiles en prenant pour cibles systématiques les habitations mais aussi les marchés, les entrepôts de denrées alimentaires — exactement comme les actions menées par les Russes contre Alep. C’est une tactique d’épuisement de la société civile, qui, du coup, n’a que le temps de parer au plus pressé. Pourtant elle a été contre-productive, notamment vis-à-vis des personnes les moins politisées. Quand on se trouve pris dans une bataille militaire, que les représailles pleuvent, que la ville se trouve assiégée, alors qu’on était sorti chercher du pain, on comprend vite que la neutralité est vaine. Beaucoup d’individus non politisés ont rejoint les manifestations après les premières violences.

Pour dire encore un mot du Croissant rouge. Dés le début de la révolution, cette organisation n’a plus été en mesure de jouer son rôle et le régime l’a reprise en main. Aujourd’hui, on peut dire que c’est Bachar al-Assad en personne qui dirige le Croissant rouge. Et de très nombreux bénévoles ont été mis en détention. Le régime est le bénéficiaire principal de cette organisation ainsi que de toute les organisations internationales légalement présentes en Syrie. Et il faut savoir qu’aujourd’hui, les organisations syriennes contrôlées par le régime — comme le Croissant rouge ou même l’organisation de la femme de Bachar al-Assad — reçoivent des financements internationaux, notamment occidentaux [2].

Les habitants des zones qui ne sont pas contrôlées par le régime sont considérés comme des « terroristes », et les humanitaires qui s’y risquent sont aussitôt accusés de « soutien à une activité terroriste ». Et quand, en 2014, il y a eu un accord autorisant des organisations à porter de l’aide dans la Ghouta orientale (la région agricole autour de Damas), dans certaines villes assiégées comme Darraya, qui subissait le siège depuis trois ans et demi, la ville ne leur a été ouverte qu’une heure. Ils n’ont délivré qu’une aide dérisoire.

Une région comme la Ghouta orientale, en périphérie de Damas, par exemple, avait avant la guerre une agriculture forte, un artisanat. Le peuple syrien est un peuple industrieux. Le travail y est valorisé. Depuis six ans, dans la Ghouta assiégée, l’activité est à l’arrêt. Les infrastructures locales sont détruites, l’agriculture, l’élevage aussi, les gens se nourrissent de granulés pour bestiaux, les prix sont délirant : 50 000 livres syriennes le kilo de riz au lieu de 200. La population voit du sang tous les jours. Ce n’est bon pour personne. Je pense en particulier aux enfants. Dans les zones libérées du régime, des Conseils locaux ont été créés. Ces organisations auraient eu grand besoin de soutien, et pas seulement d’un soutien financier. Pourquoi les États démocratiques n’ont-ils pas reconnu ces institutions qui sont pourtant démocratiques ? Et l’ONU ? Rien que le processus de documentation de l’ONU demande des années... Le siège est un crime de guerre, et pourtant, les Nations Unies n’envisagent aucune intervention. Ah, si, ils envoient des bus verts [3]... Et il faudrait aussi revenir sur la trahison d’Obama, son engagement non tenu sur les armes chimiques. Après ça, comment faire entendre aux Syriens qu’on fait partie d’une même humanité ? Aucune loi n’a protégé le peuple syrien.

Donc, les gens ont mille raisons de rejoindre Daesh. Les avancées de Daesh ne s’expliquent pas par des raisons religieuses mais par des raisons économiques. Là où l’État s’est retiré, là ou l’État impose le siège, les gens manquent de tout, de services, d’approvisionnement. Et puis, il faut comprendre aussi que quand une famille perd un martyr ou quand elle perd sa maison dans un bombardement, qu’elle doit trouver de la nourriture, un abri... Elle devient dépendante des aides, d’où qu’elles viennent. Et c’est à Daesh que la situation profite. Daesh exploite les vides, les spécificités de chaque région. La société syrienne est structurée par des organisations familiales, tribales. Il suffit qu’un responsable de tribu trouve des accords avec Daesh pour que Daesh monopolise un secteur, une région. À Misraba, dans la Ghouta orientale, les combattants locaux se sont masqués pour livrer bataille à Daesh, pas par crainte des représailles politique, mais par peur d’être reconnus par la famille, par le clan.

« Ici, en France, on m’a donné un nouvel acte de naissance. Mais c’est dur, pour moi, d’ être réfugié dans un pays qui reconnaît Bachar al-Assad comme président de la Syrie, alors qu’à mes yeux, c’est un criminel. »

Dans son livre, Majd parle aussi de ceux-là : ceux qui, en dépit de la nécessité hurlante, refusent Daesh tout en résistant à Assad. Nous n’arriverons pas à parler d’eux ce soir avec Majd, fatigue, pudeur, pourtant ce livre est aussi le portrait d’une population qui a soulevé le couvercle de la peur, témoignant d’une « grandeur qui a été une fois, a en tout cas été possible autrefois, et sera par conséquent encore possible un jour », comme disait Friedrich Nietzsche, quelque part dans un article lu récemment sur le net. Mais le témoignage est sans emphase et sans idéalisation : portrait de Fouad le rebelle, de Jalal le compagnon de cellule, portrait du jeune homme de Harasta, emprisonné à cause de la couleur de son pantalon, et qui préfère la torture à la dénonciation de ses camarades d’infortune, portraits de médecins dont « la vie conjugale avait pris fin », qui « vivaient dans le sang, voyaient les corps de l’intérieur, les entrailles qui sortaient des ventres, les cerveaux qui jaillissaient des crânes », qui « n’éprouvaient plus les même sentiments que les autres, et ne savaient plus s’ils aimaient ou haïssaient leurs semblables » « seuls avec cinquante blessés, et la souffrance psychique de ne pouvoir les sauver tous. » Portraits d’individus transcendés, mais au prix de quels dommages, de quelles pertes. « Seuls les morts réchappent à un massacre », note Majd au début du livre.

Comment Assad imagine-t-il pouvoir gouverner un pays qu’il a détruit, un pays où la moitié de la population (12 millions de personnes) a été soit déplacée, soit exilée ?

Maintenant que l’Iran et la Russie sont entrés dans le pays et se sont approprié les terres, maintenant que l’occupation est officielle, pourquoi rendraient-ils gratuitement les territoires à Assad ? Le régime de Bachar est un régime omniprésent, mais vide. Il poursuit des opérations militaires mais il n’a aucune stature politique. Difficile de penser qu’il pourrait en regagner une dans le futur. Aujourd’hui, il n’y a pas de politique en Syrie. Il y a seulement des situations militaires, des rapport de force.

Donc, je n’imagine rien. Une maison, c’est quelque chose que tu peux mettre cinquante ans à construire. Tu la perds en quelques minutes. Ici, en France, on m’a donné un nouvel acte de naissance, comme à chaque réfugié. Mais c’est dur, pour moi, d’être réfugié dans un pays qui reconnaît Bachar al-Assad comme président de la Syrie, alors qu’à mes yeux, c’est un criminel. Dur aussi de se trouver coincé, par la société française, dans des classifications identitaires : être ou ne pas être musulman, boire du vin ou ne pas en boire... C’est dur. C’est dur quand on ne part pas par choix. On est sorti mais on ne souffle pas pour autant.

Depuis la France, je continue de travailler pour l’association Source de vie, que j’ai initiée en 2013 dans la Ghouta orientale assiégée. Ça a commencé par la réouverture d’une école dont les enseignements étaient tournés vers des objectif de paix, et l’aide psychologique aux enfants. Puis la situation a changé, à cause des bombardements, de la précarité extrême, et il a aussi fallu imaginer des projets pour aider les femmes, les familles. Les difficultés de l’association sont de plusieurs ordres. La première est que l’aide humanitaire — alimentaire, médicale, technique — est accusée d’être « soutien à des groupes terroristes », dès qu’elle bénéficie aux populations qui se trouvent hors des zones tenues par le régime d’Assad. Passer un checkpoint avec, dans son véhicule, vingt seringues stériles, peut vous valoir emprisonnement et torture. La seconde est que les donateurs, ici, ont des exigences, et la plus grande des peines à comprendre la réalité de la situation en Syrie. Par exemple, il nous a été demandé trois devis d’entrepreneurs pour la remise en état d’une école — alors qu’on aurait déjà bien du mal à trouver ne serait-ce qu’une entreprise fonctionnelle, dans la zone assiégée, et que les travaux ne peuvent se faire qu’avec les bonnes volontés des uns et des autres. Ou encore, on nous demande une liste des familles bénéficiaires des aides. Mais qui voudrait faire courir ce risque aux familles, sachant qu’avoir son nom sur la liste d’un « soutien de groupe terroriste » peut être fatal ?

Ici, Vanessa interrompt sa transcription. Elle participe à une association humanitaire qui agit en Syrie, et ajoute au propos de Majd une anecdote, celle d’un donateur qui a reconsidéré son aide car il trouvait les colis alimentaires pas assez équilibrés — trop peu de fruits et légumes selon lui — quand, sur place, les populations en sont réduites à se nourrir de galettes de granulés pour vache. Je cite le passage du livre où Majd donne la recette de la galette ainsi fabriquée, avant de conclure « Elles étaient dures comme du bois, contenaient des morceaux de plastique, des grains de sable, des matières impropres à la consommation. Il fallait vraiment avoir un estomac de vache pour les digérer, et je crois que ça n’était pas facile pour elles non plus. Mais tout le monde en mangeait. »

Aujourd’hui, Source de vie compte quatre membres en France, des membres au Liban, cent quatre-vingt personnes en tout. L’association fait fonctionner cinq écoles en Syrie. Mille cinq cent familles dépendent de l’association. Nous avons même maintenant un bureau pour les archives, et une vraie reconnaissance locale. Je ne suis pas tout seul, je ne peux pas arrêter, on n’a pas d’autre choix que continuer. J’habite ici mais je suis tout le temps connecté... Skype, Viber, WhatsApp... Et ça aussi, c’est dur. Comment faire un Skype avec une personne qui est là-bas, qui est désespérée ? Bonjour, comment ça va ? Et hop, tu es déconnecté.

Notes

[1Le parti Baath est un parti fondé en 1947 à Damas qui est arrivé au pouvoir par un coup d’État en 1963. Dans les années 1970, il est devenu le plus important des partis autorisés en Syrie, quasiment un parti unique.

[2Sur le travail des ONG internationales en Syrie, voir l’article de Gabrielle Latour, p. 22.

[3Les bus verts sont des bus de l’ONU par lesquels les habitants ou combattants des zones reprises par le régime, comme Alep, sont exfiltrés vers d’autres villes, souvent vers Idlib.