Vacarme 81 / Cahier

l’itinéraire de Frantz Fanon

No Direction Home Deuxième partie

par

Portrait de Frantz Fanon en couverture du livre de Raphaël Confiant, «L’insurrection de l’âme» (Caraïbéditions).

No Direction Home

On avait laissé Frantz Fanon, dans le précédent numéro, au moment de son expulsion d’Algérie en janvier 1957 alors qu’il venait de rencontrer Abane Ramdane, leader contesté du FLN. On suit maintenant son cheminement intellectuel jusqu’à la rédaction des Damnés de la terre, son dernier ouvrage dont il s’agit de relire notamment les exhortations utopiques qui le traversent. S’il y est aussi forcément un peu question de Sartre qui en rédigea la préface, il en va surtout de la portée toujours aussi vive des questions posées par Fanon à l’humanisme occidental et de la critique radicale des barrières entre les riches et les pauvres.

En 1957, Fanon prit l’avion pour Tunis, en faisant escale à Paris — son ultime passage en France. Il partagea son temps entre la clinique Manouba, où il reprit sa pratique de la psychiatrie, et les bureaux d’El Moudjahid, le journal en français du FLN, dont il rejoignit l’équipe rédactionnelle. Dans ses fonctions de porte-parole du Front auprès des médias à Tunis, il émanait de lui une énigmatique séduction. Vivant dans un pays arabe indépendant qui soutenait la lutte des Algériens, Fanon n’avait plus à cacher ses sympathies. Paradoxalement, il lui fallut cependant prendre encore plus de précautions qu’à Blida. Derrière tous les appels à l’unité, les tensions étaient grandes entre les factions du FLN et Fanon, n’ayant aucune position officielle au sein de la direction, était un outsider vulnérable. Son allié le plus puissant au sein du mouvement était Abane Ramdane, le leader de l’« intérieur », mais Fanon, passé de l’autre côté de la frontière, travaillait pour les forces « extérieures », qui voyaient en Ramdane une menace pour leurs intérêts.

Les collègues de Fanon au sein du FLN n’appréciaient pas toujours les articles qu’il rédigeait pour El Moudjahid, en particulier lorsqu’il dénonçait avec ardeur les « belles âmes » de la gauche française qui condamnaient la torture mais refusaient de soutenir le FLN à cause de ses attentats contre les civils. Pour les chefs du FLN à Tunis, nationalistes pragmatiques, il fallait intensifier les divisions qui existaient en France autour de l’Algérie, et non condamner la France en tant que telle. À la différence de Fanon, ils n’avaient pas à prouver qu’ils étaient des Algériens. La sincérité des écrits de Fanon était indéniable : il était enclin à adhérer aux positions les plus combatives, et avait un vieux compte à régler avec l’intelligentsia française. Mais sa ferveur reflétait aussi le désir d’être accepté comme un camarade algérien. Selon l’historien Mohammed Harbi, un dirigeant de l’aile gauche du FLN qui a croisé Fanon à Tunis et a parfois croisé le fer avec lui, Fanon « avait un très fort besoin d’appartenance ».

Si Fanon avait des doutes sur les méthodes du FLN, il les gardait pour lui. Sa première déclaration publique à Tunis, lors d’une conférence de presse en mai 1957, fut une réponse au massacre par le FLN de trois cents civils du village de Melouza en Kabylie du Sud. Le FLN était déterminé à écraser toute opposition algérienne à son leadership, et Melouza avait été une place forte du Mouvement national algérien de Messali Hadj, un groupe insurgé rival. Fanon dénonça l’« odieuse machination de Melouza », affirmant que les autorités françaises en étaient responsables. Qu’il ait su ou pas ce qui s’était réellement passé à Melouza, cela n’avait peut-être pas d’importance à ses yeux : comme il l’écrirait plus tard, « la vérité est tout ce qui peut hâter la désintégration du régime colonial ».

Un an après le massacre de Melouza, El Moudjahid annonça en Une que son ami Abane Ramdane était mort « au champ d’honneur ». En fait Ramdane, mort depuis cinq mois, n’avait pas été tué sur le champ de bataille. Ses camarades d’autrefois l’avaient attiré dans une villa au Maroc et étranglé. La direction extérieure voulait depuis longtemps prendre le contrôle de la révolution, et Ramdane, figure de proue de la lutte intérieure, leur faisait obstacle. Le vrai pouvoir était maintenant aux mains des éléments extérieurs du FLN et de ce qu’on appelait l’armée des frontières. Fanon, suffisamment proche des services secrets pour connaître la vérité sur le meurtre de son ami, ne dit rien. Ébranlé par la mort de Ramdane, il se réconcilia avec l’armée des frontières, dans l’intérêt de la révolution — le commandement militaire, en Tunisie et au Maroc, était de plus en plus la force dominante — mais aussi pour assurer sa propre protection : selon Harbi, son nom figurait sur une liste des personnes à exécuter au cas où la direction du FLN ferait face à une contestation interne.

Il n’était pas vraiment plus en sécurité dans sa pratique médicale à la clinique Manouba, où il commença à introduire la thérapie sociale qu’il avait pratiquée à Blida. Le directeur de la clinique, le docteur Ben Soltan, l’appelait « le négro » et l’accusait d’être un espion sioniste et de maltraiter les patients arabes sur ordre des Israéliens. La preuve ? Fanon avait dénoncé l’antisémitisme dans Peau noire, masques blancs, et avait parmi ses proches deux médecins juifs tunisiens. Fanon réussit à garder son poste, mais se consacra à l’hôpital Charles-Nicolle, où il créa, avec le soutien des autorités locales, le premier hôpital psychiatrique de jour en Afrique.

Comme toujours, il atteignait une certaine tranquillité quand il écrivait — ou plutôt dictait à sa femme, Josie, ou à sa secrétaire, Marie-Jeanne Manuellan. Son premier livre sur le combat algérien, L’An V de la Révolution algérienne, fut écrit en trois semaines au printemps 1959. Compte-rendu passionné d’un éveil national, c’est aussi un témoignage des espoirs utopistes qu’il suscita chez l’auteur, qui se considérait comme Algérien après trois années passées à Blida. Cet homme complexe et raffiné était aussi très influençable, et L’An V de la Révolution algérienne semble souvent exprimer les idées - ou les rêves - d’Abane Ramdane sur l’Algérie post-indépendance. Dans L’An V , la révolution algérienne n’est pas seulement un soulèvement anticolonial, mais aussi une révolution sociale contre le traditionalisme religieux et le patriarcat. Tout ce qui peut sembler une réaffirmation de la tradition, par exemple l’adhésion de certaines Algériennes au haïk, est en fait l’expression politisée d’un défi. Si les femmes se voilent, c’est parce que « l’occupant veut dévoiler l’Algérie. » Malgré toutes les invocations de l’islam, affirmait Fanon, le nationalisme algérien était un nationalisme de la volonté, et non de l’ethnicité ou de la religion, ouvert à qui voulait rejoindre la lutte. Il louait les « démocrates » européens qui refusaient de livrer les noms de leurs camarades sous la torture, et décrivait les juifs du FLN comme « les yeux et les oreilles de la révolution ». L’Algérie indépendante serait une république multi-ethnique, création collective des colonisés et des colonisateurs qui abandonneraient leur statut colonial. Mais ce n’était qu’une vue de l’esprit : la vision de Ramdane perdait rapidement toute influence, en partie parce que l’armée française avait écrasé le commandement de l’intérieur du FLN lors de la bataille d’Alger. Après l’indépendance, les droits des femmes du maquis seraient considérablement restreints ; les pieds-noirs fuiraient en masse vers la France, à l’instar des juifs d’Algérie. Ceux qui imaginaient une Algérie multi-ethnique sont restés une minorité, dont le nombre diminuait à chaque atrocité commise par les pieds-noirs ou l’armée. La seule revendication consensuelle au sein du FLN - à part l’indépendance - était le rétablissement de l’identité arabe et islamique de l’Algérie, que la France avait réprimée pendant plus d’un siècle dans l’espoir chimérique de rendre l’Algérie française. Fanon avait raison de penser que l’effort français pour « émanciper » les musulmanes en les forçant à retirer le voile n’avait fait que rendre le voile plus populaire ; mais ce qu’il ne réussit pas à voir (ou refusa de voir), c’est que des secteurs influents du mouvement nationaliste tenaient à renforcer le conservatisme religieux. On sait, par une lettre qu’il envoya à un jeune admirateur iranien vivant à Paris, l’islamiste révolutionnaire Ali Shariati, que Fanon voyait dans le retour à l’islam une illusion, un « repli sur soi » masqué sous l’apparence de la libération de « l’aliénation et de la dépersonnalisation ». Mais il s’abstint d’exprimer ces idées en public, et certains membres de la gauche du FLN étaient furieux que la bourgeoisie pieuse algérienne ait, comme disait Mohammed Harbi, trouvé en Fanon un représentant qui pouvait faire passer son comportement pour progressiste.

Fanon ne réussit pas à voir (ou refusa de voir) que des secteurs influents du mouvement nationaliste tenaient à renforcer le conservatisme religieux.

Fanon « l’Algérien » ne voyait que ce qu’il voulait voir - ou ce qu’Abane voulait qu’il voie. Cependant, il décrivait brillamment les manœuvres séductrices du pouvoir impérial français, la vigueur dont la France faisait montre dans sa volonté d’émanciper les femmes musulmanes des hommes musulmans, attitude qu’on voit ressurgir actuellement en métropole. Il fut clairvoyant dans sa description de l’impact psychologique de la révolte sur les opprimés, de leur transformation en sujets de l’Histoire. De fait, la révolution réalisait ce qu’il avait espéré réussir à l’intérieur des murs de Blida : « l’immobilité crispée de la société dominée », écrit-il, a cédé la place à « la prise de conscience, au mouvement, à la création », libérant le colonisé de « cette fameuse teinte résignée que les spécialistes des pays sous-développés décrivent sous la rubrique du fatalisme ». La révolution s’avéra être le traitement du « syndrome nord-africain ».

Quand parut L’An V, Fanon avait été écarté du poste de porte-parole du FLN pour la presse à Tunis. Il fut remplacé par M’hammed Yazid, ministre de l’Information du jeune Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA), un diplomate onctueux très lié à la gauche française, que Fanon avait sermonné avec mépris. Fanon devint ambassadeur itinérant et, en 1960, fut nommé représentant permanent du FLN à Accra. Le Royaume-Uni de Libye lui fournit un « vrai faux passeport » au nom de Omar Ibrahim Fanon. Il prit son poste avec son zèle habituel.

La libération de l’Algérie, écrivit-il dans El Moudjahid, serait une « victoire africaine », une « étape dans la venue d’une humanité libre et heureuse ». Fanon voyait dans la guerre algérienne de décolonisation un modèle pour l’Afrique, position qu’il exposa pour la première fois - à l’opposé du point de vue plus conciliant de son hôte, le leader ghanéen Kwame Nkrumah - en 1958 à la Conférence panafricaine à Accra, où il conduisait la délégation du FLN et fit un discours galvanisant prônant la lutte armée comme une voie particulièrement efficace vers la libération nationale. Parmi les dirigeants africains, peu étaient prêts à le suivre. La plupart d’entre eux étaient des nationalistes culturels, tel le président sénégalais Léopold Senghor, qui célébrait l’unité africaine tout en acceptant l’intervention française dans les domaines de la défense et de l’économie, et s’alliait avec la France à l’ONU contre l’indépendance algérienne. Fanon était fou de rage de devoir justifier la cause algérienne devant des Africains et, lors d’un de ses discours, fut au bord des larmes.

Fanon pensait que l’Afrique avait besoin de militants inébranlables, tels que son ami Ramdane ; il était impressionné par Sékou Touré, l’impitoyable dictateur guinéen, et reconnut un jour qu’il avait « horreur des faiblesses », défaut dont Touré semblait être dépourvu. Les alliés les plus proches de Fanon à la conférence d’Accra étaient Patrice Lumumba, qui serait bientôt le premier Premier ministre du Congo indépendant, et Félix Moumié, un révolutionnaire camerounais. En septembre 1960, Lumumba fut renversé par un coup d’État soutenu par les Belges, prélude à son assassinat ; deux mois plus tard, Moumié fut empoisonné à Genève. « Agressif, violent, plein de colère, amoureux de son pays, détestant les lâches », écrivit Fanon de son ami assassiné. « Austère, dur, incorruptible ». À Accra, Fanon se lia aussi d’amitié avec Holden Roberto, leader de la guérilla angolaise, qu’il voyait à tort comme le porte-parole des masses rurales opprimées et qu’il appuyait de préférence aux marxistes urbains du MPLA ; en fait, Roberto était un chef tribal lié à la CIA et dont la réputation de cruauté était justifiée.

En novembre 1960, juste après la mort de Moumié, Fanon entreprit une audacieuse mission de reconnaissance, dont le but était d’ouvrir un front au sud, à la frontière avec le Mali, pour permettre le transport des armes et des munitions depuis Bamako à travers le Sahara. Il était accompagné d’un commando de huit hommes dirigé par un certain Chawki, commandant de l’Armée de libération algérienne (ALN). Ils prirent l’avion d’Accra à Monrovia, où ils devaient prendre retrouver un vol pour Conakry. À leur arrivée, on leur annonça que le vol pour Conakry était complet et qu’ils devaient attendre le vol Air France du lendemain. Soupçonnant un coup monté des services secrets français, ils firent en voiture les 2 000 km jusqu’au Mali ; ils devaient apprendre plus tard que l’avion avait été détourné vers la Côte d’Ivoire et fouillé par les Français. Le voyage vers le Mali les mena à travers forêt tropicale, savane et désert. Fanon était captivé ; dans ses notes sur le voyage, il semble possédé. « Si l’on écoute l’oreille collée au sol rouge, on entend très distinctement des bruits de chaînes rouillées, des “han” de détresse ». La plus sérieuse menace contre l’avenir de l’Afrique n’était pas le colonialisme, mais les « appétits féroces » des élites post-coloniales, et leur « manque d’idéologie ». Fanon était persuadé que sa mission était de « soulever la population saharienne, s’infiltrer jusqu’aux hauts plateaux algériens … Abrutir le désert, le nier, rassembler l’Afrique, créer le continent. » À la différence de l’Algérie, l’Afrique ne pouvait se créer elle-même ; il lui fallait des hommes ayant énergie et vision. Il appelait de ses vœux une avant-garde révolutionnaire, mais sa rhétorique de la conquête n’était pas si loin de celle du colonialisme.

La plus sérieuse menace contre l’avenir de l’Afrique n’était pas le colonialisme, mais les « appétits féroces » des élites post-coloniales, et leur « manque d’idéologie ».

La mission de reconnaissance fut un fiasco : jamais le FLN n’avait privilégié le Sud du Sahara comme une zone de combats, et le FLN et les tribus du désert se méfiaient les uns des autres. À la lecture du compte-rendu de Fanon, on sent que ses hallucinations africaines venaient d’un désespoir grandissant, qui n’était pas seulement politique mais aussi physique. Il avait perdu du poids au Mali ; à son retour à Tunis, en décembre, on diagnostiqua une leucémie. Claude Lanzmann, qui le rencontra peu après son rapatriement à Tunis, se souvient de lui comme « déjà si envahi par la mort que chacune de ses paroles était tout à la fois empreinte de prophétie et de la puissance des derniers mots d’un mourant ». Fanon adjura le FLN de le renvoyer en Algérie. Il voulait mourir au champ d’honneur, et les combattants de l’intérieur lui manquaient, eux qu’il décrivait à Lanzmann comme des « paysans-guerriers-philosophes ».

Sa demande fut rejetée. Il continua cependant de se rendre utile auprès des soldats en Tunisie. Il donna une conférence dans un poste militaire sur la Critique de la raison dialectique, dans laquelle il s’attacha tout particulièrement à l’analyse par Sartre de la « fraternité-terreur », ces sentiments de fraternité qui naissent d’une expérience partagée de menace extérieure. Il avait connu cette forme de fraternité à Blida et avec le commandant Chawki dans le désert, et il la retrouvait chez les soldats de l’ALN. Beaucoup étaient des paysans, des gens sans complaisance à qui il faisait confiance pour conserver l’intégrité de la révolution dans le Tiers-Monde. C’est à ces soldats que s’adressait Les Damnés de la Terre, son dernier livre et celui qui eut la plus grande influence, dicté à la hâte tandis que sa santé se dégradait.

Dans Les Damnés de la Terre, Fanon fait de la décolonisation un processus par nature violent, un combat à somme nulle entre colonisateur et colonisé. Albert Memmi, un psychologue juif tunisien, dressait le même constat dans Portrait du colonisé, publié en 1957 avec une préface de Sartre. Mais Fanon rend cette lutte dramatique avec une force sans pareille. L’Europe, écrit-il, « est littéralement la création du tiers-monde … bâtie sur la sueur et les cadavres des Noirs, des Arabes, des Indiens et des Jaunes ». Son monde colonial est polarisé entre « la ville du colon … repue, paresseuse, son ventre est plein de bonnes choses à l’état permanent » et « la ville du colonisé … affamée de pain, de viande, de chaussures, de charbon, de lumière. » Le choc est dû non à l’incompréhension ou à une ignorance mutuelle, mais bien au fait que ce sont « de vieilles connaissances » : le colonisé est un homme envieux. Le colon en est conscient, quand il surprend les regards furtifs et, constamment sur ses gardes, réalise qu’« ils veulent prendre notre place ». Dépouillés de leurs terres et de leur dignité, réduits « à l’état d’animaux », les colonisés subliment leur défaite dans la religion, dans « des rêves musculaires, des rêves d’action, des rêves agressifs », et dans la violence contre les leurs, jusqu’à ce qu’ils se soulèvent contre leurs maîtres et entreprennent peu à peu de « déchiffrer la réalité sociale ». Les colonisés commencent par adopter « le manichéisme primitif du colon — les Blancs et les Noirs, les Arabes et les Roumis », pour finir cependant par « s’apercevoir … qu’il arrive à des Noirs d’être plus blancs que les Blancs et que l’éventualité d’un drapeau national, la possibilité d’une nation indépendante n’entraînent pas automatiquement certaines couches de la population à renoncer à leurs privilèges ou à leurs intérêts ». En d’autres termes, la guerre de libération nationale doit transcender « le racisme, la haine, le ressentiment, le désir légitime de vengeance », et évoluer vers une révolution sociale.

Les développements des Damnés de la Terre, tout particulièrement ses appels romantiques à la « spontanéité révolutionnaire » de la paysannerie, ont été profondément influencés par la relation de Fanon avec l’ALN. En réalité, l’Algérie n’a jamais connu de mouvement paysan important, et les paysans algériens ne pouvaient guère jouer un rôle révolutionnaire quand plus de deux millions d’entre eux avaient été rassemblés dans des camps. Mais l’utopie rurale était, comme le souligne Harbi, un « credo de l’armée », qui se présentait comme le défenseur de la paysannerie algérienne, et Fanon s’était persuadé qu’à la différence du prolétariat, la paysannerie et le lumpen-prolétariat étaient incorruptibles, car ils n’avaient rien à perdre. Ses odes à la paysannerie allaient renforcer ironiquement le nostalgique « repli sur soi » qu’il avait toujours redouté. Houari Boumediene, chef des forces de l’extérieur en Tunisie et plus tard président de l’Algérie, voyait en Fanon un « homme modeste qui voulait apprendre et comprendre », tout en ajoutant qu’« il ignorait tout des paysans algériens ». Boumediene saisissait cependant les avantages de la position de Fanon. Sa célébration de la sagesse paysanne, tout comme ses arguments en faveur du voile, offraient à l’armée — selon les mots de Harbi — une « rationalisation du conservatisme algérien » et un atout populiste de poids dans ses luttes avec les diplomates du GPRA, raffinés et issus des classes moyennes, et avec les marxistes à l’intérieur du FLN.

Il en allait de même avec l’affirmation de Fanon que « la violence seule » amènerait à la victoire. À la fin des années 1950, le FLN comprit qu’il ne pourrait jamais vaincre l’armée française, et qu’il faudrait en passer par un accord négocié. L’opinion internationale devint un lieu crucial d’affrontement, où les principaux combattants étaient les représentants du GPRA : comme le soutient l’historien Matthew Connelly, la guerre était tout autant une « révolution diplomatique » qu’un défi militaire. Mais le mythe héroïque de la lutte armée, que Fanon fit beaucoup pour rehausser, permettait aux soldats de l’ALN, et non au GPRA, de se présenter comme les véritables vainqueurs et de s’imposer comme les dirigeants légitimes du pays.

Dans un essai de 1841 approuvant la « pacification » de l’Algérie, Tocqueville écrivait : « J’ai souvent entendu en France des hommes que je respecte, mais que je n’approuve pas, trouver mauvais qu’on brûlât les moissons, qu’on vidât les silos et enfin qu’on s’emparât des hommes sans armes, des femmes et des enfants. Ce sont là, suivant moi, des nécessités fâcheuses, mais auxquelles tout peuple qui voudra faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre ». Fanon n’a rien fait d’autre que de renverser la logique de Tocqueville. Ayant peu de temps à vivre, il était décidé à montrer la voie vers une décolonisation totale, une rupture avec le passé plutôt qu’un simple transfert de pouvoir des autorités coloniales à la bourgeoisie indigène, qu’il honnissait pour son manque de vision, son opportunisme, son engouement pour l’Europe. À Accra, il en était venu à désespérer de l’avenir de l’Afrique si elle n’adoptait pas le modèle algérien de libération nationale, tel qu’il le concevait. Il faut manier avec prudence les exhortations utopiques des Damnés de la Terre - la foi dans la paysannerie et le lumpen-prolétariat ; les vertus thérapeutiques de la violence ; et la création d’un nouvel humanisme, d’un Tiers-Monde réellement émancipé. Érigés en liturgie par ses admirateurs, ridiculisés comme messianisme fantasmatique par ses détracteurs, ces thèmes sont une expression de volonté typiquement nietzschéenne, une contrepartie provocante à ses angoisses sur l’ordre postcolonial.

Fanon anticipait l’ère des Mobutu et des Mugabe, des grands chefs qui se draperaient dans des costumes africains et transformeraient la rhétorique de l’anticolonialisme en langue de bois de la répression intérieure.

Ces angoisses étaient justifiées. Les Damnés de la Terre est un livre prophétique, mais pas pour les raisons que Fanon aurait souhaitées. Il voulait certes que son livre soit un manifeste pour la révolution à venir, mais il avait conscience des pièges potentiels de la décolonisation. Tout en défendant la violence anticoloniale comme réponse nécessaire à la violence « exhibitionniste » du système colonial, il prédisait aussi que « nous aurons à panser des années encore les plaies multiples et quelquefois indélébiles faites à nos peuples par le déferlement colonialiste ». Il savait aussi que la « fraternité-terreur » de Sartre pouvait s’inverser, avec des conséquences mortelles. Comme le fit remarquer Arendt, on pouvait douter de la vision fanonienne de la solidarité en armes conduisant à la révolution sociale : le sens de la camaraderie en temps de guerre « ne peut être réalisé que dans des conditions de danger immédiat pour la vie et l’intégrité physique », et tend à disparaître en temps de paix, comme ce fut le cas après l’indépendance. La sensation d’une conquête du pouvoir née de la violence de la révolte était fugace ; la souffrance et les traumatismes des guerres de libération nationale ne s’effaceraient pas de sitôt. Fanon lui-même avait vu que la violence anticoloniale était mue non seulement par un noble désir de justice, mais aussi par des élans plus sombres, parmi lesquels le « rêve de devenir le persécuteur ».

De toute évidence, les dirigeants des États postcoloniaux allaient consolider leur position en faisant appel « à l’ultranationalisme, au chauvinisme et au racisme » ; Fanon anticipait l’ère des Mobutu et des Mugabe, des grands chefs qui se draperaient dans des costumes africains et transformeraient la rhétorique de l’anticolonialisme en langue de bois de la répression intérieure. Il avertit également que la bourgeoisie locale d’Afrique allait promouvoir une forme folklorique de « culture noire », dans une tentative de « rejoindre le peuple dans ce passé où il n’est plus ». Comme les « hommes de paille » de Naipaul, suggérait-il, le bourgeois africain n’est pas tant « une réplique de l’Europe que sa caricature ».

L’un des premiers lecteurs du manuscrit de Fanon fut son héros, Jean-Paul Sartre. Fanon le contacta d’abord au printemps 1961 via son éditeur, François Maspero, pour lui demander une préface : « dites-lui que chaque fois que je me mets à ma table je pense à lui ». Fin juillet 1961, ils se rencontrèrent pour la première fois à Rome. Simone de Beauvoir et Claude Lanzmann les rejoignirent. Quelques jours plus tôt, des partisans de l’Algérie française avaient fait exploser une charge de plastic devant la porte de l’appartement de Sartre, rue Bonaparte : Sartre avait signé le Manifeste des 121, une déclaration de désobéissance civile protestant contre la guerre en Algérie. La première conversation entre Fanon et Sartre commença au déjeuner et dura jusqu’à 2h du matin, jusqu’à ce que Beauvoir annonce que Sartre avait besoin de dormir. Ce qui indigna Fanon. « Je n’aime pas les gens qui se ménagent », dit-il. Se tournant vers Lanzmann, il ajouta en matière de plaisanterie qu’il était « prêt à payer 20 000 francs par jour pour parler avec Sartre pendant deux semaines du matin jusqu’au soir ». Les jours suivants, Fanon parla sans cesse, dans ce que Lanzmann appelle une « transe prophétique ». Il pressait Sartre de renoncer à écrire tant que l’Algérie ne serait pas libre. « Nous avons des droits sur vous » dit-il. « Comment pouvez-vous continuer à vivre normalement, à écrire ? » Il ricana devant la pittoresque trattoria où ils l’emmenèrent manger. Les plaisirs du Vieux Monde ne représentaient rien pour lui.

Fanon pressait Sartre de renoncer à écrire tant que l’Algérie ne serait pas libre. « Nous avons des droits sur vous ».

Fanon venait de suivre un traitement en Union soviétique, où on lui avait prescrit du Myleran, et connaissait une brève rémission. Mais le récit par Beauvoir de la rencontre à Rome le montre comme un homme hanté, accablé par le doute et le remords, habité par des pressentiments apocalyptiques. Les jours qui suivront l’indépendance seront « terribles », prédit-il, estimant que les luttes pour le pouvoir feraient plus de 150 000 morts (il n’était pas loin de la vérité). En public, Fanon avait soutenu la ligne du FLN selon laquelle les membres du MNA de Messali Hadj étaient des collaborateurs, mais les règlements de comptes entre les rebelles algériens semblaient l’horrifier autant que la répression française. Il considérait cette aversion devant le sang versé comme une faiblesse typique des intellectuels, et luttait pour la surmonter : il dit à Sartre que « tout ce qu’il avait écrit l’avait été contre les intellectuels, mais aussi contre lui-même ». Il se reprochait de n’avoir su empêcher ni la mort d’Abane ni celle de Lumumba, et Beauvoir fut frappée de le voir « troublé de n’être pas actif dans sa patrie, et encore plus de n’être pas Algérien ». Quand Beauvoir serra sa main fiévreuse, elle eut l’impression de « toucher la passion qui la consumait ».

Pour Sartre, Fanon n’était pas seulement un disciple intellectuel : il était l’homme d’action que Sartre ne se pardonna jamais de n’avoir pas été durant l’occupation de la France par les Nazis. Il est facile aujourd’hui de se moquer de la préface de Sartre, tout entière centrée sur la question de la violence, avec des accents de fanfaronnade martiale que Fanon pour sa part évitait, peut-être parce qu’il avait vu la guerre, et avait horreur du sang versé. Sartre affirmait néanmoins que Les Damnés de la Terre avaient porté à l’humanisme occidental un coup dont il ne se remettrait pas de sitôt, et que la catégorie même d’universalité aurait besoin d’être débarrassée des stigmates de l’eurocentrisme et du colonialisme. Un autre philosophe français, Jacques Derrida - un juif algérois, comme Fanon un homme à l’identité ambigüe, une victime de Vichy qui avait retrouvé ses privilèges coloniaux après la guerre — s’aligna sur la position d’Albert Camus envers l’Algérie, s’opposant à la torture pratiquée par l’armée française tout en refusant de soutenir l’indépendance. Et néanmoins, dans sa critique de l’humanisme occidental, tout particulièrement dans son essai La Mythologie blanche, il tiendra compte lui aussi du défi posé par Fanon, sans même avoir à le nommer.

Une semaine après que Sartre eut achevé sa préface, Fanon fut hospitalisé à Bethesda, dans le Maryland — son unique visite aux États-Unis, ce pays qu’il appelait « une nation de lyncheurs ». Ce qui le choquait, écrivit-il à un ami, ce n’est pas « que je meure, mais que ce soit de leucémie à Washington, alors que j’aurais pu mourir en combattant l’ennemi il y a trois mois, quand je me savais déjà atteint par cette maladie. Sur cette terre nous ne sommes rien si nous ne sommes pas avant tout les esclaves d’une cause. » Il mourut le 6 décembre, alors que son livre, tout juste publié à Paris, était saisi par la police dans les librairies. À New York, les diplomates algériens l’offrirent comme cadeau de Noël. Beauvoir vit sa photo en couverture de Jeune Afrique, « plus jeune, plus calme que lorsque je l’avais vu, et très beau. Sa mort a eu une importance considérable car il l’avait chargée de toute l’intensité de sa vie. »

L’Algérie accéda à l’indépendance en juillet 1962. Elle serait bientôt à la tête du mouvement des non-alignés, et accueillerait l’ANC, l’OLP, les Black Panthers et d’autres mouvements de libération nationale, dont beaucoup étaient profondément influencés par Fanon. Mais avec les années, l’Algérie indépendante — austère, pieuse, socialement conservatrice — ressemblerait de moins en moins au pays que Fanon avait rêvé. S’il avait vécu, on ne peut assurer qu’il s’y serait senti chez lui, pas plus que Che Guevara dans La Havane post-révolutionnaire. En dépit de tout ce qu’il avait dit à Beauvoir de son désir de s’enraciner, Fanon était un esprit trop nomade pour se poser longtemps, où que ce fût. Le seul pays qu’il aurait pu considérer comme le sien, outre la feuille de papier, était l’avenir émancipé, un messianisme séculier qu’il partageait avec Walter Benjamin. Il s’inquiétait de ce que les pays nouvellement indépendants tombent dans le même piège que les pays occidentaux avancés : le fétichisme des taux de production et le saccage de l’environnement qu’Adorno et Horkheimer déploraient dans La Dialectique de la raison. Fanon n’était pas juif, mais il éprouvait une affinité élective envers les « Juifs non-juifs », dont beaucoup étaient des marxistes, qui avaient si fortement façonné la pensée critique européenne dans les années 1930 et 1940.

La dernière grande œuvre de cette tradition, Eichmann à Jérusalem, de Hannah Arendt, fut publiée deux ans après Les Damnés de la Terre. À la fin de cette décade, comme l’avance Enzo Traverso dans La Fin de la modernité juive, « l’épuisement du cycle juif de la pensée critique » est patent, et les intellectuels juifs, qui, à l’intérieur même de l’Occident, en étaient les critiques les plus virulents, en devinrent les défenseurs les plus passionnés. La création de l’État d’Israël après la Shoah fut reçue par beaucoup comme une rédemption. Après la guerre de 1967, la conquête de la Cisjordanie et l’émergence d’Israël comme Prusse du Moyen-Orient, selon les mots d’Isaac Deutscher, la pensée juive critique et le post-colonialisme vont prendre des chemins séparés, à quelques exceptions notables près comme le critique littéraire palestinien Edward Saïd, imprégné des écrits d’Auerbach et d’Adorno, et son ami Tony Judt, historien juif né à Londres, qui se fit le champion d’un État binational en Israël-Palestine. Rétrospectivement, on peut considérer Fanon comme l’un des derniers brins de fil reliant ces traditions ; il est frappant qu’Arendt l’ait défendu contre les interprétations caricaturales de ses écrits sur la violence, et n’ait jamais contesté sa critique de l’impérialisme occidental. Ce qu’elle n’aurait pu faire sans risquer de contredire ses propres Origines du totalitarisme.

Dès lors, il n’est pas étonnant que l’une des plus vives critiques de Fanon, tour à tour tendre et accablante, vienne d’un théoricien juif de l’anticolonialisme converti au sionisme. Albert Memmi avait beaucoup de points communs avec Fanon. C’était un homme de l’entre-deux, ne se sentant jamais complètement chez lui, un juif venu de Tunisie ayant fait ses études à Paris, se tenant entre le colonisateur et le colonisé. Il écrivait des romans et des essais, vénérait Sartre, et pratiquait la psychologie infantile à Tunis lorsque Fanon s’y trouvait pour le FLN, mais ils ne se rencontrèrent pas. Dans son essai La Vie impossible de Frantz Fanon, publié en 1971, Memmi voit dans la vie de Fanon une quête contrariée de l’appartenance. Selon lui la « clé de la tragédie de Fanon » était son éloignement de la Martinique, sa terre natale. Une fois que le dominé a reconnu qu’il ne sera pas accepté par la société dominante, « il revient à lui-même, à son peuple, à son passé, quelquefois… avec une vigueur excessive, transfigurant ce peuple et ce passé jusqu’aux contre-mythes. » C’est ce qu’avait fait Aimé Césaire, suggère-t-il, en rentrant chez lui après ses études supérieures à Paris, en inventant la négritude et en devenant le représentant de son peuple à l’Assemblée nationale. Fanon, cependant, n’était pas revenu : bien plutôt, après avoir compris qu’il ne serait jamais pleinement français, il transféra sa farouche identification avec le pays qui l’avait rejeté sur l’Algérie, le pays qui affrontait la France pour obtenir son indépendance. L’Algérie musulmane s’étant montrée trop « particulariste », elle fut subsumée par quelque chose de plus vaste : le continent africain, le Tiers-Monde et au bout du compte le rêve d’« un homme totalement neuf, dans un monde totalement neuf. »

Mais Fanon ne renia jamais ses racines martiniquaises, ni son amour de l’œuvre de Césaire, d’où il avait tiré les images de la révolte des esclaves dans Les Damnés de la Terre. Affirmer, comme Memmi, que son « vrai problème » était « comment être Antillais » est absurdement réducteur. Memmi capte cependant un élément que les admirateurs de Fanon dans les mouvements antiracistes d’aujourd’hui ont tendance à négliger : sa remise en question incessante du « retour à soi ». Pour Memmi, juif nord-africain ayant perdu ses illusions sur le nationalisme arabe, l’identité était devenue le destin. Et son essai sur Fanon donne à penser que l’essentielle identification ethnique, et le rétrécissement de l’empathie qui en découle souvent, seraient l’ordre naturel des choses, alors que Fanon, ayant bravé cet ordre, constituerait un cas aberrant, voire un raté.

La dimension d’utopie des écrits de Fanon n’a pas bien vieilli. Un peu partout dans le Tiers-Monde, le rêve de se libérer de l’Europe a été supplanté par le rêve d’émigrer vers l’Europe, où les réfugiés et leurs enfants se battent maintenant pour être acceptés, plutôt que pour être indépendants. L’universalisme est maintenant une monnaie dévaluée. En dépit de tous les discours sur le « transnationalisme », les deux seuls projets post-nationaux qu’on nous propose sont le monde plat de la globalisation et la tabula rasa islamiste de Daesh : Davos et Dabiq. Mais on ne se débarrassera pas de Fanon si facilement. La croyance dans les vertus purificatrices de la violence — dans la destruction créatrice — est partagée non seulement par l’État islamique, dont les attentats et les décapitations spectaculaires reprennent sans grands moyens techniques la stratégie de « choc et effroi » [1], mais aussi par les architectes de la guerre des drones et de l’intervention « humanitaire ». Les questions posées par Fanon sur les limites de l’humanisme occidental et les barrières qui séparent le monde des riches du monde des pauvres n’ont rien perdu de leur pertinence. Les limites qui isolent l’Occident du reste du monde et de ceux qui restent des étrangers à l’intérieur des frontières ont été redéfinies depuis sa mort, mais n’ont pas disparu. Le « dévoilement » forcé des musulmanes est réapparu en France, où des femmes vêtues de burkinis ont été chassées de certaines plages par des policiers sous les huées de badauds, proscription soutenue non seulement par Marine Le Pen mais aussi par le nouveau candidat malheureux de la droite, François Fillon, et par bon nombre de socialistes. Aux États-Unis les meurtres de Noirs sans arme par la police sont devenus un nouveau genre sinistre de télé-réalité, et un rappel de la vulnérabilité des corps noirs. Le président refuse de renoncer au soutien que lui accordent les suprémacistes blancs déclarés, a interdit l’accès aux États-Unis aux citoyens de six pays peuplés majoritairement de musulmans, et a entrepris de construire un mur entre les États-Unis et le Mexique. Les villes de l’Occident libéral, avec leurs enclaves sécurisées et leurs caméras de surveillance, sont presque aussi « compartementalisées » que la coloniale Alger. La tragédie de la « vie impossible » de Fanon, ce n’est pas qu’il ait refusé de rentrer chez lui, mais que sa vision de liberté et de solidarité ait échoué face à des liens plus étroits : nation, tribu et secte. Et cette tragédie, il n’est pas le seul à en avoir pâti.

Post-scriptum

Adam Shatz, essayiste et journaliste, est l’auteur de nombreux reportages au Liban, en Palestine, en Égypte et en Algérie. Il collabore régulièrement à la London Review of Books, à la New York Review of Books, au New York Times Magazine, au New Yorker et à The Nation.

Cet article, inédit en français, a été écrit pour une conférence à Bard College le 29 novembre 2016. Il est publié en deux parties, la première dans Vacarme 80, été 2017. Traduit de l’anglais par Isabelle Saint-Saëns & Sophie Mayoux.

Notes

[1Shock and Awe est le nom populaire d’une doctrine militaire (rapid dominance), fondée sur l’usage d’un pouvoir écrasant et de manifestations spectaculaires de force, dans le but de paralyser la perception de l’ennemi du champ de bataille et d’annihiler sa volonté de se battre. Elle fut appliquée dès la première nuit des bombardements en Irak en 2003.