Qu’est-ce que la démocratie (participative) ?

arpenter les textes, dessiner le territoire entretien avec Sabine Girard

Vous avez lancé en janvier 2016 une procédure collective de révision du plan local d’urbanisme (PLU) de Saillans. Comment vous y êtes-vous pris et en quoi votre démarche diffère-t-elle de celle d’autres communes ?

Le PLU est un document d’urbanisme et de planification. D’une part, il définit les orientations d’urbanisme de la commune et exprime son projet urbain. D’autre part, il assure la traduction juridique de son projet de développement en réglementant les droits à construire sur le territoire communal : il délimite des zones, urbaines et naturelles, à l’intérieur desquelles sont définies les règles relatives à l’implantation, à la nature et à la destination des sols, et comporte des dispositions relatives à l’aspect extérieur des constructions, aux emplacements à réserver, etc. Le PLU a donc deux dimensions. L’une stratégique et éminemment politique, qui s’appuie sur des prévisions démographiques, et conduit à travailler sur des enjeux et des notions d’intérêt général à moyen et long terme : comment avons-nous envie d’habiter à Saillans ? quels seront les paysages de demain ? à quoi ressemblera le village en 2018, 2028, 2048 ? quelle agriculture pour demain ? comment construire mieux ? quelle forme aura l’habitat à venir ?, toutes réflexions dont découle un « projet d’aménagement et de développement durable » (PADD). Et une dimension plus technique, qui décline ce projet d’aménagement en « Règlement », c’est à dire en un document concret qui en définit les applications locales, les options d’aménagements, les terrains constructibles, etc. Ce règlement est souvent confondu avec le PLU lui-même, mais il n’en constitue que la traduction concrète et opérationnelle.

Techniquement, a minima, une révision de PLU permet d’accommoder les révisions règlementaires et les évolutions locales. Les élus entrent en délibération, dans leur coin, ils établissent des objectifs, puis ils font appel à un bureau d’étude. Celui-ci va typiquement rencontrer quelques personnes, surtout des élus, et produire un document. Deux ans plus tard il fait une enquête publique, qui donnera lieu en général à des remarques en fonction d’intérêts particuliers, et qui seront prises en compte ou pas. Mais c’est loin de constituer une démarche collective d’intérêt général, c’est plus un travail d’expert.

« Les habitants partageaient impressions et commentaires en petits groupes, dans un temps de co-construction des savoirs entre habitants, sans expert. »

À Saillans nous voulions que la démarche soit réappropriée par les habitants. Nous avons donc prévu une période de six mois pour définir collectivement les objectifs de la révision ainsi que les modalités de concertation à mettre en place, avant de commencer la travail de révision du PLU a proprement parlé. Un bureau d’études a été choisi pour nous accompagner dès la première phase. Sa mission était de permettre et d’imaginer avec nous des procédures d’élaboration collective. Nous avions besoin de compétences en urbanisme, en architecture, en paysagisme, mais aussi en éducation populaire, et en participation et animation.

Comment avez-vous procédé ?

Pour l’élaboration des objectifs de révision du PLU, tous les habitants, usagers et citoyens du village, ont été conviés à participer d’avril à juillet 2016. Nous avons d’abord organisé en avril 2016 des ateliers « Grandes cartes ». Ces ateliers ont été imaginés pour que les habitants parlent de leurs espaces quotidiens, et que la juxtaposition de leurs visions se traduise par des problématiques communes. Les gens pouvaient venir prendre connaissance d’une grande carte, marcher dessus et écrire. Les éléments dégagés ont été débattus, puis l’équipe d’urbaniste, paysagiste, architecte, animateurs d’éducation populaire a fait une synthèse dégageant différentes thématiques de travail. En mai et juin 2016 ensuite, nous avons organisé des séances d’arpentage des textes réglementaires. Vingt à trente habitants se réunissaient dans la salle du Conseil municipal pour lire et échanger sur les textes du PADD, les règlementations de zonage et les cartes du PLU de Saillans. Après un temps de lectures individuelles, les uns et les autres partageaient impressions et commentaires en petits groupes sur les documents explorés, dans un temps de co-construction des savoirs entre habitants, sans expert. Ce moment a permis d’enrichir la compréhension des règlementations et modalités de gestion des espaces de la commune, des expressions du langage de l’urbanisme, et de l’aspect juridique d’un PLU. Il a souvent été très critique (« langage difficilement accessible ! on ne parle pas le PLU ! »), mais aussi très fin (« qui connait et peut identifier les arbres remarquables dans la commune ? ») et d’un grand niveau d’exigence (« [comment] trouver l’articulation entre l’utopie, les envies et le juridique ? »). Parallèlement étaient organisés des ateliers « Promenades », où des petits groupes accompagnés par des animateurs professionnels et bénévoles visitaient ou revisitaient un quartier du village, ses abords, et échangeaient ou envisageaient des transformations possibles. Enfin, on a organisé en juin une dernière séance d’arpentage, autour de textes de loi (Alur, Grenelle), d’expériences de révisions participatives de PLU d’autres communes, et de la synthèse des ateliers précédents.

À l’issue de tous ces ateliers, les objectifs de révision du PLU ont été co-rédigés avec les citoyens, puis ils ont voté au conseil municipal du 16 septembre. Ces objectifs sont au nombre de six : « Encourager les solidarités locales », « Renforcer les proximités », « Favoriser la convivialité dans un village à taille humaine », « Préserver et mettre en valeur le cadre de vie et les qualités paysagères et patrimoniales de la commune », « Améliorer les déplacements et le stationnement au bourg et ses abords », « S’inscrire dans la transition énergétique ». Tous ces objectifs, ainsi que leurs déclinaisons en sous-objectifs [[voir http://www.mairiedesaillans26.fr/le... ont été dégagés de ce processus d’élaboration collective.

Par ailleurs, les modalités de la concertation ont également été discutées lors d’un atelier avec les habitants et l’observatoire de la participation. Les propositions issues de cet atelier ont été reprises dans le cahier de charges élaboré par la mairie pour choisir le bureau d’étude de la révision du PLU.

Avez-vous pu associer beaucoup de gens ? Comment décririez-vous l’expérience de votre point de vue ?

Une soixantaine de personnes ont participé aux ateliers « Grandes cartes » et environ 300 personnes sont passées sur la place du marché pendant le week-end d’échanges autour de la carte et des « porteurs de paroles ». Les ateliers « Promenades » ont été un peu plus confidentiels : une cinquantaine de personnes, peut-être, par groupes de cinq. Le dernier atelier, qui a eu lieu début juillet. consistait à rédiger les objectifs de révision du PLU ; nous avons eu une cinquantaine de personnes le matin, et le même nombre pour discuter les modalités de concertation pour la révision du PLU l’après-midi .

Ce qui m’a le plus impressionnée est sans doute les deux séances d’arpentage de textes. Il s’agissait de réunir des gens autour d’un texte découpé en morceaux. Chacun prenait un passage et l’expliquait aux autres. La première séance, en mai, concernait le texte actuel du PLU et la seconde, en juin, les textes règlementaires qui allaient s’imposer à nous. C’est à cette occasion que les habitants ont compris le décalage entre les textes et le terrain — le maire pouvait soudain expliquer les difficultés auxquelles il faisait face. Mieux les règles d’intérêt général sont comprises, plus on a de chance qu’elles puissent être intégrées et respectées. Cet échange entre maire, garant de l’application de la loi, et habitants était extrêmement intéressant. Ces derniers ont suggéré qu’en marge de la novlangue administrative dans laquelle les documents sont rédigés, un chapeau rédigé de manière pédagogique, offre des clés de compréhension qui réduisent les occasions d’incompréhension ou de soupçon, voire de contestation. L’objectif est d’avoir un PLU plus pertinent, plus adapté au contexte local et mieux compris et respecté. Le système qui prévaut généralement ne fait pas toujours gagner du temps — il consiste à faire passer une décision rapidement, qui suscitera un barrage très vite aussi. Finalement, le principe d’une démocratie où les gens discutent, où il y a production collective avant même la décision, ne fais pas nécessairement perdre du temps à long terme. L’adhésion et la réalisation seront plus fortes et plus pérennes.

Avez-vous constaté des effets sur la vie municipale ? Quelle est la part d’éducation populaire, et de mise en œuvre de nouvelles orientations politiques ?

Ce travail sur le PLU a attiré des personnes qui n’étaient pas dans une démarche collective, mais qui se sentaient concernées à titre privé. À mesure de ces ateliers, les habitants ont analysé la situation de leur village, déterminé ce qu’ils souhaitaient pour le futur, et comment ils seraient impliqués dans le développement la révision du PLU en termes de concertation. Ce travail leur a permis de comprendre ce qu’est un PLU, comment il fonctionne, quelles sont les limites de celui qui est en cours. Cela leur a aussi permis de constater qu’il comportait un plan d’aménagement et de développement durable (PADD) assez intéressant, mais relativement en décalage avec le règlement.

Concrètement les résultats aujourd’hui sont les objectifs qui ont été dégagés, avec leurs différentes déclinaisons. Les élus n’auraient probablement pas mis noir sur blanc un sous-objectif comme : « Mener une réflexion sur l’habitat saisonnier et l’habitat léger » (dans le point 1 : « Encourager les solidarités locales »). Ils n’auraient pas non plus insisté sur la transition énergétique, et plus particulièrement sur l’objectif d’une « [Amélioration de] l’autonomie alimentaire en favorisant une agriculture locale et diversifiée, notamment vivrière, et en favorisant l’accueil de l’élevage extensif et des jardins potagers ».

Quelles sont les phases à venir ?

Une fois les objectifs de révision du PLU et les modalités de la concertation définis avec les habitants et validés en Conseil Municipal, nous avons pu entamer la révision du PLU à proprement parlé. Nous avons recruté un bureau d’études pour cette seconde phase, qui va durer trois ans. Il a été choisi en avril 2017 et a commencé sa mission avec un atelier en juin. On a demandé une révision classique du PLU (50 000 euros) et un accompagnement de la démarche de participation, qui nous coûtera 35 000 euros supplémentaires. Le cahier des charges a été rédigé grâce aux apports des habitants et de l’Observatoire de la participation, qui est une instance habitante de veille sur la démocratie participative du village.

Nous avons souhaité que la participation soit large et variée dans les formes, certaines engageant du monde, d’autres des petits groupes de réflexion, certaines atteignant des publiques spécifiques restés jusqu’ici à l’écart, ce qui demande d’aller dans les quartiers, les écoles… Sur deux ans, on fera une douzaine d’ateliers participatifs. Mais, au-delà de ces actions, notre démarche est originale et ambitieuse pour trois raisons.

« 140 habitants ont été tirés au sort dans la liste électorale selon deux critères : la répartition géographique et la parité. »

D’abord, nous voulions à nouveau faire travailler les habitants sur les modalités de la participation faire participer les habitants à la définition même des façons dont ils veulent participer ! Qui devrait être consulté et donner son avis ? Qui risque d’être oublié et pour qui il faudrait mettre en place d’outils spécifiques ? Comment toucher ceux qui n’aiment pas venir en réunion ? Quel format de participation vous semble le plus adapté : plutôt des réunions publiques ou des promenades sensibles ? Cet atelier a eu lieu en juin. Les habitants ont ainsi souligné l’importance pour eux de se déplacer dans les quartiers, de ne pas rester en mairie. Ils ont par exemple également proposé de mettre en place des lieux permanents d’exposition et d’échanges sur la révision PLU pour suivre la démarche tout du long.

Deuxièmement, nous avons souhaité que les habitants ne fassent pas que donner leur avis, mais qu’ils participent réellement à la co-élaboration du Plan Local d’Urbanisme, et nous voulions également que ce ne soit pas toujours les mêmes qui participent (les plus proches du projet politique de l’équipe municipale) mais bien les personnes concernées par le projet de PLU. Comment faire ? Nous sommes orienté vers la constitution d’un panel citoyen.

Nous avons mis en place un Groupe de Pilotage Citoyen pour piloter l’élaboration des documents du PLU. Il sera composé pour un tiers d’élus et d’agents de la mairie, pour les deux autres tiers d’habitants, tirés au sort sur les listes électorales selon le principe d’un panel citoyen, et volontaires. La constitution de ce panel est en cours. Cent-quarante habitants ont été tirés au sort dans la liste électorale selon deux critères : la répartition dans quatre zones de Saillans et la parité hommes-femmes. L’idée est de ne pas s’appuyer seulement sur des gens motivés, mais aussi sur ceux qui incarnent la diversité du village. Il faut ensuite prendre le temps de persuader ces citoyens d’agréer leur participation. Ils ont tous reçu un courrier détaillé et pédagogique. Nous les avons appelé par téléphone, et nous avons organisé une réunion d’information et d’échanges début septembre. Cinquante personnes sur les cent-quarante tirées au sort se sont déclarées potentiellement intéressées pour faire partie du panel. Parmi eux, les trois-quarts sont des personnes qui n’avaient jamais participé avant à un évènement participatif organisé par la mairie. C’est un excellent score qui montre que, quand on propose aux habitants de participer sur des vrais et forts enjeux, on peut rassembler bien au-delà des seuls « convaincus » par la démocratie participative. Ce dispositif permet de sortir de « l’entre-soi » et c’est tout son intérêt. Un second tirage au sort aura lieu pour choisir parmi les volontaires les 10 participants du Groupe de Pilotage citoyen. Ceux qui accepteront seront informés et formés pour être en situation de participer. Ce mode de tirage au sort exclut les mineurs, mais nous organiserons des ateliers sur certains sujets avec les enfants.

Troisième ambition : nous avons mis en place un vrai dispositif pour suivre et évaluer le processus participatif au fur et à mesure et pouvoir l’améliorer si besoin. Cela permettra aussi de tirer des enseignements sur cette expérience inédite. Cette mission de suivi-évaluation est confiée à l’Observatoire de la Participation de la commune,

Enfin, et autre originalité, la commune a sollicité la désignation d’un Garant de la concertation auprès de la CNDP (Commission nationale du débat public) qui pourra être saisi par tout individu ou collectif, ayant à redire sur le processus.

La phase de diagnostic va être lancée en octobre. Le processus sera long, trois ans au total. Il s’en suivra une phase de définition du projet stratégique, puis l’écriture des règlements. La dernière année sera consacré, ensuite, à la relecture de la documentation par l’État et les différents services agréés, même si l’interaction avec les autres niveaux territoriaux se fait tout du long de l’élaboration. Le développement économique ne peut être pensé seul dans son coin. L’échelon communal doit se mettre en conformité avec les échelons supérieurs, en particulier avec celui intercommunal ou s’élabore un SCOT (schéma de cohérence territoriale).