Vacarme 83 / Vacarme 83

Aujourd’hui, on apprend qu’un homme est mort. Il venait du Soudan. Il vivait dans la rue. Il est resté sur le trottoir gardé par la police, sans que ses amis puissent entourer son corps pour le veiller. Il était venu en France chercher refuge. Il est mort à quelques mètres d’un centre dit « d’accueil ».

Cet accueil-là, nous le vomissons.

Aujourd’hui, on nous parle d’un projet de loi, on l’appelle « asile et immigration », ou plus exactement loi « pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif. » Les partisans de ce projet le défendent avec un mot clef : #Humanité_Efficacité. L’humanité s’est réduite à ça.

Cet asile-là, cette humanité-là, nous les vomissons.

Aujourd’hui, Mamadou, 27 ans, a dû subir plusieurs amputations après s’être perdu en pleine neige au col de l’Échelle, entre l’Italie et la France. Voilà pour l’humanité.

Aujourd’hui, à Paris aussi, il fait très froid. Des étudiant·es ont voulu occuper l’université de Jussieu pour y loger des migrant·es, comme d’autres l’ont fait à l’université Vincennes-Saint-Denis. Quelques heures après, menacés d’expulsion par la police, les exilé·es ont dû repartir dormir dans la rue. Voilà pour l’efficacité.

Pendant ce temps, un autre projet de loi invite les universités à sélectionner les étudiant·es en fonction de leurs « capacités d’accueil ». Mais ça n’a rien à voir bien sûr.

L’inconditionnalité de l’accueil, le droit de demander et d’accorder refuge ont été évidés, abjurés par le politique.

L’accueil est devenu une mobilisation. Chaque cours de français partagé avec des ami·es étranger·ères, chaque manif en commun, chaque mineur·e accompagné·e au guichet d’une administration, chaque action de solidarité — parfois légale, parfois non — est un geste de lutte et un refus de ce qui est proposé par le gouvernement : un accueil de merde, comme l’écrit le collectif Resome, comme l’ont tagué les Parisien·nes solidaires des exilé·es sur la façade du ministère de la Cohésion des territoires.

Nous connaissons la difficulté de l’accueil que nous pratiquons. Nous savons qu’il faut négocier entre hospitalité et domination, entre communauté et altérité. Nous savons que l’inconditionnalité de notre accueil trouve chaque jour ses limites — parce que justement nous sommes humain·es. Nous savons aussi qu’aucun accueil digne de ce nom ne sera mis en place sans que nous imposions un agenda à l’État. Accueillir, c’est exiger en commun une autre politique de l’accueil. Chaque article écrit ici l’exige.

Nous avons voulu un numéro qui donne à voir l’accueil qui se pratique tel que nous le voulons. Un accueil qui devrait offrir place à tout·es au lieu d’obliger à se cacher sous un échangeur d’autoroute ou sous des draps. Un accueil qui devrait offrir place aux plus divers et aux plus invisibles : aux femmes migrantes à la frontière entre le Maroc et l’Espagne ; aux militant·es acharné·es encore aujourd’hui à défendre les régularisations collectives ; au marché souterrain de la drogue ; aux voix entre deux, entre la Syrie et l’exil, entre le Soudan et Paris, entre la théorie et l’expérience de la migration, entre violence économique et violence migratoire, à Paris, à Athènes, en Lybie, en Syrie, sur la route, partout, nulle part et même à Évian.

Nous avons voulu accueillir sans plus savoir qui donne et qui reçoit, parce que l’autre n’est jamais exactement de l’autre côté, parce qu’il n’est pas ce que l’on croit qu’il est en l’accueillant et que nous ne sommes pas ce que nous croyons être en accueillant. Il y a des masques que l’on échange, étranger·e, parisien·ne, exilé·e, frontalier·es, accueillant·e, sans-papiers, militant·e… les masques, on ne se cache pas derrière, on joue avec ou on danse, entre les blocages et les issues. Let’s dance.