Vacarme 86 / Cahier

voie deviée, en faisceaux, indépendante, latérale, principale — voie privée

par

d’abord parce que
« — Le vent a une odeur de quoi ?
demandait-elle au petit. — De vent. »
 
en deux
« Allez donc chercher des traces. Une
première trace vous conduira à une
deuxième, la deuxième à une troisième,
etc. »
Et enfin parce que les trains partent. Le plus souvent jamais à l’heure exacte. Et qu’aucun n’arrive. Pas un. Peut-être détournés. Ou seulement stoppés — un arrêt de service. Et puis l’immobilisation s’éternise. Ensuite oubliés. C’est possible. Possible aussi qu’ils se perdent. Qu’à un moment ils ne se distinguent plus.
 
Personne ne monte et personne ne descend. Et les sièges sont tous occupés, et tous les visages sont tournés vers la vitre et défilent. Est-ce que les photographies, surtout le flou dans ces photographies, rattrapent les choses, les sourires, les yeux, les mains, des gestes qu’on n’a pas ? Le problème strictement optique de la voix. Votre image, celle que la représentation ne franchira pas, qui cela peut-elle bien être ?
 
Lumières éteintes. Veilleuses dans le couloir.
 
Avec et si on fait. Avec et si on défait, on refait. Je suis arrivé à la gare à neuf heures dix, en taxi. On recommence. Je suis arrivé à la gare, etc. Et vous ne saurez jamais quel arbre précisément cache la végétation dense du parc. Vous ne saurez jamais quel mot vous a fourvoyé. Par exemple, est-ce qu’elle débarrasse la table ou est-ce qu’elle la vide ?
Certains termes ont
beaucoup travaillé — et longtemps —
dans la famille : maison entourée de pelouses
en terrasses et de parterres de fleurs,
jardin.
 
A tailler des allées
dans l’épaisseur de la grammaire pigmentaire,
des recoins au fond de couloirs
où il fait noir à l’exception d’un interstice
lumineux tout au bout. Ainsi
chacun (maison & jardin)
finira par ressembler
à ce magasin de cigares « où l’on vendait
des armes à feu, des magazines,
du matériel de pêche, de la bière
pression, des fournitures de bureau,
des gants de base-ball,
des capotes et des cigares. »
Le portail bordé de roses grimpantes
ce n’est plus ici.
Le texte de l’artiste Dora Garcia intitulé La chambre fermée débute comme suit : « Depuis toujours, j’ai (dans ma tête) cette image d’une pièce noire chez moi. Toutes les portes et les fenêtres sont fermées. C’est comme si la chambre n’était pas là. Mais cette chambre m’obsède. Je m’imagine comment cela serait d’être dedans, même si je sais que toute tentative de l’occuper serait inutile : dès que je serai entrée, la chambre disparaîtra. La chambre ne sera plus la chambre avec moi à l’intérieur. » Elle suspend sa lecture, remonte le store et elle regarde un moment défiler le paysage. Certaines fois elle retient un bosquet ou quelque arbre isolé au milieu d’un champ labouré, une ferme, les perd de nouveau. Voici soudain qu’elle tend l’index : « Là ! Les mouettes ! Les mouettes, là ! Derrière le tracteur ! Les mouettes de mon livre ! » Est-ce que « Le vrai mystère du monde est dans le visible, pas l’invisible » signifie que le vrai mystère du monde est dans le visible et que l’invisible n’est pas dans le visible ? Suffit-il que quelqu’un emploie, au cours d’une conversation anodine, distinctement audible dans tout le compartiment, le verbe « voyager » pour que tout le monde se tourne d’instinct vers la fenêtre ?
 
Entre-temps le convoi s’était arrêté. S’il est écrit au milieu d’une page blanche il n’est pas de bruit qui n’ait vendu son ombre, qu’est-ce que ça veut ?

Post-scriptum

Yannick Liron a publié chez P.O.L. : L’Effet fantôme (1997), Nous vous rappelons notre disparition (2000) et L’annonciation (2004) et aux Éditions Mix : Sans effets personnels – une hantologie (2008).