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École de la défiance / 2

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École de la défiance / 2

Un autre lycée, toujours en banlieue parisienne, suit également la grève des examens. Parmi les soixante-dix enseignant·e·s, la réforme Blanquer ne fait pas débat : c’est la possibilité de lutter contre elle qui le fait.

Après plusieurs années où les mouvements de grève ont été de plus en plus violemment étouffés, où les élèves ont été eux aussi confrontés à une vraie répression, l’équipe est profondément divisée. Les un·e·s s’en tiennent à leur engagement en tant qu’enseignant, au jour le jour ; les autres se sentent acculé à la violence, alors qu’ils ou elles multiplient les sacrifices personnels au service du collectif. Car si en 2003, la défense des droits à la retraite pouvait paraître corporatiste, ce sont d’abord la protection des élèves les plus fragiles et la notion même de service public qui constituent aujourd’hui la raison d’être de la mobilisation.

La réussite de la grève de lundi 17 juin, obligeant l’établissement à mettre en place des moyens extraordinaires pour garantir la tenue des examens, a rappelé l’année 1968 plutôt que l’année 2003. Alors que la suite du combat s’invente, les discussions échangées par mail traduisent ce qui rassemble les enseignants contre la réforme. Devant la protection de leur salaire et de leur confort, l’attachement au sens profond de leur mission domine. Ce métier peut-il s’exercer sans une vision du monde où chacun·e puisse se projeter ? Comment former les élèves à exprimer un raisonnement critique s’il est contre-productif de les encourager à apprendre leur rôle de citoyen·nes ?

La grève des examens divise grévistes et non-grévistes. Cela ne signifie pas que les opposant·e·s à la réforme sont minoritaires : les enseignant·e·s ont largement exprimé leur volonté de « bloquer Blanquer ». Mais cette réforme menée tambour battant les accule à une grève contre nature.

1/ Lundi 17, 20 heures : « Aujourd’hui et après »

On était à deux doigts !
 Grève impressionnante au lycée : 60% ce matin ( 48/78 convoqués) et 65% l’après-midi ( 43/66).
 Les 40 collègues du lycée voisin étaient présents pour nous soutenir devant le lycée. Le rassemblement était conséquent l’après-midi, avec notamment 23 collègues du lycée. 

Le soir, à l’assemblée générale de l’île de France, 120 établissements étaient représentés : la grève reconductible a été votée à l’unanimité. 

Cette grève est historique ! Et un peu partout en France, les collègues se mobilisent. Si on a, ne serait ce que quelques réticences contre la réforme, l’occasion est trop belle pour ne pas agir. 

Les actions prévues pour demain :

1/ AG à 7h30 en salle des profs


2/ AG inter lycées à 9h30


3/ Manifestation à 15 heures, de l’hôpital Necker au ministère ; l’idée étant de soutenir les urgentistes qui mènent eux aussi une bataille historique pour la sauvegarde d’un service public



Pensons tous à demain !

2/ Le mardi 18 juin 2019 à 01:00:00

Eh oh !

Je suis un peu fatiguée que ce soit toujouuuuuuuurs les mêmes qui écrivent sur cette liste, y compris moi.


Vous n’avez pas envie de dire que vous ne faites pas grève ?
Faute de tune ? (si c’est ça on se démerde — j’avais monté un super business plan à base de caisse de grève — et y’a de super collègues qui ont trop assuré, donc c’est faisable)

Par conviction ?
Pour une autre raison ?
PUTAIN, MAIS DITES-NOUS.

On attend que ça, de savoir vos arguments, mais DI-TES-NO-US. Où on a merdé ? D’où elle est bien cette réforme ? Pourquoi vous êtes pas choqués ? En quoi vous n’êtes pas touchés ?

D’où ça vous rapporte plus CETTE ANNÉE de ne pas faire grève pour supporter TOUTES LES ANNÉES PROCHAINES de merde ?

Quel est votre calcul ?
Quel est votre intérêt ?
DITES. Et franchement. Balancez. J’ai entendu dire que certains flippaient de donner leur avis,
bah non, donnez votre avis.
(bisous)

3/ Le 18/06/2019 à 10:06

Bonjour

Je prends ton invitation et me lance.

Attention, je ne me fais pas porte parole des non grévistes mais simplement envie de partager MON sentiment.

Après une journée de grève de conviction, et non de suivi, je suis revenue aujourd’hui avec beaucoup de déception, pas parce que je suis pro-réforme, mais parce que quand j’ai lu hier que le mouvement de grève au niveau national ne représentait que 6,02 % je me suis dis : « ok, je ne peux pas lutter contre ce truc… »

Oui, je sais que les chiffres ont pris en compte ceux qui se sont déclarés auprès de leur hiérarchie en avance, oui, les proviseurs ont convoqué lundi ceux qui ’n’ont pas l’habitude’ de se mettre en grève et ainsi les grévistes n’apparaissent pas dans les stats... Maintenant en lisant dans les médias que l’organisation du bac s’est très finalement bien passée... Je me suis dis, peut -être à tort, à quoi bon...

Maintenant, oui je te comprends et suis admirative des collègues qui continuent de faire grève par conviction car je pense que c’est cet élément qui anime, qui donne de la force et permet de continuer. 

En discutant avec les uns et les autres, en off, combien de collègues font grève sans y croire simplement par sympathie, pour soutenir les grévistes, certains disent même je fais grève mais j’y crois pas...

Et parmi les grévistes, combien ont participé aux AG, aux regroupements... Pourquoi y-a-t-il des grévistes qui restent chez eux et ne descendent pas dans la rue pour réfuter les 6,04 %  ? (Je ne fais pas de procès je pose réellement la question)

Peut être qu’on a finalement un bout de la réponse.

Je ne parle pas au nom de tous, j’insiste, ceci est mon sentiment.

Bises

4/ Mardi 18/06/2019 21:13

Merci pour ta contribution, je me lance moi aussi. 
Attention ça commence par de vieux souvenirs que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaitre.

En 2003, ici et partout en France, nous avons vécu la grève contre la réforme des retraites. Ce n’était pas Blanquer mais Raffarin aux commandes, et croyez-moi il n’était pas sympa non plus.
En salle des profs, nous étions tous à gauche, avec certains collègues très très impliqués politiquement.

Nous avons fait la grève pendant tout le troisième trimestre, tous les jours. Nous étions des milliers (des dizaines voire même des centaines de milliers) à défiler chaque jour. Le lycée était bloqué à 100 %. Ce mouvement était assez populaire et soutenu par une partie non négligeable de la population.

Pourtant nous n’avons pas fait la grève du bac. Peut-être avons-nous eu tort ? 
Étions-nous trop conformistes, trop peureux ? Ou bien au contraire plus responsables et lucides ?

Peu importe les raisons, en 2003 nous n’avons pas voulu pénaliser nos élèves avec le bac. Avec du recul je ne regrette rien.
Visiblement les mentalités ont changé. En soit, ce n’est pas un drame mais personnellement je n’arrive pas à suivre.
Je sais que le bac est désacralisé, mais je ne ressens pas la gravité de cette grève dans les échanges sur notre liste de diffusion, et cela me gêne.

Je sais ce que cette réforme a de mauvais, j’en suis une des première « victime » avec la moitié de mon service qui disparait et 42 élèves qui feront la spé informatique en Terminale l’année prochaine pour la dernière fois (je dis 42 élèves suite aux inscriptions des élèves de 1ère, mais avec 2 ou 3 redoublants je devrais atteindre les 45 élèves comme il y a deux ans… cette année je n’en ai que 31).

Bref, je ne fais pas grève, j’assume.
C’est évidemment aussi lié à la disparition de la spé informatique, mais pas que, j’ai du mal avec cette grève.

À bientôt


5/ Mardi 18/06/2019 22:48

Bonsoir à tous,

Je continue également.

Je suis entièrement contre cette réforme qui ne fait qu’amplifier le déterminisme social tant présent dans notre société.

Je ne suis pas impliquée politiquement comme vous en faveur d’un parti politique ou d’un autre même si mon coeur balance à gauche de par le métier que j’exerce, mon éducation et mes valeurs humanistes.

Je continue de voter (certains diront ’encore heureux’, tandis que d’autres me répondront ’à quoi bon’) mais je vote pour le moins pire à mes yeux (je sais, c’est toujours triste de penser de la sorte). Je ne suis pas une révolutionnaire non plus car je ne crois plus en la révolution, en tout cas pas la vôtre. À mon sens, elle attise la haine de ses participants car elle n’entraîne que de la déception face aux décisions politiques et oligarchiques qui sont prises aujourd’hui. Le chef d’œuvre de George Orwell se promène constamment dans ma tête et il guide ma vie, je pense qu’on veut abêtir le plus possible la masse.

Mon combat est tout autre que le vôtre. Ma révolution se veut pacifique, anti-colère, et anti-violence. J’œuvre pour apporter à mes élèves tout le bonheur possible à leur quotidien en leur donnant de l’estime, un sentiment de pouvoir d’action pour ’jouer avec les règles du jeu de cette société’ qui me fait souvent vomir, en leur donnant les billes pour contre-carrer ce système totalitariste (les empêcher de passer le bac dans des conditions décentes n’en fait pas partie). J’œuvre pour ma propre vie en ce sens en réalisant des projets qui me permettent de vivre la meilleure vie possible. Mon métier d’enseignant m’a mise en difficulté financière il y a quelques années, j’ai du trouver les ressources que je détenais et me ’sortir les doigts du cul’ pour gagner ma vie de façon suffisante. Ce n’est pas un capital financier qui m’a rendu plus heureuse mais plutôt une philosophie de vie. Je revendique mes principes à chacun de mes cours pour que cette société de consommation ne perdure pas. Car en effet, je prends le problème dans l’autre sens, je pense que si tout le monde arrêtait de consommer (au sens très large) comme il consomme, nos chers oligarques, ceux-là même qui détiennent 90% de la richesse mondiale (et qui agitent nos politiques comme des marionnettes) se retrouveraient le bec dans l’eau et fermeraient boutique. Une utopie ? Peut-être, mais pour moi pas plus que de vouloir empêcher la passation du baccalauréat. La différence, je suis en paix avec moi-même. Et cette même paix me permet de donner le maximum de joie et d’amour autour de moi (à échelle locale c’est sûr) car je suis disposée à le faire. Je n’aime pas les sentiments négatifs même si parfois j’en ressens et les exprime. J’ouvre des portes à mes élèves, les pousse à réfléchir sur ce que la vie devrait être (belle).

Apprenons à nos élèves à critiquer la vie qu’on nous impose, apprenons à nos élèves ce que c’est d’être heureux (et pas en colère toute leur vie contre un truc contre lequel on leur fait gentiment (ou passivement violent) comprendre qu’ils s’acharnent pour rien). Apprenons à nos élèves à donner le meilleur d’eux-même en toute circonstance en acceptant une possible défaite. Apprenons leur la psychologie positive en d’autres termes.

Je sais, je ne sais pas parler aussi bien que vous autres révolutionnaires pour rameuter la foule. J’admire chez vous cette capacité. Je vous respecte dans vos décisions mais je ne vous suis pas, mon combat est bien différent du votre, je n’ai qu’une vie, je ne la passerai pas à hurler ma colère, je la passerai à vous balancer des sourires même si souvent je me sens jugée d’être différente et indigne à votre contact.

Je vous souhaite une lumineuse soirée avec vos proches ou juste vous.

6/ Jeudi 20/06/2019 11:12

Cher·e·s collègues !

Merci de vos réponses qui nous permettent, sinon de dialoguer, du moins de nous entendre. C’est important, je crois.

Je viens aussi de 2003 ! Ce fut ma première grève, j’y ai découvert la violence inédite des différends en salle des profs, quand nous nous mettions à parler de nous, de nos élèves, en ouvrant les portes du lycée sur l’extérieur, en regardant au-delà de nos salles de classe.

Ma détermination d’aujourd’hui se nourrit de n’avoir pas fait grève en ces temps reculés. J’avais alors des scrupules que je n’ai plus : je ne revendique plus seulement des droits, de meilleures conditions pour moi, je ne parle pas seulement de mon statut. Je crois que l’on parle de la jeunesse que l’on veut nous faire formater.

Car oui, le monde a changé et je ne m’y fais pas ! 

Remettre en question le bon déroulement du bac, c’est, de ma petite place de fonctionnaire, la seule chose que je puisse faire pour dire que la réforme détruit tout mon idéal de prof. On s’attaque purement et simplement à l’éducation qui m’a faite et que je voulais porter. Un exemple : comment accepter que mes élèves, d’une année sur l’autre, passent d’une réflexion (modeste, je sais), sur la poésie, du Moyen-Âge à nos jours, de la « poésie comme quête du sens » selon la problématique de l’Éducation Nationale, à l’étude quasi exclusive d’une œuvre ? La Fontaine, ou Baudelaire ou Apollinaire ? Seulement ? Comment vais-je désormais lutter contre les Annales, les blogs et autres rapts de surface ?

Je ne sais pas comment continuer à enseigner avec un tel programme, dans la mesure où je n’enseigne pas dans un lycée où l’on peut négliger, pour la réussite des élèves, le programme.

Je refuse d’entendre dire sans répliquer, que vu le niveau, revenons aux bases : lire et compter pour les jeunes de banlieue. Et permettons à ceux qui le méritent de travailler dans de bonnes conditions... Ceux qui le « méritent » ? ceux qui héritent... 

Je ne crie pas ma haine, ni ma colère.

Je revendique un idéal de vie en commun.

Je me fais sûrement des films (avant de ne plus pouvoir en faire avec mes élèves), mais c’est ainsi que je conçois la vie, c’est comme cela que je voudrais qu’elle soit, pour moi, mes enfants, mes élèves : tendue vers un idéal que je m’attache à rendre le moins illusoire possible.

Vous aurez compris que je parle en mon nom !

On en vient décidément tous à se dévoiler !

« Le réel quelquefois désaltère l’espérance. C’est pourquoi, contre toute attente, l’espérance survit. »
— René Char

Post-scriptum

Photo en tête d’article : Action de protestation contre la réforme Blanquer, « Bloquons Blanquer ».